La Chronique Agora

Fiesta de San Ramon… suite et fin !

▪ Nous continuons notre "carte postale argentine" et la description de la Fiesta de San Ramon

Durant l’office, une bénédiction a été demandée pour la ferme. Le prêtre a prié pour "les outils que nous utilisons" : un petit garçon tenant râteau et houe a descendu l’allée. Puis est arrivée une petite fille portant un panier — contenant des pommes, des poires, des raisins et un morceau de boeuf (ce n’est pas la saison, les fruits ont dû être achetés en ville). Un autre enfant est venu avec une Bible, un autre encore avec un livre d’école. Tous ont été bénis.

Une fois la messe terminée, quatre porteurs se sont saisis de la statue de San Ramon pour la sortir de l’église. A leur suite, le Padre et les enfants de choeur, puis les autres groupes ; enfin, le reste de la foule leur emboîta le pas. Tout ce petit monde refit le chemin en sens inverse : jusqu’à l’école, puis le tour du générateur au milieu de la cour et retour à la chapelle. Une fois là, le prêtre reprit le micro pour une bénédiction finale du ranch et de tous ses habitants. Le Padre est un homme fluet au sourire chaleureux. Il est originaire d’Espagne mais a passé la majeure partie de sa carrière ici, dans le nord-ouest de l’Argentine, parmi les plus pauvres des autochtones. Il est plus facile de le comprendre, quand il parle, que les habitants de la région. Vêtu de blanc, il a remercié tous ceux qui avaient préparé la fête et leur a souhaité de bonnes choses pour les 12 mois jusqu’à la prochaine fiesta.

"Je voudrais également remercier le propriétaire du ranch, Señor Bonner, pour avoir tant apporté au ranch et pour son soutien en ces temps difficiles", a-t-il déclaré.

Jorge, contremaître et notre guide dans tout ce qui se passe au ranch, s’est approché :

"Vous devriez dire quelques mots".

"Moi ?"

"Oui… vous êtes le propriétaire. C’est la chose à faire".

Nous sommes resté figé, paniqué à l’idée de devoir parler en espagnol en public

D’abord, nous sommes resté figé, paniqué à l’idée de devoir parler en espagnol en public. Mais il n’y avait pas moyen de nous en sortir. Notre but unique — et le plus important –, en tant que propriétaire du ranch, est de gagner le respect de Jorge. Nous savions qu’en cas de refus, nous l’aurions perdu pour toujours.

Nous avons donc pris le micro et fait de notre mieux. Nous avons remercié tous ceux qui avaient préparé la fiesta… et tous ceux qui vivaient ou travaillaient sur le ranch, pour en avoir fait un endroit si plaisant. Nous avons promis de revenir pour la prochaine fiesta. Enfin, nous avons invité tous ceux qui étaient présents à rejoindre le festin préparé par Jorge et son équipe.

C’est du moins ce que nous pensons avoir dit. Notre espagnol est bancal. Souvent, nous pensons avoir commenté la politique macro-économique gouvernementale pour nous rendre compte que nous avons commandé un navet. Notre accent est si prononcé, et les locaux si peu habitués à lui, qu’ils n’ont généralement pas la moindre idée de ce que nous avons dit. Tout de même, nous comprenons Jorge, et lui nous comprend ; après nos brèves remarques, il a hoché la tête avec approbation. C’est tout ce qui compte.

Maria, la femme de Jorge, a pris le micro après nous. Elle a d’abord appelé l’escadron policier, qui a défilé sous les applaudissements de la foule. Ensuite, une troupe d’enfants habillés en costume folklorique a fait une danse de la région — elle ressemblait un peu au flamenco… avec des tourbillons de robes amples tandis que les garçons frappaient des talons et levaient les bras au-dessus de leur tête sur la musique de chanteurs et de guitaristes locaux. Les petits danseurs ont été suivis par deux femmes qui ont fait une copla, un long gémissement interrompu par des vers chantés. C’est une forme musicale que nous connaissons très mal, mais d’une mélancolie frappante — un peu comme une mélopée funèbre.

"La copla est censée être improvisée", nous a expliqué un ami argentin venant de Buenos Aires. "Elle parle presque toujours d’amour… d’amour perdu, bien entendu. Mais celle-ci parle de l’amour pour la terre… pour Gualfin. Enfin, je pense. Je n’ai pas tout compris".

▪ A table !
Le soleil était monté dans le ciel… et il faisait très chaud. En cercle devant l’église, les gens admiraient les défilés, les danses et les chants, mais la faim se faisait de plus en plus sentir. Maria annonça enfin qu’il était temps de manger. La foule s’engagea alors sur le sentier menant de la chapelle au bâtiment principal du ranch. Là, devant la maison de Jorge et à côté du bâtiment principal, on avait placé des rangées de tables ainsi que des bancs et des tabourets où s’asseoir. Elles s’étiraient tout le long de la maison de Jorge, sous le porche. D’autres emplissaient les deux garages voisins, et une dernière rangée était placée sous un auvent tiré entre deux mâts.

Y aurait-il assez pour nourrir une telle multitude ?

Toutes ces installations se révélèrent cependant insuffisantes pour tout le monde — entre 300 et 400 personnes. Les convives en trop s’assirent avec bonne humeur sous les saules ou dans la petite prairie devant la maison. Nous nous inquiétions : y aurait-il assez pour nourrir une telle multitude ? Mais bien entendu, Jorge avait tout calculé.

Le déjeuner fut servi par une vingtaine de volontaires — quasiment tous membres de la famille de Jorge ou appartenant au personnel du ranch. Ils apportèrent des plats de salade — des morceaux de pommes de terre et de carottes dans une mayonnaise — suivis par de la soupe et du boeuf. Un grand feu avait été allumé dans le pré. Des bêtes avaient été tuées en prévision de la fête. A notre arrivée la veille, la viande était suspendue à un long câble entre les arbres. Toute une équipe — José, Javier, Natalio et Carlos, nos aides au ranch — avaient tué et rôti les boeufs. Nolberto, sur le point de prendre sa retraite, avait pour tâche de remuer la soupe contenue dans de gigantesques chaudrons.

Il y avait deux sortes de soupes. La première était une épaisse soupe de maïs appelée locro. L’autre était décrite comme el picante. Nous en avons déduit qu’elle serait épicée, mais ce n’était pas vraiment le cas. Elle était moins épaisse et contenait des tripes. L’une comme l’autre étaient délicieuses.

Pour le liquide, du vin, de l’eau, du coca-cola et une sorte de boisson aromatisée à l’orange circulaient. "Ne sortez pas trop de vin", avait prévenu Jorge. "Les gens boivent trop et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils ont sorti leur couteau et se battent pour une fille… ou une vache".

Les seuls excès de boisson auquel nous avons assisté se sont produits à la table principale — la nôtre. Mais aucun couteau n’a été dégainé, et pas une goutte de sang versée.

La fin du repas a été marquée par l’arrivée d’un gâteau énorme, porté par trois hommes et notre cuisinière, Martha. Cette dernière l’avait fait avec l’aide de sa soeur Nicanora. Au sommet était écrit "10 Años", commémorant le dixième anniversaire de la construction de la chapelle.

Elizabeth fut appelée sur le devant de la scène pour couper le gâteau avec Maria, la femme de Jorge. Elles continuèrent pendant au moins une demi-heure, jusqu’à ce que tout le monde soit servi.

Puis la foule commença à se disperser. Trois personnes partirent par ici… deux par là… Nombre de gens vinrent nous voir pour nous remercier. Nous ne comprenions pas forcément les détails des déclarations, mais nous leur avons dédiés de larges sourires sincères, ce qui semblait suffire.

"C’est un autre monde", répéta notre ami de la grande ville.

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