La Chronique Agora

Toujours une histoire de futur — mais qui pourrait se lire dans les futures chinois

 

▪ La journée de lundi ne s’annonçait guère passionnante en l’absence des opérateurs américains — en congé pour cause de célébration du Martin Luther King’s Day. Notre attention a cependant été alertée très tôt lundi matin par une brève en provenance de Hong Kong. Elle est pourtant passée pratiquement inaperçue auprès des commentateurs des plus grandes agences de presse internationales couvrant l’évolution des marchés financiers…

Les autorités boursières chinoises ont officialisé hier le lancement du plus important contrat à terme sur indice d’Asie. Le nouvel outil en question s’impose d’entrée de jeu comme un sérieux rival pour le S&P 500 américain.

Il a été baptisé « CSI Cross-Straits 500 ». Il englobe les 300 principales actions cotées à Shanghai et Shenzhen, les 100 plus importantes de l’indice Hang Seng à Hong Kong et les 100 premières capitalisations taïwanaises.

La plate-forme de cotations est développée par le China Securities Index Co., qui regroupe les Bourses de Shanghai et Shenzhen. C’est elle qui gèrera les transactions sur le CSI Cross-Straits 500, dont les composantes représentent 75%  de la capitalisation des quatre principales places de la zone ; cet indice pèse l’équivalent de 4 700 milliards de dollars, soit environ 3 300 milliards d’euros.

La modernisation du marché financier chinois consiste essentiellement dans la possibilité offerte de « couvrir » (et donc de vendre à découvert) les titres les plus travaillés par les investisseurs asiatiques. Cette annonce tombe à point nommé : la Bourse de Shanghai — en pleine incandescence avec des PER voisins de 70 en moyenne — s’est envolée de 80% en 2009.

▪ Ce rally haussier présente toute les caractéristiques d’une bulle spéculative. Cette dernière est alimentée par un détournement des fonds censés soutenir l’économie réelle — notamment le secteur immobilier, dont beaucoup d’experts redoutent qu’il s’apparente déjà à un Dubaï à la puissance 10.

L’abondance de crédit entretenue par la Banque centrale chinoise et la surliquidité chronique alimentent une volatilité vertigineuse depuis trois ans. Le marché a grimpé de 97% en 2007, avant de plonger de 65% en 2008. Cette dégringolade a toutefois été presque intégralement effacée en 2009, comme sur pratiquement toutes les places émergentes.

L’engouement pour ce genre de produits dérivés devrait s’accroître au fil des semaines avec la création de ce nouvel instrument de couverture global.

Les volumes traités sur les différents contrats à terme déjà disponibles en Chine ont explosé de 75% en 2009. Ils encouragent des prises de risque excessives et des comportements qui relèvent de la « Bourse casino ». L’empire du Milieu tout entier succombe de nouveau à tout ce qui s’assimile à un jeu de hasard — ce n’est pas pour rien si Macao est passé dès 2008 devant Las Vegas en termes de chiffre d’affaires sur les machines à sous et le black-jack…

Mais il existe aussi des Chinois qui font figure de mauvais perdants aux yeux des banques occidentales. La Shenzhen Nanshan Power, par exemple, a subi des pertes de 80 millions de dollars qu’elle impute à une couverture sur le pétrole recommandée par Goldman Sachs. Cela donne d’ailleurs lieu à un procès dont les attendus et les conclusions vont être riches d’enseignements…

▪ La mauvaise orientation des places asiatiques ce lundi matin (-1,15% à Tokyo, -0,9% à Hong Kong, -0,25% à Taïwan… mais +0,4% à Shanghai) n’a pas démenti la tradition du lundi haussier : les indices terminent dans le vert dans 90% des cas depuis début novembre.

Le CAC 40 s’est adjugé 0,58% à 3 977 points, dans un volume anecdotique de deux milliards d’euros. Les échanges ont tourné au ralenti mais un biais acheteur s’est imposé à Paris comme à Francfort (+0,75%) ou Londres (+ 0,7%). L’Eurostoxx 50 engrangeait pour sa part 0,6%.

Il n’y aura pas d’indicateurs économiques majeurs jusqu’à mercredi (à l’exception de l’indice ZEW en Allemagne mardi matin), ni de trimestriels aux Etats-Unis. En leur absence, il faut de nouveau se tourner vers les places asiatiques pour évaluer le degré d’optimisme des marchés et commencer à évaluer l’impact de la montée en puissance des marchés à terme évoqués en début de Chronique.

Le sentiment général est resté relativement neutre sur le Vieux Continent — faute de visibilité concernant la croissance et le timing d’un inéluctable resserrement du loyer de l’argent par la Fed et la BCE. Les indices boursiers, en revanche, ont bénéficié de la nette progression des titres des secteurs du luxe et de la distribution.

Les investisseurs se sont enthousiasmés pour les bons résultats de la division « horlogerie » du groupe helvétique Richemont (Cartier, Piaget, Jaeger Lecoultre, Vacheron Constantin, Mont Blanc…). Son chiffre d’affaires a augmenté de 2%, à 1,585 milliard d’euros — alors que l’effet dollar s’est avéré négatif à hauteur de 7%.

Une euphorie communicative puisque LVMH surperformait le CAC 40 avec une hausse de 1,75%. L’Oréal affichait +2,1% et PPR gagnait 1,9%, porté par une recommandation positive de la part de Morgan Stanley à « surpondérer », motivée par les perspectives de Gucci.

▪ Et devinez pourquoi la plupart des analystes anticipent une année 2010 en or massif ?… Parce que les Chinois, loin de succomber uniquement à leur penchant immodéré pour le jeu, font preuve d’un appétit sans limite pour tous les signes de richesse ostentatoires « made in France/Italy/Switzerland« .

Mais c’est peut-être aller un peu vite en besogne et faire un pari assez risqué sur le non-éclatement des bulles spéculatives en Asie. Lutz Bethge, le directeur général de MontBlanc, reconnaît que la Chine représente plus de 10% de son chiffre d’affaires et vient de détrôner les Etats-Unis, mais il se refuse à faire des prévisions pour l’année en cours. « Personne ne sait ce qui se passera au cours 12 prochains mois, il y a toujours beaucoup d’incertitudes ».

Monsieur Bethge ne lit décidément pas assez d’études positives concernant son activité. Il n’a toujours pas compris que le PIB chinois est sur les rails d’une croissance éternelle à 10%, et que quelle que soit la gravité des crises économiques, les riches sont toujours plus riches… comme le découvrent les Etats-Unis avec les bonus des banquiers de Wall Street.

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