La Chronique Agora

Le SRD long only : la tentation ultime du spéculateur sur les small caps

▪ Qu’ont de commun Rio Tinto et Oxis International ?

Déjà, ce n’est pas leur capitalisation, non. Rio Tinto pèse en Bourse plus de 70 milliards d’euros quand Oxis International ne pèse que 0,47 million d’euros (mero).

Ce n’est pas non plus leur métier de base. Rio Tinto est l’un des leaders mondiaux dans la recherche, l’exploration et l’exploitation de minières. Oxis International, pour sa part, est l’un des spécialistes dans la recherche, le développement et la vente de produits nutraceutiques (terme que vous connaissez peut-être sous le terme de « alicament » condensé de « aliment » et de « médicament ») dans le domaine de la réduction du stress oxydatif.

Rien de commun a priori entre ces deux sociétés sauf que… elles appartiennent toutes les deux au segment SRD long only à la Bourse de Paris.

▪ La tentation du SRD

Créé il y a quasiment un an jour pour jour, ce segment vise à élargir la liste des valeurs éligibles au SRD (service à règlement différé). Cela permet aux investisseurs de profiter de l’effet de levier classique qu’ils pouvaient déjà avoir sur les blue chips sur des plus petites valeurs. Ce mécanisme vous permet ainsi de vous positionner pour une fraction du capital qui vous serait nécessaire si vous achetiez au comptant.

Par exemple, si vous voulez acheter la valeur XYZ. Le titre cote environ 0,10 euro. Soit vous investissez 1 000 euros au comptant pour avoir 10 000 titres… soit vous n’utilisez que 200 euros de votre capital sur le SRD pour acheter la même quantité de titres. Comment est-ce possible ? Eh bien il s’agit du principe même du SRD. Sur les actions, vous avez droit à un effet de levier de cinq quand vous avez une « couverture » en cash (c’est-à-dire que vous devez avoir, sur votre compte, cinq fois plus que le montant investi).

Ce qui veut dire que pour 200 euros réels, vous êtes investi en réalité et exposé sur 1 000 euros. L’intermédiaire financier s’occupe de financer votre position jusqu’à la fin du mois, en prenant bien sûr des commissions.

L’avantage : la performance que vous engrangez est, elle aussi, multipliée par cinq !

Regardez : si vous êtes investi au comptant, avec un capital de 1 000 euros et que XYZ prend 10%, vous gagnerez 10% x 1 000 euros = 100 euros.

Si vous avez acheté XYZ au SRD, il ne vous aura suffit que de 200 euros pour être exposé à hauteur de 1 000 euros (il faut seulement que vous ayez ces 1 000 euros sur le compte pour vous « couvrir »). Si le titre prend 10%, vous aurez donc engrangez ces 100 euros, mais pour un capital engagé de 200 euros seulement, ce qui vous fait une performance de 50% !

Mais le risque est aussi plus grand ! Si XYZ, pour continuer avec notre exemple, perd 5%, vous aurez perdu 50 euros au comptant… mais 250 euros sur votre position au SRD, soit plus de la totalité de votre capital exposé (vous aviez 200 euros investis, mais rappelez-vous : vous avez une « marge » sur votre compte). L’intermédiaire financier vous aura alors contacté pour faire ce que l’on appelle un « appel de marge », et vous devrez alors remettre de l’argent au pot (ou au minimum, couvrir votre perte).

Vous comprenez bien l’avantage d’utiliser cette stratégie (d’habitude utilisée sur les grandes valeurs) sur des petites valeurs car leur forte volatilité vous permet des performances énormes.

▪ Mais le SRD long only, qu’est ce que c’est en réalité ?

Derrière cette formulation quelque peu ésotérique (long only) se cache la volonté d’empêcher les investisseurs d’être vendeurs à découvert sur ce type d’actions — contrairement aux blue chips puisque vous pouvez les vendre à découvert sur le SRD.

Rappelez-vous : cette pratique avait été interdite sur les valeurs financières en 2008. Après être passés au bord de la crise systémique, la plupart des grands pays avaient fait front commun contre la vente à découvert des financières afin d’éviter que la spéculation à la baisse ne lamine définitivement le système. Instituée à l’origine pour permettre une plus grande efficience des marchés, cette pratique très répandue chez les fonds spéculatifs était pointée du doigt.

Les autorités boursières ont, quant à elles, définitivement interdit cette pratique sur les valeurs de ce segment, et ne permet le SRD qu’à l’achat uniquement — d’où le terme « long only ». Une décision que je trouve sage, je dois l’avouer, au risque d’en décevoir certains. Je ne suis absolument pas favorable à la vente à découvert car cette stratégie est très risquée. Comme une action n’a pas de limite vers le haut, le vendeur s’expose en théorie à une perte illimitée !

▪ Le SRD long only favorise la spéculation sur les small caps

Comptant un peu moins de cent valeurs, le SRD long only offre des critères de sélection extrêmement allégés par rapport au SRD classique. Je m’explique…

Pour en faire partie, il faut tout simplement que 100 000 euros soit échangés quotidiennement sur votre titre. Et ce, sans aucun critère de capitalisation boursière. Ce qui provoque évidemment parfois quelques incongruités largement contestables. Je vous parlais plus haut des 0,47 mero d’Oxis International mais ce n’est pas tout.

Oxis est une valeur américaine, certes très liquide, mais qui ne produit aucun communiqué. Sa structure financière, de ce que l’on peut glaner de-ci de-là, est très fragile. Elle n’a rien à faire sur ce compartiment, si ce n’est de secréter une spéculation irrationnelle, tout simplement parce qu’elle vaut 0,07 euro.

Vous voulez un autre exemple ? Eh bien citons BCI Navigation, un éditeur de logiciels de navigation. Voilà une valeur éligible au SRD long only alors que son CA annuel n’est que de 156 000 euros (156 keros) avec une capitalisation boursière de l’ordre de 15,7 millions d’euros. Vous ne rêvez pas…

Cette action vaut cent fois son chiffre d’affaires, ce qui est totalement illogique. Mais elle séduit des particuliers, non seulement parce qu’elle est proche d’une penny stock (elle cote 1,76 euro), donc vous n’avez pas besoin de beaucoup pour en acheter… mais également parce qu’elle a environ 80% de flottant. Son capital n’est pas contrôlé, depuis que son dirigeant a fortement réduit sa participation. Loin de moi l’idée d’être sévère sur ce SRD long only qui permet de générer parfois de très belles plus-values sur des dossiers, redécouverts à cette occasion par les investisseurs. D’ailleurs, ce peut être une stratégie agressive pertinente.

Mais il faut sans doute ajouter un critère de capitalisation boursière minimum pour gagner en crédibilité et surtout pour qu’il n’y ait pas de risques de manipulation boursière sur des dossiers facilement contrôlables pour peu que leur capitalisation soit très faible.

▪ Choisissez votre camp !

Ami lecteur, un bon conseil donc… Avant d’acheter une valeur au SRD (donc avec effet de levier) regardez bien ses fondamentaux, étudiez ses ratios et n’allez pas sur des dossiers où la communication est défaillante. A moins de vouloir spéculer purement et simplement, mais alors… vous n’êtes pas du tout dans mon optique d’investissement !

N’oubliez pas également qu’acheter des valeurs avec un déposit de 20% comporte de nombreux risques, comme celui de tout perdre (c’est ce que je vous disais plus haut dans mon exemple). Donc faites très attention : en un an, Meetic, Theolia et Oxis International, trois valeurs éligibles au SRD long only, ont subi des chutes boursières entre 35% et 43%. Autant vous dire que dans ce cas-là, l’effet de levier est dévastateur… et que de nombreux investisseurs y ont laissé des plumes !

Mais il suffit peut-être de bien choisir votre valeur : si vous avez cru au développement d’Archos et de ses tablettes numériques, si vous avez été impressionné par les kits mains libres ou autres produits de Parrot, si vous avez acquis de l’Oneo, spécialiste du bouchage et de la tonnellerie, alors vous avez gagné en un an respectivement 135%, 99% et 98% au comptant… et cinq fois plus si vous les avez joués au SRD. Comme chaque fois, il faut vraiment séparer le bon grain de l’ivraie.

 

[Eric Lewin est spécialiste de l’univers des small et mid caps. Diplômé de Paris IX Dauphine, ancien rédacteur en chef de BFM puis responsable de la vente institutionnelle sur les small caps chez Euroland Finance, il intervient fréquemment sur BFM Business avec deux points réguliers à 16h50 les mardis et les jeudis. Il rédige enfin le nouveau site www.smallcapsconfidentiel.com]

Première parution dans Small Caps Confidentiel le 24/05/2011.

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