La Chronique Agora

Un B&B infréquentable

** Le CAC 40 a réalisé lundi dernier sa pire entame de mois boursier depuis le 1er janvier ; il clôturait pratiquement au plus bas du jour, après avoir oscillé durant plus de six heures entre 4 930 points et 4 950 points. Le score final s’est établi à -1,6%, ce qui efface presque intégralement les gains de la semaine précédente — tranquillement accumulés à l’issue d’une belle série de quatre séances gagnantes sur cinq.

Même si l’ambiance modérément active (4,6 milliards d’euros échangés) a pu contribuer à la volatilité des cours, la première séance de juin se soldait par un ratio très surprenant de 39 replis sur 40. Vallourec était la seule rescapée du CAC avec un modeste gain de 0,4%.

Ailleurs en Europe, les indices évoluaient de manière tout aussi négative et le rouge dominait sans partage de Francfort (-1,25%) à Madrid — qui chutait de 2,2%. Paradoxalement, c’est la bourse de Londres (en recul de 0,8%) qui s’en tirait le mieux malgré la baisse de Bradford & Bingley (-24%) et de HBOS (en chute libre de 10%).

Si l’Euro Stoxx 50 abandonnait 1,5% en clôture, Wall Street ne semblait guère mieux loti à mi-séance. Après quatre heures de cotation, le retour de bâton était encore plus sévère pour le Dow Jones (-1,65%, sous les 12 500 points) et le Nasdaq 100 — qui dévissait de 1,9%, rechutant lourdement sous le seuil psychologique des 2 000 points.

Les marchés américains subissent notamment un brusque assombrissement du climat dans le secteur financier avec l’annonce surprise de lourdes pertes par l’américain Wachovia qui a limogé son directeur général, Ken Thompson, à la demande du conseil d’administration.

** Le B&B évoqué dans le titre ne concerne pas — vous l’aurez deviné — un Bed & Breakfast peu recommandable mais une certaine banque britannique, Bradford & Bingley, spécialiste du crédit immobilier et que nous avons déjà mentionnée dans un paragraphe précédent.

Cette rivale de Northern Rock — ce nom vous évoque certainement quelque chose… comme des files d’épargnants venant retirer dans l’urgence leurs économies en espèces avant que, l’automne dernier, Gordon Brown n’autorise la Banque d’Angleterre à nationaliser l’établissement — ne serait guère en meilleure posture.

Ses profits ont été divisés par deux sur les quatre premiers mois de l’année, les défauts de paiement s’accumulent — mettant les marges sous pression –, le chiffre d’affaire s’effondre. Une enquête de la Banque d’Angleterre révèle que le taux d’acceptation de nouveaux crédits immobiliers dans l’ensemble du Royaume-Uni était tombé à un plus bas historique en avril. B&B, à court de cash, doit procéder dans l’urgence à une augmentation de capital de 258 millions de livres, en plus d’un apport de 180 millions de livres du fonds Texas Pacific Group — alors que la banque jurait ses grand dieux ne pas en être réduite à ce genre d’expédient cinq semaines auparavant.

Pire : le groupe va brader ses titres — à 55 pence contre 82 pence — pour faciliter la levée de fonds. Cela ne fait que renforcer la méfiance des investisseurs. Face à la grogne des principaux actionnaires, le président de B&B, Steven Crawshaw, a démissionné dimanche dernier. Il invoque pour sa défense le fait que la hausse des arriérés (les incidents de remboursement) n’était ressortie que dans les données comptables du mois d’avril.

** Il s’agit précisément du mois où le marché immobilier britannique a connu un véritable passage à vide. La NBS (Nationwide Building Society) a calculé que les prix immobiliers avaient baissé de 2,5% en Grande-Bretagne, une chute record mais qui ne constitue qu’une moyenne nationale.

L’essentiel du marché se fait à Londres et l’épicentre de l’activité se situe dans un périmètre de cinq kilomètres autour de la City. Les écarts de prix à la baisse qu’évoquent à mots couverts les banquiers, les traders — anciennement gavés de bonus — et les agents immobiliers seraient compris entre -15 et -20% au cours des six derniers mois.

Il s’agit d’une chute tout à fait comparable à celle constatée de la manière la plus concrète depuis un an dans un rayon de 30 à 50 kilomètres autour du centre de Los Angeles… y compris dans l’Orange County, une communauté urbaine qui compta au début du XXIe siècle parmi les plus riches du monde et où les commissions encaissées par les agents immobiliers représentèrent en 2006 jusqu’à 1% du PIB de l’état de Californie !

Même si les chiffres concernant Londres sont très exagérés — peut-être pas tant que cela ! –, le fait qu’ils soient jugés plausibles trahit une véritable capitulation psychologique. Nous savons que certains particuliers — pas forcément fortunés — cherchent à se délester dans l’urgence de surfaces acquises quelques mois auparavant, sur la foi de projections de rendements locatifs à faire pâlir d’envie une société foncière louant des boutiques sur les Champs-Elysées.

** Pour en revenir à B&B, ses malheureux actionnaires ont déjà perdu les deux tiers de leur mise en un an. Ils ont reçu hier le coup de grâce avec un plongeon initial de 32% — le titre atteignant un cours plancher de 60 pence.

Face à tant de contrariétés, les opérateurs britanniques n’ont pas réussi à « maintenir leur lèvre supérieure rigide », et c’est en arborant un rictus des mauvais jours qu’ils se sont délestés de Royal Bank of Scotland (-2%) et surtout d’HBOS (déjà évoqué). Ces deux banques préparent des augmentations de capital massives et plus personne n’ose espérer que cela soldera leurs problèmes de trésorerie une bonne fois pour toutes.

** L’insouciance du mois de mai semble voler en éclats. D’après l’enquête d’un des plus célèbres instituts de sondage américains, le moral des investisseurs américains serait tombé, fin mai, à son plus bas niveau depuis le début de la guerre en Irak, cinq ans auparavant.

A ce propos, nous ne pouvons passer sous silence les appels répétés de néoconservateurs dans la presse et les médias américains les plus « à droite » en faveur de frappes militaires en Iran. Il s’agirait de viser les casernes des Gardiens de la révolution afin de faire chuter le régime des mollahs de Téhéran avant les présidentielles de novembre.

Il n’est peut-être pas pertinent d’établir un lien avec la brusque remontée du baril de pétrole de 126 $ vers 129 $ lundi soir. Après tout, la chute de Wall Street, entraînant une vague d’arbitrages au profit des commodities, serait une explication tout aussi valable. Cependant, la flambée observée entre 113 $ et 135 $ — alors que les actions grimpaient de concert — invite à ne pas négliger le contexte géopolitique et la ligne dure adoptée par la Maison-Blanche vis-à-vis de l’Iran.

Philippe Béchade,
Paris

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