L’échelle sociale ne compte que trop peu de barreaux. La classe possédante et les technocrates du haut ne peuvent pas comprendre le décrochage du reste de la population.
Vous avez probablement déjà vu un graphique du revenu moyen par ménage aux Etats-Unis. Vous avez peut-être également déjà vu le graphique du revenu médian par ménage. Pour mémoire, le revenu médian sépare en deux parties égales en nombre une population : la moitié gagne plus et l’autre moins.
Il existe une différence colossale entre le revenu moyen par ménage des 80% les moins riches et le top 10%, 5% et 1% des ménages les plus riches. Il est important de bien segmenter ces différentes tranches de revenus, étant donné que le fait d’inclure les ménages les plus aisés a pour conséquence de fausser la moyenne.
Aux Etats-Unis, le revenu moyen par foyer des huit premiers déciles représente environ 50 000 $ par an, alors que le revenu moyen des foyers appartenant aux 10% les plus riches (ce qui inclut le top 1% et même les ultra-riches, ceux qui composent le top 0,1%) est quasiment quatre fois plus important : 185 000 $.
Vous avez certainement également déjà vu une version de ce graphique. Il montre que le revenu réel moyen (ajusté de l’inflation) des 9 premiers déciles n’a pas progressé au cours des 40 dernières années.
Pendant que la grande majorité déplore la fragmentation politique et sociale observable partout autour de nous, elle ignore la fragmentation économique qui en est la source : notre société se divise car notre perception de la réalité économique est de plus en plus fragmentée.
Au bon vieux temps de la croissance que l’on croyait alors éternelle – croissance de la consommation d’énergie, des salaires, des profits, de l’emploi, des dépenses publiques, du crédit à la consommation, de la construction de logement, de l’investissement privé et des dépenses des consommateurs – l’ensemble de la population à travers les différentes classes sociales avait en commun la conviction que leur situation financière aller continuer de s’améliorer.
Le gâteau devenait de plus en plus gros, et la part de chacun de plus en plus large – pour certains plus que pour d’autres, bien entendu – mais le « ruissellement vers le bas » des revenus permettait à chacun de bénéficier d’une plus grande part.
L’économie à part des 5% les plus riches
Ce n’est désormais plus le cas. Les 5% les plus riches vivent dans une économie totalement différente de celle dans laquelle vivent les 80% des moins riches. Si nous ajoutons à cette inégalité croissante des revenus l’augmentation rapide du patrimoine net des ménages les plus riches, la fragmentation de la société apparaît encore plus clairement.
Les 50% les plus pauvres vivent dans une économie différente de celle dans laquelle vivent les ménages qui se situent dans les tranches des 8éme et 9éme déciles, et surtout de ceux qui se situent dans le top 10%, lesquels connaissent une progression importante de leurs revenus et de leur patrimoine.
De la même façon, les ménages appartenant au top 5% vivent dans une économie différente de celle dans laquelle vivent ceux qui se situent dans la tranche entre les 80% et les 95% des plus hauts revenus. Ils ont connu une augmentation rapide de leur patrimoine et de leurs revenus, voire une augmentation spectaculaire s’ils font partie de ceux qui possèdent les bonnes catégories d’actifs et de sources de revenus.
Les ménages qui bénéficient d’assurance santé premium vivent dans un mode totalement différent de celui dans lequel vivent les foyers qui ne bénéficient que d’une assurance santé bas de gamme. En réalité, ceux qui sont éligibles au programme Medicaid profitent d’une plus grande sécurité que ceux qui n’ont accès qu’à une assurance privée médiocre.
Les foyers qui bénéficient de sources de revenus stables vivent dans une économie complètement différente de celle dans laquelle vivent ceux qui dépendent de revenus instables d’une année sur l’autre.
Les foyers qui sont propriétaires de leur logement, libérés de tout crédit immobilier, vivent dans une réalité différente de celle dans laquelle vivent les ménages qui doivent se battre pour payer leurs échéances d’emprunt et les taxes foncières écrasantes.
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Ceux qui profitent de pensions généreuses issues d’une carrière dans la fonction publique vivent dans un monde différent de celui dans lequel vivent les personnes âgées qui survivent grâce au minimum vieillesse.
Nous vivons dans une économie où tout sépare la classe des possédants de ceux qui ne possèdent rien, et dans laquelle l’échelle entre ceux qui gagnent 2 000 $ par mois et ceux qui gagnent 20 000 $ par mois possède très peu de barreaux. La taille du gâteau se rétrécit pour la vaste majorité de la population, grignotée par l’inflation (officiellement proche de zéro), l’augmentation des franchises d’assurance, des frais, des taxes, des amendes, des intérêts et ainsi de suite.
La classe possédante et les technocrates s’émerveillent de la situation économique mais ne peuvent pas comprendre le décrochage du reste de la population. Ils vivent dans une réalité économique extraordinaire et prodigieuse.
Cette classe sociale domine, elle contrôle l’Etat, les grands médias privés, le secteur philanthropique capitaliste à but non lucratif, les think tanks ainsi que les différents domaines académiques (« Je ne suis pas un riche, regardez toute la poussière sur ma voiture BMW/Tesla »). En conséquence, leur vision faussée des choses, qui est issue d’une ignorance de la réalité, s’impose comme le discours dominant.
Notre perception de la situation économique et de la mobilité sociale ainsi que financière s’est fragmentée. La conséquence inévitable est une plus grande fragmentation sociale et politique.