La Chronique Agora

Suivons ce qu’il se passe à Jackson Hole

Jackson Hole, Fed, Jerome Powell, politique monétaire

La Fed est désarmée face à l’évolution des réalités, mais continue de prétendre le contraire à sa réunion annuelle.

« La réunion de la Réserve fédérale à Jackson Hole pourrait secouer les marchés dans la semaine à venir. »

Tel est le titre de CNBC.

Cette affirmation sentencieuse me rappelle la boutade du grand économiste Charles Rist. Interrogé sur l’évolution future des taux d’intérêt, il a répondu, doctement : « Ils vont varier. »

CNBC n’a aucune idée, mais comme il faut avoir l’air initié, il faut une affirmation forte : « secouer les marchés » ! On ne sait pas ce qui va être dit, ou ce qui va se passer, mais c’est comme la météo, on sait que cela va varier.

La parole de Powell

La Grand-Messe va être dite et elle est importante,  quel que soit son contenu, car l’important c’est le spectacle, la publicité univoque, unilatérale qui consacre le pouvoir des démiurges. Il faut que leur parole soit attendue, soit d’évangile, monopolistique, sans réplique. C’est à cela que servent les mises en scène soit mensuelles, soit annuelles. Il faut organiser et donner à voir l’Autorité.

« Le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, s’adressera à la conférence annuelle des banques centrales mondiales à Jackson Hole, Wyoming, cet après-midi, un discours très attendu qui pourrait indiquer à quel point les coûts d’emprunt américains peuvent monter et combien de temps ils auront besoin de rester élevés pour faire baisser l’inflation galopante. »

Notez au passage la propagande insidieuse, le formatage des esprits : les taux d’emprunts américains, inferieurs à 3% avec une inflation à 8-10%… sont élevés !

Ah les braves gens !

Et puis voici la dramatisation, le roulement de tambour, oyez braves gens ! Prosternez-vous !

« Powell, dans ce qui sera sa cinquième année de prise de parole lors de l’événement, parlera des perspectives économiques à 14h00 GMT, a annoncé jeudi la banque centrale américaine. »

« Le sort du marché des valeurs du Trésor américain de 23 000 Mds$ dépend des nuances des remarques du président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, lorsqu’il s’exprimera la semaine prochaine lors du symposium annuel de la banque centrale à Jackson Hole. »

« Les paris sur l’aplatissement des courbes de rendement ont été gagnants pendant la majeure partie de l’année écoulée, les taux des titres à plus longue échéance baissant par rapport aux indices de référence à plus court terme, et dans de nombreux cas même assez profondément en dessous.

Ces mouvements sont intervenus alors que les traders anticipaient et capitalisaient sur la séquence de hausses de taux de plus en plus importantes de la Fed visant à lutter contre une inflation élevée et persistante. Le rendement du Trésor à deux ans a terminé cette semaine à environ 3,26 % »

Dynamique familière

Ce sont en quelque sorte les affaires comme d’habitude. C’est à dire la comédie habituelle digne du père Ubu.

Le « risk off » avait atteint un élan puissant à l’échelle mondiale en juillet. La dynamique de réduction des risques et de désendettement alimentait de plus en plus l’illiquidité, la contagion et l’instabilité sur les marchés mondiaux dominait. Des bulles éclataient. Les ventes liées aux produits dérivés commençaient à être désordonnées. En bref, les marchés mondiaux étaient au bord d’une énième grave dislocation – d’un colmatage de la plomberie.

Puis, comme ils l’ont fait régulièrement au fil des ans, les régulateurs sont allés à Canossa devant le dieu-marché, ils ont prononcé les paroles de soumission, et tout est rentré dans l’ordre.

Cette dynamique vous est, bien sûr, familière : je la commente depuis des décennies sans jamais avoir été pris en défaut. Lorsque l’instabilité devient suffisamment grave, les initiés anticipent instinctivement les réponses politiques accommodantes des banques centrales et tondent le public et ses caisses de retraites.

Les initiés n’ont pas été déçus. Qu’on en juge :

La BCE affirme : « Douter de notre engagement serait une grave erreur. » Elle a eu raison avec son nouvel outil « anti-fragmentation ».

La Banque du Japon a fait sa part, assurant aux marchés mondiaux qu’elle était tout sauf en train d’envisager de renoncer à une politique monétaire ultra-accommodante ou à son plafond de courbe de rendement.

A Pékin, c’est un véritable catalogue de mesures de relance qui a été annoncé.

A New York, les responsables de la Fed ont fourni suffisamment de messages biaisés pour qu’il soit raisonnable de les interpréter comme précurseurs au fameux pivot accommodant.

Après tout, Powell ne commande rien, il est serf, tenu en laisse par les fameuses « conditions financières ». Depuis Greenspan, on sait que l’on ne peut plus jamais contrarier les marchés trop longtemps et depuis 2008 on sait que les vaisseaux ont été brulé, on ne peut plus revenir en arrière…

On ne joue plus qu’à la marge. Ainsi, alors que, quelques jours plus tard, la spéculation haussière indésirable est revenue en force, il faut essayer de tempérer. Les déclarations pitoyables, voire indignes, sont de retour !

Suivons-les puisque nous sommes leurs maîtres. Comme nous l’indiquais Reuters le 18 août :

« Le récent assouplissement des conditions financières aux Etats-Unis, y compris une flambée des cours des actions, peut avoir été basé sur un sentiment trop optimiste que l’inflation atteignait un pic et que le rythme des augmentations des taux d’intérêt était susceptible de ralentir, la présidente de la Réserve fédérale de Kansas City, Esther George, a déclaré que le rythme et le niveau ultime des futures hausses de taux restaient un sujet de débat. ‘Pour savoir où se trouve ce point d’arrêt […] nous allons devoir être complètement convaincus que le chiffre d’inflation diminue’, a-t-elle soutenu. »

En conclusion, il faut à nouveau pagayer ou pagailler dans le sens du resserrement ! Le « short squeeze » est terminé.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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