La Chronique Agora

S'il y a un os, laissez faire les vautours

▪ Comme nous l’avions souligné mardi, le décompte des banques régionales en faillite a passé allègrement la barre des 100 le week-end dernier ; le score total s’établit à 106. Wall Street s’habitue à ce genre de nouvelles — d’autant plus volontiers que la FDIC est là pour éponger les pertes avec l’argent du contribuable. Ce genre d’issue fatale ne retranche pas un dollar du montant des bonus qui seront versés en fin d’année.

Le sentiment que rien ne peut remettre en cause les mauvaises habitudes des brasseurs d’argent commence à indisposer beaucoup d’Américains. Il en va de même pour la Maison Blanche, qui éprouve le sentiment que les banques trop grosses (et trop stupides) pour disparaître ont floué le Trésor américain durant le vent de panique de l’automne dernier.

Il est trop tard pour regretter, trop tard pour y changer quoi que ce soit. Après avoir accordé l’impunité aux banquiers les plus inconséquents, il est impossible de les contraindre à changer leurs pratiques à risque par le vote d’une loi avec effet rétroactif. Trop de nouveaux prêts subprime viennent d’être accordés ces six derniers mois. Ils représentent, comme en 2006, pas moins de 20% des emprunts hypothécaires contractés par les particuliers !

Mais comme l’histoire est censée ne pas se répéter, ils sont désormais tous intégralement garantis par les géants nationalisés Freddie Mac ou Fannie Mae… c’est-à-dire par l’Etat en dernier ressort.

Le serpent se mord une nouvelle fois la queue. La seule différence, c’est que les garants du risque (des intermédiaires au business model douteux comme AIG, Ambac Financial ou Washington Mutual) ont disparu du paysage. Cela place le contribuable en première ligne au cas où l’effondrement de l’immobilier causerait une nouvelle hécatombe parmi les emprunteurs.

▪ Mais avant que les banques ne dévoilent l’ampleur des pertes encourues sur les prêts prime, "Alt-A" et jumbo (le taux de défaillance atteint un record absolu de 6%), nous venons d’assister à la divulgation lundi du plus gros sinistre dans le secteur du financement de l’immobilier commercial.

Capmark — l’ancienne branche de financement commercial de GMAC — vient d’être placée sous la protection du "Chapitre 11" sur les faillites. Cela vaut mieux qu’une disparition pure et simple, à l’image de Partners Bank liquidée par la FDIC… mais les enjeux portent sur plus de 21 milliards de dollars d’actifs dont plus de 10 milliards correspondent à des prêts immobiliers commerciaux.

Ce n’est pas le genre d’activité dans lequel quiconque voudrait se risquer aujourd’hui. C’est si vrai que le groupe d’investisseurs qui en détient 75% n’a pas réussi à s’en débarrasser, même sur fond de flambée des junk bonds et de reprise économique en "V".

Cette fable parvient peut-être à anesthésier une partie du grand public mais pas les vautours qui se disputent les lambeaux de la grande bulle du crédit. C’est ainsi les fonds d’investissement KKR et Five Miles Capital Partners, ainsi que la banque d’affaires Goldman Sachs, se retrouvent "collés", avec 1,6 milliard de dollars de pertes à se partager.

Capmark a cependant réussi à négocier la cession de ses activités de services et de prêts hypothécaires en Amérique du nord pour 490 millions de dollar. De l’autre côté de la cession, on trouve Berkshire Hathaway, le groupe fondé par le milliardaire Warren Buffett — devenu dès octobre 2008 un actionnaire de référence de Goldman Sachs. C’est la preuve que se faire des amis "bienveillants" (sinon ils risqueraient de tout perdre), ça compte aussi… une leçon que Richard Fuld, ex-PDG de Lehman Brothers, n’a pas fini de méditer.

Mais les pertes immobilières, mêmes partagées par de valeureux compagnons d’infortune, restent des pertes et il faudra bien un jour ou l’autre que quelqu’un paye. La flambée de Wall Street pourrait bien avoir eu pour objet de financer une partie de l’addition… sur le dos des salariés qui épargnent au travers des fonds de retraite "401(k)".

Bill Gross, PDG de Pimco, le plus important fonds de retraite à rendement prédéfini du secteur privé, estime également que les actifs obligataires à risque affichent des niveaux de valorisation déraisonnables. Les investisseurs les ont portés au pinacle ; ils menacent de rechuter lorsque la Fed reviendra sur ses largesses monétaires.

▪ Les opérateurs avaient des sentiments partagés ce mardi. Il y avait d’un côté ceux qui pensaient qu’une quatrième séance de baisse consécutive constituait une opportunité d’achat ; après tout, la consolidation demeure modeste : -4%, à comparer avec un gain de 7% depuis le 1er octobre. De l’autre côté, on trouvait ceux qui pensent qu’au-delà de 19 fois les profits, Wall Street ne peut plus que rechuter.

Le CAC 40 a donc clôturé à l’équilibre, avec l’écart algébrique minimal puisque l’indice affichait en effet -0,01% en clôture. Le SBF 120 reculait pour sa part de 0,14% à 2 730 points.

La valse hésitation du CAC 40 reflétait également l’aspect contradictoire des statistiques du jour. On trouvait d’un côté la bonne surprise d’un rebond de l’indice S&P/Case-Shiller du prix des maisons (+1,2% au mois d’août)… mais de l’autre, il y avait la déception causée par un nouveau recul de la confiance du consommateur. Cette dernière s’est dégradée en octobre, de 53,4 vers 47,3. Cela prouve que la flambée de Wall Street est loin d’occulter la réalité du terrain, faite de chômage, de baisse des salaires et de hausse des taxes locales aux Etats-Unis.

Le sous-indice sur la "situation présente" perçue par les ménage s’est contracté de 23 à 20,7, se retrouvant ainsi à son plus bas depuis 26 ans. Celui concernant les anticipations a chuté de 73,7 à 65,7. Ce n’est pas très bon signe à quatre semaines très exactement de la célébration de Thanksgiving, le point culminant de la saison pour les ventes de fin d’année se situant à l’occasion du "super week-end" du 26 au 29 novembre.
 
▪ Le dollar poursuit sa remontée (à 1,4780/euro) et cela pèse sur les marchés… Mais tant que le CAC 40 se maintient au-dessus des 3 730 points (son plancher de la veille, retracé vers 15h10), l’important support technique (la moyenne à 10 semaines) qui avait enrayé le repli de l’indice début octobre semble préservé.

Mais devinez vers quoi les marchés pourraient pencher ces prochains jours et prochaines semaines ? Dans un rapport adressé à la SEC, Goldman Sachs se lance dans un long plaidoyer en faveur du maintient des ventes à découvert des "dark pools". Ces derniers permettent à de gros intervenants de s’échanger du papier en toute discrétion, ce qui leur permet d’échapper à tout contrôle sur la nature de leurs opérations.

Cela revient à prôner le laisser faire… et en l’occurrence le "ni vu ni connu, je shorte (ou je déchire) un titre autant qu’il me convient !"

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