La deuxième plus grosse faillite bancaire de l’Histoire méritait bien la deuxième plus grande tricherie des autorités américaines.
Lorsque les règles sensées s’appliquer à tous gênent ou contrarient les desseins des riches et des puissants qui passent leur temps à tricher avec elles, ils ne sont ni rappelés à l’ordre ni sanctionnés : les règles sont changées pour que la tricherie devienne légale.
Un nouvel exemple vient de nous en être administré avec le rachat du géant californien First Republic par JPMorgan, officialisé avec un large sourire de satisfaction de Janet Yellen (qui était justement censée empêcher une telle issue). Une règle d’airain – une vieille loi antitrust – interdisait l’acquisition d’un concurrent par une banque détenant plus de 10% des dépôts des particuliers et institutionnels assurés aux Etats-Unis… jusqu’à ce 30 avril, et le Trésor américain en était le garant.
Faillite et rachat
JPMorgan était sur ce plan légal la banque la plus inapte à s’emparer de First Republic, avec un bilan au 31 décembre 2022 (donc avant les mouvements récents liés aux faillites et paniques) représentant plus de 14,5% des dépôts recensés aux Etats Unis (2 440 Mds$), loin devant Bank of America (2 042Mds$), Wells Fargo (1 420 Mds$) puis Citibank (ex-Citigroup, 1 400 Mds$).
Ces quatre mousquetaires « hyper-systémiques » mènent la course aux dépôts loin devant un peloton de poursuivants, dont pas un ne dépasse pas les 500 Mds$ de conservation. En tête de file, citons tout de même US Bancorp (465 Mds$), PNC Financial (440 Mds$) ou Trust Bank (425 Mds$), qui est une banque en line, enregistrée dans le Delaware, spécialiste des prêts hypothécaires, non assurée par la FDIC ni le gouvernement.
Pour rappel, Goldman Sachs, la plus grande banque d’affaires américaine, ne détient que 362 Mds$ de dépôts, soit un peu plus du double de ce que détenait First Republic avant la fuite de capitaux. Cela ne l’empêche pas pour autant de figurer dans le « top 3 » planétaire de la gestion d’encours sur les dérivés, avec Blackrock et… JPMorgan.
Ce même JPMorgan va donc accroître son périmètre de 92 Mds$ de dépôts, consolidant sa position en tête des banques américaines. Cela compense d’ailleurs en partie la perte de dépôts signalée dans sa publication trimestrielle de la mi-avril.
Notons également que la Californie vient de perdre ses deux plus grandes institutions bancaires en six semaines. SVB et FRC pesaient en effet à elles deux plus de 530 Mds$ d’actifs et 340 Mds$ de dépôts, ce qui en fait les deuxième et troisième plus grosses faillites bancaires de tous les temps. Et cela représente plus de dépôts que ceux transférés par les 25 plus grosses banques qui ont fait faillite dans l’intervalle vers les « hyper-banques » (des centaines ont baissé le rideau) que pour la totalité de la crise de 2008 à 2011.
La seule règle qui prévaut aujourd’hui est de « sauvegarder l’intérêt général » et tuer dans l’œuf un risque de bank run généralisé au détriment des banques « non sécurisées » par la FDIC.
Quelle garantie ?
Mais ce mouvement est largement amorcé depuis mi-mars : les banques régionales ont vu s’enfuir l’équivalent de 30% de leurs dépôts… en moyenne bien sûr. First Republic a ainsi vu s’évaporer plus de 70 Mds$ des siens au premier trimestre, dont une grande partie au profit de JPMorgan.
Le fonds de garantie de la FDIC est doté de 250 Mds$, ce qui ne couvrait même pas les dépôts de Silicon Valley Bank et Signature Bank avant les paniques, donc il fallait changer d’urgence les règles pour éviter un krach systémique.
En Europe, les règle en vigueur – et notamment le « bail in » (consistant à notamment utiliser les dépôts dans les banques pour renflouer celles-ci) – seront probablement enterrées à la première alerte (Deutsche Bank est sur ce plan le « suspect idéal » depuis près de 15 ans), car le fonds de garantie des banques européennes n’a même pas encore vu le jour (c’est toujours en négociation) et, en France, le fonds est doté de seulement quelques milliards d’euros (et encore, je ne suis pas sûr que le pluriel soit justifié).
Ce ne sont donc pas 100 000 € qui sont réellement garantis pour chaque client dans les banques françaises, en cas d’effondrement du système bancaire, mais tout au plus quelques centaines d’euros.
Face à un First Republic français, Bercy et la Banque de France n’auraient probablement guère d’autre choix que de balayer en un week-end – voire peut-être en quelques minutes – toutes les règles longuement débattues, définissant les responsabilités des uns et des autres… alors que les responsables du chaos sont ceux qui subvertissent les lois du marché et trichent à longueur de temps avec les règles qu’ils se croient légitimes d’imposer aux autres, au nom du bon fonctionnement des marchés.
Nos politiques et nos grands argentiers ne font qu’organiser une gigantesque partie de poker où les meilleurs tricheurs se retrouvent dans le dernier carré après avoir plumé tous les autres joueurs, et la partie ne respecte qu’une règle et ne vise qu’une véritable finalité : « winner takes all ».