La Chronique Agora

Méditations sur Saint Louis… et les marchés obligataires

▪ Sur les murs de la chapelle de l’Ecole militaire de Paris se trouvent de riches tableaux — notamment quelques chefs d’oeuvre de Louis-Michel van Loo. L’un d’entre eux représente St. Louis se mourant de la dysenterie au 13ème siècle.

Saint Louis est mort à Tunis, en Afrique du nord, durant la huitième croisade ; ce qu’il faisait là exactement n’était pas très clair. Au moins y est-il allé en personne. Et il est mort durant la campagne.

Tout a un prix. La croisade précédente — qu’il avait lui-même lancée 20 années auparavant — avait elle aussi été un désastre. Le roi avait mené son armée en Egypte. Dans la canicule de la vallée du Nil, ses soldats devaient former un tableau intéressant, flanqués d’un contingent anglais mené par Guillaume de Salisbury et des chevaliers du Temple avec leurs bannières et leurs tuniques. Tout semblait aller si bien… jusqu’à ce que…

Nous assistions à une messe dans la chapelle ce dimanche. Le prêtre prononçait son sermon. Etait-ce ennuyeux ou simplement inutile, nous ne saurions le dire… mais notre attention a été attirée par le tableau, et nos pensées ont pris une tournure martiale. L’endroit — la chapelle de l’Ecole militaire — est le sacré-coeur de la tradition militaire française.

L’histoire française est jonchée de corps — tailladés, percés, réduits en morceaux

Cette semaine marque le 200ème anniversaire de la grande bataille de Waterloo, une défaite française. Depuis, les succès militaires français ont été rares. Mais avant que Wellington et Blücher ne leur administrent une raclée à Waterloo, les Français avaient gagné bien plus de batailles que les Américains n’en avaient jamais menées. L’histoire française est jonchée de corps — tailladés, percés, réduits en morceaux.

Les Français, comme les Anglais et les Américains, célèbrent leurs héros tombés au combat et prétendent que leurs guerres ont servi un but louable. Qui sait ? Les guerres peuvent sembler ridicules — rétrospectivement. Mais l’être humain est le bouffon de Dieu. Et tous Ses travaux demandent notre curiosité solennelle.

Et donc, avec un mélange de respect, de honte et d’embarras, cette semaine nous nous tournons vers Mars — le dieu de la guerre.

▪ Avant cela, toutefois…
Prenons d’abord notre poste habituel — où nous gardons un oeil sur les marchés et l’économie, dans l’espoir de deviner quelle malice est à l’oeuvre.

Le Dow a perdu du terrain en fin de semaine dernière ; mais lorsqu’on observe un graphique sur trois ans, on constate que les récents mouvements boursiers ne sont rien. Les valeurs sont toujours proches d’un sommet historique après une hausse quasi-régulière sur les six dernières années.

Le marché obligataire, parallèlement, pourrait s’être retourné. Après 33 ans, la direction des rendements pourrait être passée de la hausse à la baisse. Le rendement de l’OAT à 10 ans a quadruplé lors des deux derniers mois, par exemple. Les rendements sont toujours microscopiques, cependant. Et ni l’importance ni la permanence de ce mouvement ne sont connues.

Au passage, la direction du marché obligataire est probablement l’inconnue connue la plus importante du monde financier. Les banques centrales influencent, mais ne peuvent pas contrôler, les taux d’intérêt. De sorte que savoir ce que Janet Yellen voudrait voir se produire n’est pas la même chose que savoir ce qui va se produire.

Les gens ne sont généralement pas volontaires pour prêter de l’argent pour rien. Tôt ou tard, nous sommes d’avis qu’ils voudront un rendement décent sur leur épargne. Lorsque ce sera le cas, le monde changera. Les prix des actifs ont grimpé de plus en plus haut, portés par l’inondation de crédit de ces 33 dernières années. Lorsque la marée se retirera, les actifs chuteront et le caractère de l’économie changera.

Le marché obligataire est gigantesque. Mais il est dominé par quelques acteurs seulement

Ce changement pourrait être d’une rapidité terrible et d’une ampleur vertigineuse. Le marché obligataire est gigantesque. Mais il est dominé par quelques acteurs seulement — les banques centrales et les gouvernements, particulièrement. Le gouvernement américain, par exemple, possède 60% du marché hypothécaire grâce à ses filiales Fannie Mae et Freddie Mac, et de gigantesques pans de la dette "nationale" américaine sont détenus par une poignée d’intervenants — comme la Fed et la Banque populaire de Chine.

Mercredi dernier, les autorités ont organisé une réunion entre les plus grands investisseurs obligataires et banques. Tout ce petit monde s’inquiète de ce qui pourrait se passer durant une crise. Il pourrait y avoir de nombreuses obligations du côté de l’offre, par exemple, mais personne du côté de la demande. Les prix s’effondreraient — provoquant un désastre encore plus sensationnel.

▪ Soleil et rançon
Mais revenons-en aux pauvres chrétiens… suant sous le lourd soleil égyptien… il y a neuf siècles de ça. Ils étaient là pour mettre de l’ordre au Proche-Orient et s’accaparer le contrôle de la région — un peu comme les troupes américaines en Irak et ailleurs.

La campagne avait pourtant bien commencé. Les Egyptiens avaient fui, laissant intact un pont essentiel sur le Nil. Les Croisés traversèrent, menés par Louis IX, Saint Louis et Robert d’Artois. Ensuite, la ville de Mansourah leur fut ouverte elle aussi. Pensant que les défenseurs s’étaient enfuis, ils passèrent la porte. Ils découvrirent bien vite qu’ils avaient été menés dans un piège. De tous les côtés, les musulmans attaquèrent. Robert d’Artois fut tué. Guillaume de Salisbury aussi. Les Chevaliers du Temple furent quasiment annihilés. Seuls cinq en réchappèrent.

Les chrétiens battirent en retraite du mieux qu’ils purent. Ils creusèrent une tranchée pour protéger leur camp. Le soleil tapait. Les vivres et l’eau vinrent à manquer, les Egyptiens bloquant les navires croisés venant en renfort de leurs compatriotes. La famine et la maladie se répandirent dans le camp.

Enfin, un accord fut passé. Louis fut mis en captivité par les forces musulmanes, avec environ 12 000 de ses soldats. Ils furent libérés lorsque la France paya une rançon. L’addition : une somme équivalant à un tiers environ des revenus annuels du pays.

Louis accepta de ne pas recommencer. Mais il sembla n’avoir rien appris de cette aventure. Vingt ans plus tard, il prenait à nouveau le soleil en Afrique du Nord, attendant de mourir.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile