Une petite leçon d’étymologie… et en quoi elle s’applique à la secrétaire au Trésor US, à ses déclarations et à ce qu’elles signifient pour l’avenir des marchés boursiers.
Scandale vient du grec skandalon : « pierre, piège, chausse-trappe dans laquelle on trébuche ».
Le mot « scandale » est d’un emploi courant, sans qu’on sache très bien ce qu’il veut dire réellement, sinon qu’il a une grande force de frappe, qu’il éclate en quelque sorte comme une bombe dans un univers clos, qu’il révèle ce qui aurait dû rester caché, ou tout au moins non exprimé.
Le mot, d’origine grecque, est passé dans les langues modernes à travers le latin de la Vulgate, la traduction latine de la Bible par saint Jérôme. Si nous ouvrons le Bailly, nous trouvons les seules équivalences suivantes pour skandalon : « piège placé sur le chemin, obstacle pour faire tomber ».
Naturellement, le mot skandalon a rarement dans la Bible le sens propre d’« obstacle, de pierre d’achoppement, d’occasion de chute ».
Le sens du mot est donc loin d’être évident : certains traducteurs préfèrent insister sur l’aspect psychologique de surprise, d’autres plutôt sur la difficulté à admettre ce nouveau message, si différent de l’enseignement traditionnel qu’il peut sembler blasphématoire ou absurde.
En somme, les traducteurs hésitent entre deux solutions : soit traduire le mot grec en le décalquant, soit en l’interprétant de façon plus ou moins concrète.
Certains préfèrent considérer le mot grec skandalon et ses dérivés comme ayant toujours une acception morale ou théologique, même si l’on conserve les images de « pierre d’achoppement », d’« occasion de trébucher, de buter, de broncher », etc.
La plupart du temps il s’agit, dans l’Ancien Testament, du chemin vers le bien ou le mal, et surtout de l’observation de la Loi : « Celui qui scrute la Loi en est rassasié, mais pour l’hypocrite elle est un scandale » (Siracide 32, 15, trad. Bible de Jérusalem). Osty préfère : « Qui cherche la Loi en est rassasié, mais qui triche y trouve sa chute. »
Dans le cas de Janet Yellen…
Janet Yellen, la secrétaire au Trésor US, nous a dit hier que si l’économie se met en surchauffe, alors il faudra monter les taux.
Yellen nous dit aujourd’hui qu’elle n’envisage pas de hausse des taux d’intérêt. Le Wall Street Journal rapporte sa déclaration :
« ‘It’s not something I’m predicting or recommending’ : ce n’est pas quelque chose que je prédis ou que je recommande. »
Honnêtement, c’est une évidence : à partir du moment où on qualifie la situation de surchauffe, cela veut dit que la chauffe est excessive ; et si on juge la chauffe excessive, cela va appeler des réactions.
Le contenu informationnel du message de Yellen était nul, zéro.
C’est sans compter avec la polysémie, toutefois, qui fait que les mots suscitent des associations d’idées et de sens dépassant la littéralité. Avec les associations d’idées, on passe de l’horizontalité à la verticalité et on déclenche des interprétations et des réflexes façon Pavlov.
Ainsi parler de surchauffe = évoquer la hausse des taux = prédire la hausse des taux = faire chuter la Bourse.
Les raisons de s’exprimer
Si elle a dit ce qu’elle a dit, c’est parce qu’elle a éprouvé le besoin de le dire. On ne dit pas que la Terre est ronde sans raison, même si c’est une évidence. Il y a un désir derrière cela. Même si c’est une vérité, on ne la dit pas sans raison. Il y a toujours une raison pour laquelle on parle !
Si Yellen l’a fait c’est évident c’est parce qu’elle voulait modérer l’euphorie et rassurer… parce que ces jours derniers, la question de la surchauffe s’est posée. Parce des grands comme Larry Summers ne cessent de répéter que l’on va vers la surchauffe.
Mais Yellen a manqué de discernement : elle ne maîtrise pas les règles de « la com’ », elle n’a pas imaginé que le seul fait d’évoquer cette possibilité de surchauffe et d’y associer la hausse des taux allait provoquer des dégagements précipités sur la Bourse. Si elle me l’avait demandé, je lui aurais expliqué !
Yellen n’a pas assimilé le fait que les marchés sont en train de tester la détermination de la Fed et de Jerome Powell, qui proclament : nous avons de l’estomac, même si l’inflation accélère, nous ne monterons pas les taux.
Nous sommes en phase de test et chaque indice compte.
En fait les marchés sont meilleurs joueurs de poker que Yellen, ils l’ont forcée à dévoiler son jeu : on montera les taux et Powell ment. Les marchés en ont appelé du bluff de Powell.
Il y a un autre enseignement : Yellen va déborder de son rôle au Trésor US et elle va aller sur les plates-bandes de Powell, elle n’a pas pu résister. C’est important, car maintenant on va chercher les failles entre les deux.
Toujours est-il qu’elle fait déjà machine arrière et se reprend, ce qui n’augmente pas sa crédibilité.
Des failles à explorer
Ces gens sont des pantins sans consistance. Elle se croit obligée de dire qu’elle ne prévoit pas des taux d’intérêts plus élevés !
Bien sûr, puisque toute la stratégie consiste à faire de l’inflation, à dire que c’est temporaire/ transitoire et que, par conséquent, cela ne justifie pas un resserrement monétaire.
Notre époque se caractérise par le recours au mensonge, à la manipulation et l’instrumentalisation.
La parole, le discours ne sont plus pour énoncer du vrai, pour symboliser et refléter le réel, ils sont faits pour influencer. Ce n’est qu’au travers des erreurs, des failles, des lapsus des élites que la vérité sort, et elle le fait malgré elles. Ce sont leurs failles qu’il faut explorer.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]