▪ Les séances se suivent et se ressemblent. Le scénario se répète avec la monotonie d’un feu de circulation. Mais celui que nous observons affiche un fonctionnement un peu spécial : il est au vert depuis huit mois et n’est passé à l’orange qu’une seule fois… mais jamais au rouge !
Nous pourrions admettre qu’il reste vert 90 secondes, orange trois secondes et rouge 15 secondes — soit un ratio déjà très déséquilibré de un à cinq. Mais le vert éternel nous met mal à l’aise, car il traduit soit un dérèglement du logiciel qui gère la circulation, soit un sabotage intentionnel visant à perturber le trafic au détriment de nombreux usagers.
Si la métaphore du feu tricolore vous apparaît trop mécaniste, vous pouvez y substituer aisément une référence au cycle des saisons. Nous voici donc rentrés dans l’ère du « printemps éternel », avec une herbe qui jamais ne cesse de pousser, des feuilles qui ne jaunissent que pour mieux reverdir ensuite, et plus le moindre flamboiement d’érables à l’automne — il faudra d’ailleurs penser à modifier la couleur du drapeau canadien avant la fin de cet hiver.
Nos météorologues de la Bourse nous expliquent que tout ceci est de bon augure : rien ne nous invite à considérer que ce dérèglement climatique est provisoire ni que la nature risque de souffrir (et de s’épuiser) pour cause de disparition de ses cycles naturels.
▪ La sorcellerie de la Fed
Il faut bien pourtant que les plantes se reposent après avoir fleuri puis produit leurs fruits… Mais ça, c’était avant que la Fed n’intervienne. Elle dispose de stocks de pollen « fait maison » en quantité illimitée et s’imagine qu’en déversant par hélicoptères sa poudre magique sur des arbres qui n’en peuvent plus, ils vont se couvrir de pommes d’or avant la prochaine pleine lune.
Les boursiers connaissent tous l’adage qui veut que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel… Mais cela date du temps où il y avait encore des saisons : qui sait quel potentiel d’épanouissement végétal découle de l’instauration du printemps éternel par la volonté des banques centrales ?
Prenez le plus gros arbre de la forêt des indices boursiers, le Russell 2 000. Il avait retracé fin décembre ses sommets de mai 2007 et avril 2001 (établis vers 850 points puis 865 points). Mais le voici qui crève les nuages avec l’inscription d’un nouveau record historique absolu à l’ouverture ce mardi 8 janvier (à 876,3 points).
Vous pourriez penser qu’il s’agit d’une heureuse exception et qu’il subsiste un joli potentiel de hausse supplémentaire en faisant la moyenne avec d’autres rois de la forêt comme le S&P 500. Ce dernier est revenu vendredi dernier à 5% de ses sommets d’octobre 2007. Même ainsi, cependant, les 2 500 premières capitalisations américaines sont au plus haut du plus haut.
Et si nous excluons du S&P 500 les valeurs financières qui demeurent encore bien éloignées de leurs niveaux de fin 2007, alors les industrielles, les valeurs de croissance, les produits de base ont depuis bien longtemps pulvérisé leurs records absolus de mars 2000 ou mai 2007 et leurs PER naviguent dans la stratosphère.
▪ La Bourse bientôt dans le Livre des Records ?
Puisque nous consacrons quelques paragraphes aux records, il serait injuste de ne pas mentionner celui que le S&P a également battu la semaine passée : celui du plus gros écart à la hausse (+3,8%) pour le plus petit volume (2,3 milliards de titres échangés) ces 15 dernières années.
Drôle de marché où plus personne ne participe, si ce n’est pour faire un coup en intraday.
En ce qui concerne les PER soi-disant si modérés en regard de leur moyenne historique, il saute aux yeux que nombre de valeurs se payent plus cher que jamais tandis que celles que le marché méprise sont bradées sans espoir de rebond.
C’est le résultat imparable de l’axiome consistant à suivre la tendance et rien que la tendance : acheter ce qui est cher, shorter impitoyablement ce qui a déjà baissé.
Ce n’est pas la seule façon de gagner de l’argent, car quand on en possède beaucoup, et même énormément — nous parlons de l’argent des banques centrales –, un des moyens imparables de mettre du beurre dans les épinards consiste à geler les indices.
Il s’agit en fait de s’assurer le contrôle de la volatilité des marchés avec à la clé l’encaissement de la valeur temps sur les produits dérivés ainsi que sur toutes les primes de couverture des portefeuilles.
Voilà qui explique le nombre tout à fait hors norme de séances à plus ou moins 0,3% entre le 6 août et le 5 septembre puis entre le 26 novembre et le 27 novembre 2012. Après l’entame d’année en fanfare du mercredi 2 janvier, Wall Street rejoue « 1, 2, 3… soleil ! » Et plus rien de bouge depuis une semaine.
Wall Street nous a offert mardi soir un « copier/coller » du scénario de la veille. Après une entame légèrement négative, le repli flirtait avec les 0,6% à mi-séance — le Dow Jones a même lâché jusqu’à 0,65%, menaçant les 13 300 points — mais les pertes ont commencé à se réduire alors que les opérateurs rentraient de déjeuner.
Au final, le S&P lâchait 0,32% au lieu de… mais oui : -0,31% la veille. Pendant ce temps, le Dow Jones affichait -0,4% après -0,38% la veille.
Tout ceci ne reflète bien sûr qu’un singulier concours de circonstances ; il serait malvenu de soupçonner certains sherpas de mener les marchés à la baguette magique de leurs algorithmes, de la façon qui leur convient et jusqu’aux niveaux qui les arrangent.