La Chronique Agora

Ces 20% de survalorisation de l’euro qui posent problème

▪ Les traders restent l’oeil rivé sur la parité euro/dollar, devenue le baromètre de l’appétit ou de l’aversion pour le risque dans l’Eurozone. Mais il devient difficile de prétendre que l’euro constitue le témoin infaillible de la confiance dans la pérennité de la Zone euro car les tensions sur les dettes souveraines — exacerbées en novembre — ont à peine entamé son crédit aux yeux des cambistes.

Les taux longs ont grimpé de 100 points de base en Espagne et en Italie, de 50 points de base en France et en Belgique depuis le 1er novembre… Or l’euro ne perd que 1%, de retour sur ses planchers mensuels établis deux semaines auparavant.

La Grèce et l’Italie ont vu leurs dirigeants balayés par la défiance que leur témoignaient les marchés ; aujourd’hui, les problèmes structurels restent entiers à l’échelon local. L’Allemagne et la France s’écharpent sur la façon de contenir les attaques spéculatives contre les dettes souveraines… la discorde et la confusion règnent au plus haut niveau mais l’euro ne lâche rien.

Qui aurait osé parier que la monnaie unique se maintiendrait au-dessus des 1,35 $ avec des taux longs italiens à 7% et un spread (écart de rendement) de 180 points de base entre le Bund (dont la rémunération plafonne sous 1,80%) et l’OAT (qui navigue entre 3,60 et 3,70% depuis le 10 novembre dernier) ?

▪ Début juin, l’euro flirtait avec les 1,47 $ et le CAC 40 avec les 4 000 points. Compte tenu des déboires qui s’abattent sur les gouvernements et les places boursières de la Zone euro depuis, ceux qui s’accrochent à leurs placements en euro s’en tirent sans trop de casse. C’en est même assez troublant. Rappelez-vous : dans des circonstances de tension des taux moins extrêmes, l’euro avait plongé de 20% de mi-novembre 2009 à début juin 2010.

Pourtant, jamais la Grèce ne s’est retrouvée aussi proche de la sortie. Le tabou de son retour à la drachme (pour ne pas dire son exclusion consentie de l’Eurozone) est tombé fin octobre. Il n’est pas certain que d’autres pays surendettés et confrontés à une récession dont on cerne mal l’issue (encore cinq ou dix ans de galère ?) ne se laisseraient pas tenter par une reprise en main de leur propre destin monétaire.

L’Angleterre est comptablement en faillite ; son système social est en miettes, le chômage explose mais la Bank of England monétise la dette à tour de rotatives : la City et la livre affichent une santé insolente. Si la livre recule épisodiquement face au dollar, c’est de façon délibérée et parce que cela soutient les exportations britanniques.

▪ Compte tenu du niveau de croissance anticipé en Zone euro pour 2012 (+0,6%), c’est le dollar qui apparaît notoirement sous-évalué. Les experts de Morgan Stanley se sont empressés de réviser à la hausse leurs prévisions de croissance du PIB US de 3,3% à 3,5% en rythme annuel, ce qui a contribué à propulser le baril de pétrole au-dessus des 100 $.

C’est en réalité le pire des scénarios pour l’économie américaine. La hausse des prix du pétrole menace le pouvoir d’achat et impacte les coûts de l’industrie locale. Mais les indices boursiers américains repassent tous dans le vert par rapport au 1er janvier. Vous souvenez-vous de ce que valait la parité euro/dollar au 1er janvier 2011 ? Exactement 1,3450, c’est-à-dire son niveau médian de la séance des 15 et 16 novembre derniers. Les places du Vieux Continent chutent de 20% en moyenne depuis le 1er janvier à parité monétaire constante. Cherchez l’erreur !


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Si la véritable menace était la dislocation pure et simple de l’Eurozone, alors le dollar aurait dû prendre 20%… Mais nous ne devons pas perdre de vue que le dollar a été opportunément affaibli de décembre 2010 jusqu’à fin avril 2011 par le QE2 de la Fed, ce qui a été particulièrement profitable à Wall Street.

Le billet vert a, comme par hasard, atteint son plancher avec une parité à 1,4900 lorsque Ben Bernanke a fait comprendre aux marchés qu’il n’y aurait pas de QE3.

Pour être parfaitement cynique, les Etats-Unis ont tout intérêt à faire douter de la survie de l’Eurozone pour capter le montant d’épargne mondiale nécessaire au refinancement de leur dette colossale… tout en s’arrangeant pour maintenir l’euro le plus haut possible (via des achats massifs de Bunds) afin de plomber le commerce extérieur du Vieux Continent. Cette stratégie commence à s’avérer payante puisque la production industrielle a chuté au mois d’octobre en France et en Allemagne.

La survalorisation de la monnaie unique achève d’ancrer l’Europe dans la récession et de doper artificiellement une économie US qui dysfonctionne à tous points de vue depuis 2007. L’Europe dysfonctionne également, mais au niveau de la gouvernance fiscale et budgétaire. Le couple franco-allemand, considéré comme le « noyau dur » de l’Europe, se trouve maintenant séparé par un écart de rendement obligataire de 200 points.

Nous voici parvenus à un point de rupture ; l’euro pourrait ne pas résister 48 heures de plus à l’inaction de la BCE. Surveillez la cassure des 1,3420 $ (support oblique moyen terme en vert sur le graphique) car un gouffre s’ouvrirait sous nos pieds. L’euro chuterait immédiatement jusque vers 1,3150 $ (le plancher du 4 octobre dernier) mais le principal objectif moyen terme serait le retracement du plancher annuel des 1,29 $.

[NDLR : Philippe Béchade étant absent aujourd’hui, l’analyse que vous venez de lire a été reprise du Billet du Trader, où elle a été publiée hier lundi 21 novembre 2011.]

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