** Nous avions conclu la Chronique de mardi en réalisant que nous n’accordions plus la moindre attention au cours de clôture des indices de lundi tant les marchés nous apparaissaient survendus. Mais le rouleau compresseur baissier dévalait la pente avec le levier de vitesse bloqué en position marche arrière toute.
Beaucoup de commentateurs évoquaient les propos rassurants de Vikram Pandit : le CEO de Citigroup se félicite de la forte rentabilité du groupe observée en janvier et février 2009 (le titre s’est enflammé de 38,1%). Mais en ce qui nous concerne, nous créditons Ben Bernanke de l’action décisive du jour… Elle a consisté à sauter à la volée sur le siège du rouleau compresseur pour s’emparer de la bonne manette et enclencher la marche avant.
Il faut croire que la lourde mécanique a apprécié l’inversion de la vapeur : la pression optimale s’est immédiatement installée dans les cylindres et Wall Street est reparti de l’avant avec la même ardeur que nous évoquions la veille à propos des rebonds du 10 octobre et du 21 novembre 2008.
Le Dow Jones a gagné 5,80% (à 6 926 points), le Standard & Poor’s 500 6,37% (à 719 points) et le Nasdaq un somptueux 7,07% qui ramène le Composite au contact des 1 360 points, non loin des meilleurs niveaux de la belle séance de mercredi dernier.
** Nous avions ajouté lundi que ce genre de sursaut explosif se terminait par un flop deux fois sur trois — et nous avons failli ajouter jamais deux sans trois… mais le compte est bon en incluant le rebond de fin août 1998. L’embellie du 10 mars aura peut-être sa chance si Ben Bernanke ne revient pas sur ses dernières déclarations prononcées devant un parterre de journalistes économiques hier midi.
Le patron de la Fed a déclaré que les autorités financières américaines (Trésor, FDIC, commission bancaire…) devraient rechercher une alternative à la règle du mark to market. Ce système contribue en effet à gonfler artificiellement le bilan des banques lorsque la valeur des actifs grimpe (surcroît de richesse virtuelle) et à exagérer leurs difficultés (effondrement de leurs ratios de solvabilité) lorsque le risque systémique s’accroît. Nombre d’instruments de couverture voient alors leur valeur s’effondrer bien en deçà de ce qu’implique le pire des scénarios économiques.
Sans remettre complètement en cause la règle comptable du mark to market, Ben Bernanke ajoute qu’il apparaît nécessaire d’adapter l’outil d’évaluation comptable de façon à ce que la volonté de transparence n’aboutisse pas à noircir le tableau et précipiter les faillites que l’on souhaite prévenir.
Le concept de "l’opération vérité permanente" a atteint ses limites avec des instruments aussi volatils que les CDO, les ABS ou les RMBS — autant de catégories de dérivés de crédit souscrits par un panel d’emprunteurs ayant des profils de risque très différents.
Quel est l’intérêt d’utiliser un baromètre censé mesurer la pression atmosphérique dans un environnement de vide artificiel ? Il n’y plus aucune transaction — donc plus de valorisation — pour les actifs dits "toxiques" ; cela nivelle par le bas l’ensemble des positions sans éclairer les marchés sur la réalité du risque sous-jacent.
** Le risque relatif était devenu total, exponentiel… Les pertes sont bien supérieures aux fonds propres cumulés des banques impliquées dans des opérations à effet de levier, si bien que Nouriel Roubini pouvait affirmer lundi sur CNBC que le paysage bancaire mondial était truffé de "banques zombies" et que le système dans son ensemble était en faillite.
Cette affirmation est en même temps justifiée et fausse. Elle nous rappelle le paradoxe du chat de Schrödinger, le célèbre physicien fondateur de la physique quantique, enfermé dans sa boîte équipée d’un système libérant un gaz mortel en cas de désintégration d’un seul atome radioactif durant la minute que dure l’expérience. La probabilité retenue est de 50% et le détecteur est un compteur Geiger.
Or la mécanique quantique postule que l’état "désintégré" ou "non-désintégré" dépend de l’observation de l’atome, ce qui n’est rendu possible que par l’ouverture de ladite boîte. Autrement dit, le chat peut être à la fois vivant ou mort jusqu’à l’ultime seconde de l’expérience… laquelle décide seule de la survie ou non de l’animal.
Pour simplifier, du point de vue des physiciens, il est impossible de déterminer l’état du chat 1/1 000ème de seconde avant l’ouverture de la boîte. Il est alors à la fois — du strict point de vue de la logique quantique — vivant et mort… simultanément.
** Alors, si l’on attribue au mark to market le rôle du détecteur qui ne livre son verdict qu’à l’ouverture du livre de compte, les banques sont-elles vivantes ou sont-elles mortes si un atome de subprime radioactif s’est désintégré entre la publication de deux rapports trimestriels ?
Cela ne fonctionne pas tout à fait comme cela dans le cas des banques mais le résultat est pire. Nous sommes en effet confrontés à une multitude de boîtes — toutes reliées entre elles — et équipées du même dispositif de diffusion du gaz mortel.
Il suffit qu’un seul détecteur enregistre — mais on ne peut le savoir qu’après coup — une désintégration atomique pour que l’ensemble des banques enfermées dans les autres boîtes se retrouvent foudroyées dans l’instant.
Pour éviter une hécatombe, la prudence et la raison recommandent de débrancher le détecteur, puisque de toute façon, il ne permet pas de trancher sur l’état du chat.
C’est ce que suggère Ben Bernanke. S’il obtient gain de cause, Wall Street entrevoit — même si les règles comptables actuelles continuent d’avoir cours — une forte diminution de la pression dans le secteur financier en cas d’arrêt des expériences de type du chat de Schrödinger.
** Un soulagement par anticipation des investisseurs a débouché sur une envolée de 38% de Citigroup, de 28% de Bank of America, de 26,5% de Morgan Stanley, de 22,5% de JP Morgan, de 18,5% Wells Fargo ou de 15% de Goldman Sachs. De grandes industrielles soupçonnées de devoir augmenter leur capital — l’intox fait des ravages dans des marchés déprimés — ont bénéficié de rachats de découvert. General Electric a ainsi bondi de 19,7%, Alcoa de 13,5%, Caterpillar et DuPont de 11%.
Il s’agit dans tous les cas ci-dessus d’un scénario de rebond en "avalement haussier" qui coûte cher aux vendeurs à découvert récemment convertis aux thèses les plus alarmistes. Le rush de l’ultime demi-heure trahissait une vague de rachats à tout prix.
Les marchés n’avaient plus été à pareille fête depuis le 21 novembre 2008. L’envol de 4% de Tokyo dès l’ouverture aujourd’hui — alors que le plancher des 7 000 points de novembre 2008 venait tout juste d’être retracé la veille — suggère que les analystes techniques ne vont pas tarder à découvrir une foule d’éléments graphiques suggérant que le rebond de mardi ne devait rien au hasard.
C’est simplement qu’ils n’ont soufflé mot d’un renversement de situation imminent pour mieux piéger les vendeurs ! Mais entre résurrection du chat de Schrödinger et rebond de chat mort, nous ne savons pas encore si les investisseurs et les actions sont "félins" pour l’autre.
Philippe Béchade,
Paris