La Chronique Agora

Faut-il (toujours) stocker son or en Allemagne ?

Lorsque l’on évoque l’Allemagne, on pense tout de suite « rigueur » et « efficacité ». Les qualités allemandes font-elles de notre voisin un bon candidat pour assurer le stockage de vos métaux précieux ?

Chaque année depuis 2019, Ronald Stöferle et Mark Valek (S&V) dédient un chapitre de leur rapport In Gold We Trust au stockage de l’or à l’étranger. En 2022, les deux Autrichiens considéraient l’Allemagne comme un très bon candidat.

Trois ans plus tard, est-ce toujours le cas ?

Commençons avec les aspects positifs de la situation…

Quelles quantités d’or possède la Bundesbank ?

« La Bundesbank, possède la 2e plus grande réserve d’or physique après les Etats-Unis, soit [3 351,5 tonnes à fin 2024]. Cela équivaut à [74,3%] du total des réserves de change de l’Allemagne, un niveau similaire à celui des Etats-Unis. La majorité de ces réserves ont été accumulées dans les années 1950 et 1960 au travers de la conversion de dollars américains excédentaires. […] Depuis l’an 2000, les avoirs en or du pays n’ont que légèrement diminué, dans le but de frapper des pièces. Le programme de rapatriement de l’or de la Bundesbank a fait la une des journaux. Il a permis de rapatrier plus de 600 tonnes d’or en Allemagne, faisant de Francfort l’un des plus grands stocks d’or au monde« , indiquent S&V.

Graphique réserves or banques centrales

Réserves d’or des banques centrales par habitant, en onces troy (Allemagne, Grande-Bretagne, Canada, 2020)

Ce n’est pas tout.

Les investisseurs particuliers allemands sont friands d’or

En Allemagne, l’or jouit d’une grande popularité auprès des investisseurs particuliers. « Selon une étude menée par la Reisebank allemande et le centre de recherche sur les services financiers de l’université Steinbeis de Berlin, les adultes allemands possèdent en moyenne 75 grammes d’or. […] Au total, environ 12 000 tonnes d’or sont détenues en Allemagne. »

Et on n’a pas de mal à comprendre l’enthousiasme des épargnants allemands puisque « les bénéfices provenant de la vente d’or sont exonérés d’impôts pour les investisseurs privés après la période de spéculation d’un an« , comme le rappellent S&V.

On relèvera une ombre au tableau, cependant : en Allemagne, l’anonymat de la propriété privée se retreint comme peau de chagrin. En particulier, la limite des paiements anonymes en espèces pour les achats d’or a été ramenée de 14 999,99 € à 1 999,99 € en 2020.

Nombre d’onces d’or pouvant être achetées de manière anonyme en Allemagne et en Autriche, 01/2010 – 05/2022

Il s’agit d’une politique classique au sein de l’Union européenne, et la situation n’est pas près d’aller dans le sens d’un plus haut niveau de confidentialité.

Passons aux institutions et à l’économie…

Une structure de gouvernance décentralisée et une politique budgétaire prudente

Le succès économique allemand doit beaucoup aux règles juridiques qui prévalent Outre-Rhin.

S&V relèvent « la structure de gouvernance décentralisée et fédérée de l’Allemagne », ainsi qu’ »un Etat de droit solide » et un niveau de corruption « très faible ».

La pression fiscale y est également moins élevée que chez nous, la mentalité allemande se caractérisant par la prudence budgétaire (l’épisode hyperinflationniste de la République de Weimar n’y est pas étranger).

Depuis 2012, alors que la dette publique allemande se montait à 80% du PIB, le ratio dette/PIB s’est même inversé pour repasser en 2019 sous le critère de Maastricht de 60%. La crise de COVID-19 n’a pas fondamentalement changé la donne : fin 2024, l’Allemagne n’était endettée qu’à 62,8% de son PIB (contre 111,3% pour la France).

En définitive, S&V estimaient en 2022 que « si les avantages de l’environnement juridique et politique solide de l’Allemagne, soutenu par un système économique résilient, [étaient] évidents, sa culture peu encline au risque mais très favorable à l’or [faisait] de ce pays l’une des principales juridictions de stockage de lingots au monde ».

Trois ans plus tard, le tableau est beaucoup moins reluisant…

La locomotive de l’Europe… en récession !

Avec un PIB de 4 530 Mds$ en 2024, l’Allemagne est certes la 3e économie mondiale. (Le PIB français se montait quant à lui à 3 060 Mds$ en 2024.)

Cependant, on ne voit plus guère de fumée s’échapper de celle qui fut longtemps la locomotive de l’Europe.

Notre voisin dispose de nombreux autres atouts au plan économique : « Un solide paysage de PME avec une multitude de champions dans des secteurs de niche […], un secteur manufacturier de haute qualité qui s’oriente vers les exportations mondiales soutenu par l’efficacité allemande, et une main-d’œuvre bien formée. Le slogan ‘Made in Germany’ en dit long », comme le soulignent S&V.

Cependant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a signé la fin du modèle économique auquel l’Allemagne doit son succès. Celui-ci était basé sur :

Ces trois éléments ayant disparu, l’industrie allemande est en crise. En 2024, la production industrielle se situait à plus de 15% en dessous de son niveau de fin 2017 !

Allemagne : contribution à la production industrielle (2015-2024)

Et comme l’industrie allemande va mal, l’Allemagne est en récession, et ce depuis 2023.

Pour ne rien arranger, la démographie allemande est chancelante, ce qui renforce la dépendance de Berlin à son modèle économique mercantiliste dépassé. Comme l’expliquent S&V : « La population allemande vieillit rapidement. Avec un taux de fécondité inférieur à 1,6 et un âge médian de 46 ans, l’Allemagne se dirige vers un déclin démographique […]. Cette tendance ne fera que renforcer la dépendance du pays à l’égard des exportations […]. »

Ce n’est pas tout.

L’Allemagne n’est pas à l’abri d’une invasion russe

Au plan géographique, le pays a neuf voisins immédiats, « souffre d’une absence de frontières naturelles » et d’une « topographie globalement plate », ce qui le « rend vulnérable aux invasions », comme le relèvent S&V.

D’où la stratégie de développement de ce qui est devenu l’Allemagne au fil des siècles : « acquérir une domination régionale assise sur la stabilité et la force internes afin de dissuader ses voisins d’envahir la région ».

Cependant, face à l’ogre russe, la domination régionale de l’Allemagne ne pèse pas lourd. La Russie de Vladimir Poutine va-t-elle traverser l’Europe de l’Est pour finir par sabler le champagne à Berlin ? N’étant pas Madame Irma ni un spécialiste des questions militaires, je n’en sais évidemment rien.

Ce que je peux dire à ce stade, c’est qu’en dépit de ses velléités de réarmement, l’Allemagne ne dispose que d’une armée lilliputienne, et Berlin ne dispose pas de l’arme nucléaire.

Comme nous sommes ici pour envisager toutes les hypothèses, je vous propose un scénario de Philippe Fabry. Le fondateur de l’Historionomie, qui avait prévu l’invasion ukrainienne par Moscou, explique comment la Russie pourrait prendre le contrôle de l’Allemagne : avec « l’arrivée des forces russes sur la frontière allemande« , le gouvernement allemand passerait « aux mains d’élites prorusses ».

La suite ? « Poutine cherchera alors une sortie du conflit en conservant ses gains, c’est-à-dire l’hégémonie sur la moitié de l’Europe et en particulier le coffre-fort allemand. Il tentera d’obtenir une paix séparée avec la France et les pays d’Europe du Sud, afin qu’ils se déclarent neutres. Les USA (et les Anglais) refuseront certainement d’admettre la victoire russe ; France, Italie et Espagne pourraient accepter la neutralité façon Espagne de Franco. La Russie étant incapable de frapper plus loin ou de frapper directement les USA (manque de capacité de projection + risque nucléaire), la situation sera une impasse. La solution sera alors cherchée par la conduite de conflits secondaires pour contrôler des zones périphériques. »

Personne ne connaît l’avenir, et il ne s’agit bien sûr là que d’une hypothèse. Cependant, ma responsabilité vis-à-vis de mon or est de prévoir le pire.

Alors, l’Allemagne reste-t-elle un bon candidat pour stocker vos métaux précieux ?

L’Allemagne ne figure pas sur ma shortlist des pays éligibles à la conservation de mon métal.

Notre voisin a longtemps disposé d’atouts incontestables, mais le règne d’Angela Merkel (qui ne regrette rien de son action politique) les a réduits à presque rien. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a pas arrangé les choses, loin s’en faut.

Autrement dit, l’Allemagne ne tient pas la comparaison avec la Suisse.

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