La Chronique Agora

Retire-toi, Satan !

▪ Nous avons passé le début de semaine prisonnier de la neige — et ravi de l’être.

Nous sommes dans notre ferme du Maryland ; pour y arriver, il faut gravir une pente escarpée. Il est donc difficile d’aller et venir quand il neige. Bah ! Nous n’avions nulle part où aller, de toute façon.

Nous avons donc posé une nouvelle bûche dans la cheminée… et nous avons regardé la neige tomber comme un petit garçon de 10 ans regarde son école brûler. Quel bonheur ! Nous n’avions nulle part où aller… et aucun moyen de nous y rendre.

Carême a commencé.

Si vous ne suivez pas la religion chrétienne, c’est la saison entre le mercredi des Cendres et Pâques. Elle commémore le temps passé par Jésus à jeûner dans le désert.

Selon les récits donnés dans les Evangiles de Matthieu et Luc, Satan a tenté Jésus à trois reprises.

D’abord, il a invité Jésus à transformer les pierres en pain afin de soulager sa faim.

Ensuite, Satan dit à Jésus de mettre son Dieu à l’épreuve en se précipitant du sommet d’un temple ; des anges étaient censés sauver Jésus de peur que son pied "ne heurte contre une pierre".

Enfin, Satan déclara à Jésus que s’il l’adorait lui plutôt que Dieu, toute la puissance du monde lui appartiendrait. "Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes pour m’adorer".

Cela nous a toujours semblé être une offre assez avantageuse ; nous aurions appuyé sur le bouton "acheter"

Cela nous a toujours semblé être une offre assez avantageuse ; nous aurions appuyé sur le bouton "acheter". Mais pas Jésus.

"Retire-toi, Satan !", a-t-il rétorqué sans se démonter. "En effet, il est écrit : c’est le Seigneur, ton Dieu, que tu adoreras et c’est lui seul que tu serviras".

▪ Eteignez votre iPhone
Nous avons entendu cette histoire de nombreuses fois. Elle apparaît à peu près à cette époque de l’année, les prêtres tentant de dégager le sens du Carême.

Ils nous conseillent de nous détourner des choses vulgaires et terre-à-terre pour nous concentrer sur une relation plus simple et plus pure avec Dieu.

"Je connais beaucoup de gens qui renoncent à internet durant le Carême", a expliqué le jeune pasteur de notre paroisse dimanche.

"Internet et les réseaux sociaux sont une forme de tentation… ils nous détournent de ce qui est important dans la vie".

"Je n’ai pas abandonné parce que je pense que c’est utile", avons-nous répondu. "Mais j’ai arrêté de les utiliser autant. L’autre jour, j’ai décidé de ne pas regarder du tout. Je suis allé faire des courses en ville… et j’ai été choqué".

Je peux vous affirmer qu’il y a d’autres êtres humains sur cette planète ! Des vrais gens

"Au lieu de regarder mes petits messages, j’ai regardé les personnes que je croisais. Et je peux vous affirmer qu’il y a d’autres êtres humains sur cette planète ! Des vrais gens. Dont les visages disent une vraie histoire. Il y a une réalité, là dehors, bien plus réelle et plus importante que ce qu’on voit sur un iPhone".

Après la messe, un cousin déclara : "excellente, cette idée d’abandonner internet. Une complète perte de temps. Lorsque nous étions jeunes, nous allions dehors. En été, nous grimpions aux arbres. S’il neigeait, nous enfilions gants et manteaux et sortions faire de la luge. Quand la rivière gelait, nous allions faire du patin".

"De nos jours, plus personne ne va patiner sur la rivière. C’est trop dangereux. Je ne vois plus d’enfants faisant de la luge non plus. Ils sont à l’intérieur. Ils regardent leurs téléphones portables ou que sais-je".

"Ils ne savent plus rien. Même faire un feu leur est insurmontable. J’ai engagé un petit jeune dans mon magasin. Je lui ai demandé d’allumer le poële. Il a mis une bûche et tenté de l’enflammer. Il ne savait pas qu’il avait besoin de petit bois. Il ne l’avait tout simplement jamais fait. Ils ne savent plus rien. C’est triste".

▪ Tenté par le diable
Dimanche était aussi la Saint-Valentin. Votre correspondant a amené sa Valentine dans un restaurant d’Annapolis avec vue sur le port.

Il était plein de couples, comme nous, profitant de la soirée et faisant une petite pause dans les rigueurs du Carême.

A l’une des tables, un couple d’une cinquantaine d’années se tenait la main et se regardait dans les yeux. Tous deux les cheveux sombres, tous deux dodus. Puis tous deux baissèrent les yeux vers leur téléphone. Des minutes passèrent. Ni l’un ni l’autre ne regardait à droite ou à gauche, ni droit devant — ils étaient fixés chacun sur son petit écran électronique.

Peut-être s’envoyaient-ils des SMS. Peut-être étaient-ils de garde à l’hôpital local, vérifiant qu’il n’y avait pas de victimes d’accident à disséquer. Ou peut-être qu’ils relisaient les remarques de Janet Yellen… ou vérifiaient leurs actions… et encore faisaient quelques trades sur le marché de Tokyo !

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