La Chronique Agora

Tout va mal… sauf pour Wall Street !

Il n’existe plus aucun problème sur Terre qui ne puisse être résolu par un algo et quelques baisses de taux !

Rien ne semble plus naturel que le merveilleux !

Rien ne va en matière de déficits budgétaires (records), ni en Europe ni outre-Atlantique. Rien ne va en termes de demande de crédit des agents économiques (effondrement). Rien ne va en termes d’anticipation de croissance pour 2024 (récession dans l’UE). Rien ne va en termes de visibilité politique (Joe Biden pourrait sortir du jeu avant les prochaines présidentielles de novembre 2024 et les élections européennes vont consacrer la montée d’un euroscepticisme sans précédent). Rien ne va dans l’offensive israélienne à Gaza (3 otages tués par erreur, 2 chrétiennes tuées par un sniper, un « agent » français tué par une frappe « malencontreuse »). Rien ne va en Ukraine (pénurie de munitions pour Kiev face au rouleau compresseur russe, refus de financement américain, scandales de corruption autour de Zélensky).

Mais, rien n’a jamais aussi bien été durant sept semaines complètes pour Wall Street, au XXIe siècle.

Soyons précis : il n’est pas question d’une performance algébrique record (on a déjà vu mieux que les +17% du Nasdaq-100, ou que les +15% du S&P en deux mois), mais nous avons assisté à un exploit inédit à ce jour : aucune consolidation de plus de 0,55% au cours des 19 dernières séances sur le S&P 500, et aucune de plus de 0,9% en sept semaines.

Et comme si les magiciens des « algos » voulaient rappeler à tout le monde que ces sept semaines de hausse leur doivent beaucoup (une partie du mérite en revient au « verbe magique » de la Fed), ils ont offert à Wall Street une démonstration époustouflante de leur savoir-faire en concoctant une clôture égale – au millième de % près – à celle de la veille sur le S&P 500 (4 720) pour la séance si technique des « Quatre sorcières ».

Après sept heures d’effort, le S&P 500 aligne une septième séance de hausse, qui couronne une septième semaine gagnante d’affilée.

Le degré d’appétit pour le risque serait apparemment le plus élevé depuis décembre 2019, mais les volumes d’achats quotidiens anémiques traduisent symétriquement une méfiance maximale.

Certains gérants évoquent le « rallye le plus détesté de l’Histoire », des analystes techniques le qualifient de « plus artificiel de tous les temps », et des hedge funds de rallye haussier le plus cuisant, puisque leurs paris contrariés à la baisse leur auraient couté un total 90 milliards depuis fin octobre.

Ces « paris contrariens » semblent constituer l’un des moteurs de la hausse funiculaire de novembre/décembre : leur prise à contrepied quotidienne serait devenue une source de gains quasi certains pour des programmes de trading de « dernière génération ».

L’IA « générative » serait-elle parvenue à la conclusion que parmi les déterminants d’un cours de Bourse, les carnets d’ordres et les « stops » l’emportent largement sur la conjoncture qui sont affaire de projections et de spéculations à moyen terme ?

Alors que les positions « longues » ou « short » sur un marché régulé sont parfaitement connues, en temps réel –presque au titre près– et immédiatement exploitables pour déclencher des « pics de volatilité » qui profitent presque toujours à ceux qui ont pu les orchestrer.

Les allusions des traders les plus honnêtes à un phénomène de « short covering » se multiplient depuis mi-novembre : beaucoup de gérants étaient désinvestis fin octobre, et il y a avait une foule d’excellentes raisons pour cela.

Il a suffi alors d’orchestrer un contrepied qui attendait son heure – comme le rebond des marchés obligataires – et les gérants prudents se sont retrouvés « sous-investis », indépendamment de toute réalité économique, présente ou future (une baisse de taux n’est pas forcément un bon signal économique, ce phénomène s’observe d’ailleurs avant la plupart des récessions).

En achetant – même totalement à contrecoeur – des titres, des ETF, des options pour ne pas se faire « distancer » par l’indice de référence, ils alimentent une boucle de rétroaction haussière, qui est un phénomène parfaitement connu depuis plus d’un siècle et qui s’appelle tout simplement une « bulle ».

Rien que de très basique… mais la clé du rallye de fin 2023 réside dans les « variantes » d’un scénario des plus classiques.

Lors d’une séance comme celle du 13 décembre, les valeurs les plus « shortées » ont progressé sept fois plus fort que les actions les plus largement détenues (notamment les « Sept Mercenaires », qui ont perdu collectivement -1,5% ce jour-là).

Un ratio de 7, c’est complètement inhabituel et clairement « extrême ».

Plus des excès de surachat flagrants – ou inversement les situations désespérées de certaines entreprises – attirent de vendeurs, plus leur prise à contrepied s’avère payante. En effet, les spéculateurs s’imposent de couper leurs pertes afin de limiter les appels de couverture et de ne pas plomber la performance globale, surtout à quelques jours d’une échéance trimestrielle comme les « Quatre sorcières ».

Pour exprimer ce phénomène autrement : quand tout semble trop cher, sans lien avec les flux de capitaux futurs (pour rappel, les « Sept Mercenaires » offrent moins de 0,2% de rémunération nette, seule la hausse des cours « rapporte » à leur détenteur), le meilleur moyen de prolonger un rallye haussier est de « plier » les vendeurs à découvert… en vertu d’un adage bien connu qui veut que le vendeur du matin se transforme en acheteur le soir-même, si ses anticipations sont prises en défaut.

De ce fait, plus le présent ou le futur paraissent sombres, plus il y a de vendeurs à plumer (ce fameux « mur de l’angoisse »)… et le jour où un « petit papa Powell » vient ensoleiller l’avenir (même si l’horizon apparaît barré de lourds nuages), cela devient un jour des plus sombres pour les « shorts ».

Car chaque fois qu’un nouveau nuage apparaît, les opérateurs postulent qu’il sera chassé par une baisse de taux supplémentaire : plus il y a de problèmes, plus cela suppose d’assouplissements monétaires… et Wall Street a cru comprendre, ce 13 décembre, qu’il pouvait croire à 100% au « père Powell » et en sa hotte supposée pleine de baisses de taux !

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