Les précédents historiques et tous les facteurs macroéconomiques ou géopolitiques comptent pour bien peu quand les marchés veulent monter. A croire que certains investisseurs ont des informations d’avance…
A 15 jours de la trêve des confiseurs, à 6 750 points, le CAC 40 a retrouvé ses niveaux du 24 janvier (c’est-à-dire un mois avant l’invasion de l’Ukraine). Notre indice de référence parisien perd donc moins de 5,5% sur une année qui semble pourtant concentrer le pire de ce que pouvait imaginer un investisseur. D’autant que les valorisations au 1er janvier 2022 étaient les plus extrêmes observées depuis la bulle des dot-com.
Onze mois et un jour plus tard (le record absolu a été établi le 5 janvier), tout ce qui alimentait la confiance des marchés semble avoir été mis sur « off ». Les marchés obligataires – qui se trompent rarement – affichent une inversion de la courbe des taux qui se radicalise, notamment aux Etats-Unis avec un écart de 115 points entre le 12 mois et le 10 sans.
Le 1 mois affiche 3,91% de rendement, contre 3,51% pour le 10 ans, 3,79% pour le 20 ans et seulement 3,56% sur le 30 ans. Depuis un siècle, un tel schéma a débouché sur une récession dans… 100% des cas.
Le rally de l’impossible
Mais il finit toujours par se produire des exceptions… Comme, par exemple, ces neuf semaines de hausse consécutive du CAC 40, de l’Euro Stoxx 50 et du S&P 500. Ce n’était jamais arrivé (sept semaines positives tenaient déjà du prodige, même avec tous les voyants macroéconomiques et géopolitiques au vert) et, pourtant, cela fera partie à l’avenir des scénarios boursiers possibles.
De même, en un siècle, jamais les marchés n’avaient progressé autant en quelques semaines, alors que 200 points de taux d’intérêts anticipés sont apparus sur un intervalle de 3 mois, alors que la production industrielle recule, alors que l’inflation dépasse les 10% et alors que la croissance est passée de 3,8% à zéro en 12 mois.
Mais Wall Street et le CAC 40 ont enchainé quatre semaines à la hausse… de plus que ce que l’hypothèse la plus optimiste le prévoyait dans le meilleur des cas.
La seule explication qui pourrait rendre ce « rally de l’impossible » justifiable serait que quelques initiés aient été prévenus que les taux directeurs de la Fed vont être ramenés de 5,00% à zéro sous six mois, et que le quantitative easing va être rétabli dès le 1er janvier… un peu comme lors du grand retournement de veste de la Fed de Noël 2018.
A l’époque, il avait fallu presque quatre mois (17 semaines) au CAC 40 pour gagner 1 000 points, de 4 600 vers 5 600, la plus longue série haussière étant de six semaines (début janvier/mi-février). Mais c’était avec une Fed qui réduisait fortement ses taux (et non l’inverse) et injectait de nouveau des torrents de liquidités (au lieu d’en éponger 95 Mds$ par mois).
Jerome Powell a confirmé l’hypothèse d’un resserrement monétaire de 50 points de base au lieu de 75 en décembre, mais il n’écarte pas la possibilité d’aller au-delà des 5% au 1er trimestre 2023… c’est-à-dire bien au-delà des niveaux de fin 2018 (2,75/3,00%)
Rappelons par ailleurs qu’au premier trimestre 2019, aucune pénurie d’énergie ne menaçait l’Europe, aucune coupure de courant n’alimentait les conversations à la cantine le midi et lors des repas en famille.
Une foule de facteurs à ignorer
En ce qui concerne les gérants, ils n’en étaient pas réduits à « suivre le rally » sans comprendre sur quoi il reposait, parce que tout le monde comprenait que les banques centrales avaient rétabli « l’open-bar monétaire » pour longtemps.
Et surtout, ils ne se demandaient pas si la Russie allait lancer une grande offensive sur l’Ukraine dans les jours à venir, ce qui pourrait pousser l’Otan à s’impliquer davantage sur le terrain, au risque de voir le conflit faire tache d’huile à l’ouest de l’Europe.
L’Allemagne ne voyait pas non plus ses réserves de gaz rebaisser subitement avec l’arrivée des premiers froids… puisque cette ressource lui parvenait de Russie en quantité quasi illimitée par Nordstream-1 et un réseau de gazoducs continentaux.
Ce 5 décembre était par ailleurs la date fixée par les Européens et leurs alliés de l’Otan pour interdire aux pétroliers russes d’accéder aux portes des pays ayant décrété des sanctions visant à faire renoncer Moscou à ses objectifs territoriaux en Ukraine… sans succès.
Vu l’état des stocks de carburant en France et outre-Rhin, le diesel risque de commencer à manquer dès le début de l’année 2023, ce qui mettra en grande difficulté nos transporteurs routiers, les salariés n’ayant que leur véhicule pour se rendre au travail. De plus, les exploitations agricoles pourraient se trouver confrontées à des pénuries de fuel et contraintes de réduire leur activité, ce qui fera exploser les prix alimentaires puis remonter d’autant plus vite les indices d’inflation.
Ce qui d’ailleurs semble d’ores et déjà inévitable vu la baisse des quantités d’engrais azotés mise en œuvre suite au triplement du prix à la tonne d’ANFO en 2022 (de 280 $ vers 840 $).
Car sans gaz, pas d’ammoniac, et sans ammo-nitrate, pas d’engrais.
C’est toutes ces réalités que les marchés occultent avec un zèle qui force l’admiration depuis fin septembre.
Et peu importe que l’actualité soit remplie de vents contraires – ou que le « pivot de la Fed » ne soit qu’un narratif permettant de rationaliser le rally boursier le plus inconcevable techniquement du XXIe siècle. Car, ce qui compte, c’est qu’il y ait du vent : normal pour une hausse qui repose dessus…