Alors que l’inflation fait rage, les réunions des banquiers centraux sont présentées comme autant de conseils d’état-major pour préparer une contre-attaque et décider d’un plan de bataille. Pour le moment, l’illusion fonctionne, et les marchés réagissent comme prévu.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs ont compris que le seul moyen de maintenir un semblant de légitimité est de tout transformer en guerre.
Pour gouverner, il faut dramatiser.
C’est le prétexte de la guerre qui leur donne les pouvoirs exceptionnels dont ils ont besoin pour continuer à faire « tenir » un système menacé de toutes parts en imposant des sacrifices autrement inenvisageables.
Les autorités doivent donc se déguiser en chefs de guerre, utiliser le vocabulaire et les exagérations, mais aussi faire vivre les citoyens dans la peur afin de faire croire qu’ils les protègent.
Vous n’êtes pas étonnés si donc on utilise le langage de la guerre dans des domaines comme l’économie, la finance et la monnaie – et, bien sûr, le sanitaire. La guerre est l’ultime justification des états d’exception et de l’emprise du non conventionnel.
Les banques centrales à l’arrière, les marchés au front
En matière économique et financière, la guerre est sous-traitée aux banques centrales et à leurs généraux de la monnaie, de la finance et de la banque. Les troupes, ce sont les marchés.
Ces fantassins sur le front, il faut les faire monter au combat, les enivrer, en leur donnant des armes et des munitions afin qu’ils combattent contre le chaos. Pour les enivrer, on a un breuvage, des liquidités, du crédit. On les saoule pour qu’ils protègent l’ordre social. On leur ment aussi, bien sûr.
Avant de quitter son poste de président de la Fed, Ben Bernanke a perdu toute retenue. Avec ses pairs, dans un grand hôtel de New York, il s’est auto-congratulé : « Nous avons sauvé l’ordre du monde ! »
C’était prématuré.
L’état de guerre reste en vigueur
Bernanke a fait entrer le système dans l’état de guerre, il a mobilisé, il a fait monter les marchés au front et jamais il n’a pu organiser la démobilisation. Yellen qui lui a succédé n’a pas eu plus de succès, et Powell a tenté de le faire une fois, mais s’est complètement ridiculisé.
La guerre ne peut être considérée comme terminée et la mission comme accomplie que lorsque tout est terminé, le calme revenu, les déséquilibres résorbés. Et, surtout, quand tous les coûts ont été assumés et les troupes rentrées à la maison.
Ce n’est que lorsque l’on a retiré toutes les béquilles et les échafaudages que l’on voit si l’édifice tient debout. Ce n’est que lorsque l’on a remballé le matériel, que l’on sait que la situation a été rétablie. Tant qu’il faut maintenir les troupes, imposer l’état d’urgence et soutenir les échafaudages, il est prématuré de dire que la mission est accomplie.
Comme les militaires, les chefs de guerre monétaire et financière s’inscrivent dans un champ de qualificatifs guerriers, ils peuvent être colombes ou faucons. C’est exactement le même langage et les mêmes significations qui sont utilisées.
La dernière réunion du FOMC n’a pas fait exception. Le chef de guerre Powell a été qualifié de « hawkish », donc de faucon belliqueux.
Les analystes réagissent
Bloomberg a cité une déclaration factuelle de l’économiste en chef de JPMorgan pour les US, Michael Feroli :
« Les remarques de Powell après la réunion étaient sans doute les plus bellicistes qu’il ait faites en tant que président de la Fed. »
Puis le même média présentait d’autres éléments allant dans le même sens :
« Les traders de taux voient maintenant un risque de plus de quatre hausses de la Fed américaine cette année après les déclarations hawkish de Powell. […] La BofA de son côté surenchérit et en voit sept. »
Et Reuters renchérit avec l’intervention de Tom di Galoma, directeur général de Seaport Global Holdings :
« Je ne pense pas que le président de la Fed, Powell, aurait pu être plus belliciste lors de sa conférence de presse, il l’a été autant que s’il avait relevé les taux aujourd’hui. »
Le décor de la guerre ayant été ainsi planté pour anesthésier l’intelligence, il n’y a plus qu’à dérouler.
Attendez-vous à ce que, à partir de là, tout soit de la propagande, tout soit tronqué et coordonné dans l’intérêt national patriotique.
L’intérêt national, c’est de faire croire que la mission est accomplie. Powell a ainsi sonné la trompette de la victoire sur la déflation, de la victoire sur la dépression, il a vaincu le chômage.
Mais on écoutera demain Powell le « belliciste » plus en détail pour voir ce qu’il raconte vraiment…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]