▪ Les places boursières européennes ont repris leur ascension après deux semaines de quasi-stagnation. L’Euro-Stoxx 50 a engrangé 1,5%, surperformant ainsi largement Wall Street : le Dow Jones cumulait au mieux 1% et le Nasdaq 0,5% à la mi-séance.
A Paris, les multiples tests des 4 000 points survenus au cours des séances de jeudi et vendredi ne traduisaient en rien un retour des acheteurs. Après 3,5 milliards d’euros échangés le 25 mars (un score dans la petite moyenne), l’activité est retombée le 26 avec seulement 2,8 milliards négociés. Rien n’a bougé ou presque durant plus de sept heures : le CAC 40 avait entamé la séance à 3 990 points et la clôture s’effectuait sur un niveau de 3 989 points (-0,29%).
L’ultime tentative d’accrocher la barre des 4 000 points (vers 15h) a échoué parce que Wall Street donnait rapidement des signes de faiblesse. Les indices américains, qui grappillaient initialement 0,3%, affichaient à la mi-journée une perte symétrique de 0,2% à 0,4%, sauf le Dow Jones qui tentait de se maintenir à l’équilibre.
▪ A l’exception de la séance de jeudi — où le sort boursier de toute la semaine s’est joué en quelques minutes sur la formule magique de Ben Bernanke concernant la pérennité de l’argent éternellement gratuit –, il se dégage des marchés un sentiment de profond ennui.
La même pensée unique concernant les conditions d’investissement favorables induites par des taux bas et la confiance dans la capacité des entreprises à extraire de la croissance à un rythme de +35% en 2010 (par rapport à 2009) est martelée inlassablement par des stratèges qui, lorsqu’on les écoute attentivement, ne font que suivre la tendance.
Plus les cours montent, plus ils sont convaincus de la pertinence de leur discours. Jamais ils n’envisagent que la reprise dont ils claironnent la vigueur n’existe qu’à l’état embryonnaire, et encore, grâce aux plans de relance dont les effets touchent à leur fin.
Tout comme lors de la gestation de la crise des subprime, le déni du risque que fait peser l’endettement des Etats sur la croissance et la consommation (via l’alourdissement de la fiscalité) est une attitude intellectuelle pratiquement hégémonique.
Ils ne parviennent pas à faire le lien entre une masse de dettes sans précédent, des dégradations de notation à la périphérie, des leaders économiques occidentaux et un renchérissement du coût de la ressource — même si les banques centrales laissent leurs taux au niveau zéro.
Tout comme pour les subprime (et malgré les menaces de faillite de Bear Stearns et des réassureurs de crédit dès l’automne 2007), il s’agit d’une problématique hors sujet, sans risque de contamination à l’économie réelle.
▪ Le véritable état de l’économie réelle, c’est bien le dernier sujet dont les marchés ont envie de se soucier. Le diagnostic de Ben Bernanke devrait pourtant leur donner à réfléchir : le président de la Fed ne cesse de répéter que la reprise est poussive — mais d’où sort donc cette hausse de 5,6% du PIB américain, chiffre révisé de 5,9% estimé précédemment ? Il affirme aussi que l’emploi se stabilise (la durée moyenne du chômage s’allonge, le temps de travail s’amenuise, la masse salariale se contracte)… Pourtant, les marché continuent de faire comme si le rebond économique suivait le modèle des sorties de récession de 1993 et 2003.
Le patron de la Fed illustrait jeudi, peut-être involontairement, un paradoxe qui résume à lui seul la forme de récession que connut le Japon de 1990 à l’an 2000 : il fondait son optimisme sur le fait que « les maisons n’ont jamais été aussi abordables »… Mais dans le même temps, des statistiques publiées mardi et mercredi nous confirmaient que jamais les banques n’avaient accordé aussi peu de crédits immobiliers depuis 2007, et que jamais il ne s’était vendu aussi peu de maisons depuis 1963.
Souvenez-vous qu’au Japon, plus les logements devenaient abordables, moins les gens les achetaient…et pourtant il y avait pénurie de surface habitable. Alors imaginez les Etats-Unis avec un excédent estimé à trois millions de logements et des stocks qui représentent 10 mois de transactions au rythme actuel… Les acheteurs solvables ne se précipitent pas.
Au milieu de XXe siècle, les fabriquants de poêle à charbon pouvaient solder leurs stocks autant qu’ils le pouvaient, la fée électricité et les chaudières au fioul condamnaient irrémédiablement ce mode de chauffage malcommode et polluant.
▪ Aujourd’hui, tout comme hier, c’est tout simplement l’excès de dette qui tue l’immobilier. Et il ne le tue pas qu’à petit feu. Après l’infarctus massif de 2008, le bon docteur Bernanke a mis en place un réseau de perfusions sans précédent… mais le malade, dont les bulletins évoquent un état stationnaire, est toujours plongé dans un coma profond.
La plupart des organes vitaux sont incapables de fonctionner de façon autonome. Les stimulants dont ils sont saturés (notamment les rachats massifs de dérivés de crédit) commencent à les ronger de l’intérieur.
L’état du système sanguin se détériore, les tissus se nécrosent : trois millions de maisons invendues sont en train de pourrir sur place en attendant un improbable acquéreur… Et la Fed annonce la suspension progressive des injections d’adrénaline.
Officiellement, c’est parce que l’état du patient ne lui inspire plus d’inquiétude. La vraie raison, tout le personnel médical la connaît : le coeur de la spéculation s’est emballé, la pression artérielle atteint le seuil critique (le taux d’obnubilation haussière a dépassé les 75%, c’est au-delà de la dose mortelle), l’accident vasculaire cérébral ne constitue plus une simple menace théorique — c’est devenu une certitude.
Pour le profane, un pouls boursiers qui bat à 240 (le Nasdaq flirte avec les 2 400 points), une tension qui flirte avec les 25 (de PER), c’est peut-être synonyme d’espoir d’un réveil imminent… mais c’est surtout le symptôme d’une profonde détresse respiratoire.
Cependant, toujours comme pour la crise des subprime, la Fed, les agences de notations, les stratèges de banques ne font que parler de la petite rééducation que devra subir le patient (qui va déjà beaucoup mieux) dès qu’il sera tiré d’affaire, ce qui leur semble plus que jamais imminent. Les journalistes financiers, qui ne veulent pas rater l’événement, sont depuis longtemps massés devant l’hôpital et guettent fébrilement les fenêtres du service des urgences.
Le bon docteur Ben leur a en effet expliqué que lorsque les lumières s’éteindraient, cela voudrait dire que son équipe conduit le patient vers la salle de réveil… Mais pendant combien de temps encore vont-ils gober cette version ? Comment peuvent-ils lui faire encore confiance après le précédent de 2007/2008 ?
Surveillez plus attentivement que jamais les swaps sur les défaillances de crédit (CDS). Pas seulement sur les banques mais en priorité sur la dette des Etats — qui constitue le coeur des actifs gérés par les fonds de retraite et les plus gros établissements de crédit.
Le niveau d’endettement des Etats-Unis reste totalement incompatible avec des « taux bas pour une période de temps interminable ».