La Chronique Agora

Si Goldman Sachs était un volcan islandais…

▪ Si Goldman Sachs était un volcan islandais, la sphère financière serait obscurcie par un panache de dérivés de crédit mêlé de particules de CDO hautement toxiques.

Vendredi clôturait une bien étrange semaine. Un bolide incandescent a traversé la moitié du ciel des Etats-Unis mercredi soir pendant un quart d’heure… Plus aucune traînée de kérosène dans le ciel du nord de l’Europe depuis jeudi, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, pour cause de nuage de cendres volcaniques… Et sur les marchés, l’ambiance est tout aussi étrange : la confiance était au zénith durant quatre jours et demi (avec un indice de stress VIX au plus bas depuis l’été 2007), et puis soudain, un brusque accès de désarroi alors que la SEC s’en prend à la firme Goldman Sachs (GS)… au lendemain même de l’absolution que lui a accordé la Fed dans le dossier grec.

L’invulnérabilité de GS — la seule banque au monde qui se targue d’accomplir l’oeuvre de Dieu (serait-ce de délester les humains sans malice de leur argent ?) — va devoir faire travailler les avocats les mieux payés de la planète pour démontrer sa bonne foi, une foi inébranlable dans les vertus de l’avidité, de la duplicité et de la manipulation.

Les lourdes pertes de Wall Street ont pris tous les analystes de court. Les marchés étaient parvenus à un état psychologique de sérénité absolue… comme si le concept même de consolidation s’était évanoui au profit d’une sorte de « fin de l’histoire boursière ».

Certains commentateurs n’hésitaient pas à ressusciter Goldilocks, alors que nous avons le sentiment de vivre depuis un an les aventures d’Alice au Pays des Merveilles. Plus fort que tout, rappelez-vous notre Chronique de jeudi et cette sentence définitive de Bob Parker : « je ne peux même pas imaginer le motif pouvant causer une consolidation des marchés dans les circonstances actuelles ».

Comme dirait Woody Allen, « faire des prédictions, c’est délicat, surtout lorsque cela concerne l’avenir ». Nous espérons que Bob Parker était 100% long, avec des effets de levier à couper le souffle et qu’il reste armé d’une certitude inébranlable dans la pertinence de ses dernières déclarations.

▪ L’effet Goldman Sachs (le titre plongeait de -15% à la mi-séance) est époustouflant. Le S&P 500, notamment, a chuté en l’espace de quelques minutes de 1,8% dans le sillage du compartiment bancaire, qui dévissait de 5% en moyenne. Le Nasdaq chutait de 1,6% sous 2 475 points dans le sillage de Google (-6%) ; les places européennes ont complètement perdu pied tout au long de la dernière heure, chutant de 2% en moyenne.

Paris s’est replié de 1,94% dans des volumes de 5,5 milliards d’euros : l’expiration des contrats échéance avril n’explique pas tout. Cette correction est bien plus forte que celle observée à l’occasion de la publication des plus mauvaises statistiques de confiance des ménages, de production industrielle, de flambée des saisies immobilières au cours des 12 derniers mois.

▪ La panique s’est emparée des marchés sur l’annonce d’une enquête de la SEC à l’encontre de Goldman Sachs pour fraude. Ladite fraude aurait eu lieu au détriment des acheteurs de produits dérivés (RMBS) tandis qu’un de ses partenaires privilégié, le hedge fund Paulson & Co., vendait à découvert ces mêmes packages de crédits structurés par le biais de CDO, qui fonctionnent comme des options de couverture.

La Fed venait d’absoudre la veille Goldman Sachs de toute charge à l’issue de l’enquête pour fraude dans les montages qui ont permis à la Grèce — ainsi qu’à de nombreuses banques et multinationales — de masquer le niveau réel de leur endettement et celui des risques encourus sur les marchés. Les analystes de Goldman Sachs recommandaient encore Enron à l’achat à une semaine de la faillite, des dizaines de milliers de salariés et actionnaires ne l’ont pas oublié !

Rien ne semblait pouvoir déstabiliser les marchés depuis plus de six semaines de hausse ininterrompue — et surtout pas la conjoncture économique ou les déboires de la Grèce (ou de n’importe quel autre pays surendetté).

Mais toucher au pilier central de Wall Street — Goldman Sachs initie jusqu’à 50% des ordres informatisés exécutés chaque jour sur le Nasdaq ou le NYSE –, c’est menacer la structure même de la hausse des marchés américains. En effet, l’essentiel du mouvement repose sur des facteurs techniques, et notamment le contrôle absolu qu’exercent les logiciels de trading sur la tendance… or Goldman Sachs possède justement les plus puissants de la place.

▪ L’Euro-Stoxx 50 a ainsi chuté de 2,1%, effaçant le terrain gagné au cours des trois dernières semaines de hausse. L’Eurotop 100 a lâché 1,72%, tout comme la Bourse de Francfort.

L’euro poursuivait sa consolidation sous les 1,35 $ alors que les rendements des emprunts grecs continuent de se tendre au-delà de 7%. Athènes est, selon la rumeur, sur le point de demander l’activation du plan d’urgence de 30 milliards d’euros auprès de l’Union européenne et du FMI… mais l’Allemagne peut encore exercer son droit de veto.

Les chiffres macroéconomiques de vendredi ont été relégués au second plan. De toute façon, ils n’étaient pas spécialement encourageants. L’indice de confiance des consommateurs de l’université du Michigan s’établit en baisse à 69,5 pour le mois d’avril en estimation préliminaire, contre 73,6 en mars, alors que les économistes tablaient en moyenne sur une petite amélioration, vers 75.

Symétriquement, les permis de construire aux Etats-Unis ont augmenté de 7,5% en mars, à 685 000 en rythme annualisé. Cela est principalement dû à des facteurs climatiques, alors que les économistes n’en prévoyaient en moyenne que 625 000. De leur côté, les mises en chantier ont progressé de 1,6% le mois dernier, pour atteindre 626 000 — dépassant ainsi le consensus de 610 000 (la météo s’étant montrée plus clémente).

▪ Avant même l’annonce concernant Goldman Sachs, l’évolution de certains titres pouvait apparaître paradoxale. L’établissement financier Bank of America (-4,8%) et le conglomérat General Electric (-4,1%) — qui ont tous deux fait part de bénéfices par action surpassant les attentes les plus optimistes — chutaient d’entrée de jeu au lieu de saluer de juteux profits. Ils ont pesé sur la tendance au cours de la première heure… avant que ne survienne l’accélération à la baisse.

Paris perdait au final 1,6% sur la semaine écoulée, dans le sillage d’Arcelor-Mittal (-4,1%), Technip (-3,85% avec un baril de pétrole en recul -2,5%), de BNP Paribas (-3,9%), Crédit Agricole (-3,5%), Suez Environnement (-3,45%).

Du côté des hausses, seul Lafarge surnageait (+2% sur des rumeurs de publication de bons résultats avant la date prévue) en compagnie de Carrefour (+1,35%) qui annonce des ventes satisfaisantes et un plan de rachat d’action ambitieux. Les analystes de Credit Suisse et UBS relèvement leurs objectifs de cours mais l’agence Standard & Poor’s abaisse la notation de la dette du groupe de A à A-.

▪ Des abaissements de notations, des défauts sur les dettes d’entreprises, il y en a de plus en plus (un pic historique a même été atteint en Allemagne le mois dernier)… Pourtant, les médias préfèrent s’intéresser à la déferlante des créations d’entreprises — l’immense majorité étant unipersonnelles et initiées par des ex-chômeurs ou des personnes en recherche d’emploi.

Mais ce monde-là n’est pas celui dans lequel évolue Goldman Sachs. La première ligne de défense opposée aux accusations de fraude et de dissimulation était que les clients sont également des initiés, de ceux à qui « on ne la fait pas »… et qu’il s’agit d’un mauvais procès intenté par de mauvais perdants.

Goldman Sachs se défend même d’avoir été bon gagnant dans l’affaire puisque la vente de RMBS n’aurait rapporté que des clopinettes. C’est tout juste si GS n’a pas assuré une mission de service public, avec un désintérêt total… toujours « l’oeuvre de Dieu » en quelque sorte !

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