La Chronique Agora

Sale temps au Kurdistan

** Cette séance de lundi s’annonçait soporifique. Son entame, caractérisée par une absence de direction, de volatilité et de volumes, fut conforme aux anticipations. Ce scénario de stagnation rappelait bien d’autres débuts de semaine insipides : rien n’a bougé entre 9h et 16h30, sinon à la marge avec des replis de 0,25% de Londres à Francfort et de Bruxelles à Milan — Paris et Madrid faisant de la résistance avec des gains de 0,2%.

L’Eurotop 100 affichait une baisse symbolique à une heure de la clôture, comparable à celle observée vendredi. L’indice retraçait au pire ses niveaux de jeudi — mais avec une correction supplémentaire de -0,6% au cours de la dernière heure, il affiche désormais une complète stagnation depuis le 5 octobre.

Le CAC 40 n’est guère mieux loti : il en a terminé très précisément au niveau de clôture du 3 octobre dernier, à 5 807 points. Un petit coup de pouce de dernière minute lui a évité de casser le palier symbolique des 5 800 points ; compte tenu de la chute de 150 points du Dow Jones à mi-séance (13 930 points), ce n’est probablement que reculer pour mieux sauter. Gare à la cassure des 5 750 points aujourd’hui si les marchés américains ne rectifient pas le tir avant la publication de la production industrielle au mois de septembre…

L’annonce d’une chute du bénéfice de Citigroup est également évoquée pour justifier le recul de 1% du Dow Jones, mais cette information n’est pas nouvelle.

Par contre, on a vu apparaître la rumeur de la création d’un fonds de 75 à 80 milliards de dollars (par un syndicat formé de Bank of America, J.P. Morgan Chase & co. et Citigroup) destiné à racheter des émissions de prêts subprime — une grande première aux Etats-Unis — pour prévenir une nouvelle crise dans le secteur du crédit hypothécaire. Cela tendrait à démontrer que la situation est particulièrement sérieuse et que le pire est loin d’être connu du grand public, contrairement aux récentes affirmations des stratèges de Wall Street

** Cela fait une bonne semaine que la pluie de records sur les places asiatiques entretient un vent d’optimisme sur les places occidentales. Les opérateurs avaient toutes les raisons croire en leur bonne étoile lundi matin avec l’envol de 2,3% de l’indice SSE à Shanghai, qui franchissait pour la première fois la barre symbolique des 6 000 (à 6 030 points). N’oublions pas non plus la flambée de 3% en séance qui a propulsé la bourse de Hong Kong (et l’indice Hang Seng) à 0,8% de la barre non moins symbolique des 30 000 points — histoire de se garder une petite marge de progression pour inscrire un nouveau record « tout rond » mardi matin…

Et pendant que les deux capitales économiques asiatiques émerveillent les boursicoteurs du monde entier, nous ne cessons de vous mettre en garde contre cette accélération haussière qui présente toutes les caractéristiques d’une fin de vague — c’est-à-dire d’une fuite en avant de la spéculation avant que ne retentisse l’inéluctable coup de sifflet de rappel à l’ordre des autorités communistes de Pékin (qui ont décrété le relèvement des réserves obligatoires des banques chinoises ce lundi même).

** L’indifférence des gérants occidentaux face aux records successifs battus consécutivement par le pétrole au cours des quatre dernières séances n’a pas manqué de susciter notre étonnement au cours des précédentes Chroniques. Cette cécité délibérée aurai-elle pris fin ce lundi vers 16h30, alors que le baril débordait les 85,5 $, pulvérisant un nouveau record historique à 86,30 $ en cours de séance ?

La situation tendue au Kurdistan irakien avait été ignorée en début de journée, mais il est possible, sinon inévitable, que ce facteur ait pesé sur les cours en fin de journée. Il est difficile de connaître l’évolution exacte de la situation, mais les chaînes anglo-saxonnes évoquent une intervention militaire turque à grande échelle dans cette province en rébellion ouverte depuis des décennies.

En cas d’opérations de grande envergure, une menace d’attentats planerait sur les oléoducs qui traversent la région. Parallèlement, les rapports américano-turcs — qui se dégradent depuis le printemps 2003 (et l’invasion de l’Irak) — pourraient se tendre encore davantage.

** Oui décidément, cette journée avait débuté de manière fort banale. Qui se souciait des records battus par le baril de pétrole (cinq d’affilée… cela devient de la routine!), du bombardement de quelques champs de cailloux et de masures délabrées à la frontière kurde par quelques blindés turcs (pendant que l’Afrique du Sud se qualifiait brillamment pour la finale du Mondial de Rugby), de la rechute du dollar sous les 1,42 face à l’euro ?

La baisse du billet vert, en particulier, n’émouvait personne lundi matin (cela fait 35 ans qu’il baisse… certains investisseurs y sont habitués !). Il s’est pourtant produit quelque chose de surprenant à ce sujet : le Fonds monétaire international, par la voix de son directeur général Rodrigo Rato, a surpris tout le monde en déclarant que « le dollar est encore surévalué et qu’il a encore de la marge pour se déprécier ».

Ce même M. Rato, qui quitte ses fonctions à la fin du mois, affirmait il y a tout juste une semaine dans une interview accordée au Financial Times que « le dollar est actuellement sous-évalué » (y aurait-il eu une coquille lors de la relecture ?).

** A propos de baisse, Alan Greenspan a égayé ce lundi en affirmant que l’immobilier n’avait pas encore touché le fond aux Etats-Unis. La création d’un fonds d’intervention de 75 milliards de dollars — alimenté par de l’émission de nouvelles dettes, naturellement — destiné à racheter des ersatz de dettes devenues invendables constitue peut-être le premier maillon d’une chaîne de solidarité interprofessionnelle destinée à épargner aux banques les conséquences de leur inconséquence en matière de prêts immobiliers…

Un seul mot d’ordre : soigner le mal par le mal !

** Et en Asie, quel objectif pourraient maintenant se fixer les spéculateurs alors que la bourse de Hong Kong vient de grimper de 50% en deux mois ? Faire 100% d’ici le 31 décembre et tester les 40 000 ?

Cela nous rappelle par bien des aspects l’envolée de la bourse de Tokyo en novembre et décembre 1989. Le Nikkei venait alors de passer de 24 000 à 39 000 points et les paris allaient bon train pour un score de 50 000 avant la fin de l’année fiscale (qui tombe le 31 mars au Japon).

Souvenez-vous, le 1 avril 1990, le Nikkei valait à peine plus de 28 000 points (-30%)… et moins de 20 000 six mois plus tard (-50%).

Fin 89, l’économie japonaise était devenue la seconde de la planète. La capitalisation des entreprises nippones dépassait celle des sociétés listées sur le big board à Wall Street (le Nasdaq n’existait pas à l’époque) ; le PER moyen à Tokyo dépassait les 50 (comme à Shanghai et Shenzhen aujourd’hui) ; l’immobilier dans le centre de Tokyo atteignait des sommets stratosphériques… et rien ne semblait pouvoir empêcher l’Empire du Soleil Levant de devenir le numéro un mondial à un horizon de cinq ans, après avoir racheté la moitié des valeurs du Dow Jones.

Toute ressemblance avec l’Empire du Milieu sur la période 2005/2007 serait purement fortuite… car le yen était une devise convertible et conquérante.

A moins que… (la suite demain).

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile