▪ Le CAC 40 a clôturé hier en repli de 3,6%. L’indice parisien a rechuté de 120 points, sous les 3 400 points. Il ne se contente pas de refermer le gap des 3 393 points du 16 février dernier puisqu’il termine même en-deçà des 3 367 accrochés le 1er février ainsi que le 27 octobre 2011.
Les chartistes n’ont rien vu venir. C’est normal car ce n’est pas l’environnement géopolitique ni économique qui conditionne l’évolution du marché depuis le 20 décembre dernier. C’est bien le marché lui-même qui se comporte de telle sorte que les oscillateurs et autres indicateurs techniques restent invariablement orientés à la hausse, induisant un diagnostic haussier auto-référent… et surtout auto-réalisateur.
Onze semaines de hausse consécutives (entrecoupées de deux brefs épisodes de consolidation à peine marquée au début puis à la fin du mois de janvier) nous ont fourni des dizaines d’illustration du principe selon lequel « la queue peut remuer le chien ». Il suffit pour cela de convaincre les banques centrales d’alimenter régulièrement le marché en liquidités… et les algorithmes font le reste.
▪ Une vente aux enchères truquée
L’action des robots s’est traduite par cette progression somnambulique des cours que nous observons depuis le 20 décembre. Une hausse identique à celle que produirait la rencontre de deux enchérisseurs dans une salle des ventes interdite au grand public… et à qui le commissaire-priseur viendrait offrir une nouvelle rallonge de crédit de 1 000 euros chaque fois que le prix du vase en pâte de verre Art Déco qu’ils se disputent a progressé de 1%.
Ce n’est à la base qu’un objet de valeur relativement modeste (une appréciation certes entachée de subjectivité), mais par le jeu de la surenchère forcée induite par l’injection permanente de crédit, son prix — et non sa valeur réelle — se rapproche de celui d’un authentique vase Ming de la fin du 14ème siècle.
Tout se passe bien tant que les portes de la salle d’enchères restent closes — c’est-à-dire tant que les banques centrales condamnent les issues par une montagne de liasses de billets de Monopoly fraichement imprimés.
Mais si les collectionneurs d’objets Art Déco, à bout de nerfs, finissent par enfoncer les vantaux pour vendre au plus offrant, ils découvriront qu’il n’y avait en fait que deux enchérisseurs qui de surcroît ne connaissent strictement rien aux vases années 30. Ils n’ont fait que gonfler les prix sur ordre du commissaire-priseur — et avec son argent –, car sa rémunération est calculée sur la meilleure enchère.
Dès que la supercherie est découverte, les vendeurs se précipitent… mais c’est trop tard : il n’y a déjà plus personne en face d’eux. Quant au commissaire-priseur, qui a voulu faire croire que la pâte de verre faisait soudain fureur, il s’est enfui par la porte de derrière.
▪ Des investisseurs bien timides…
L’enfoncement successif à quelques heures d’intervalle de trois supports sur le CAC 40 (3 475, 3 440, 3 393 points) prouve qu’en dépit des déclarations d’intentions de nombreux stratèges, il n’y a pas grand monde pour « acheter les creux » quand les indices semblent perdre pied.
Pour ramasser du papier quand les cours reperdent -0,6% ou -0,8%, tout le monde semble plein de courage… Mais quand le repli dépasse les 2%, les acheteurs se défilent et adoptent la même attitude que les vendeurs depuis le 1er janvier : pas question de jouer les héros ni de tenter d’attraper au vol un couteau qui tombe.
Les opérateurs prennent soudain conscience qu’un repli de 3,4% l’Euro-Stoxx 50 signifie que les motifs de défiance sont assez nombreux. Ils avaient été tout simplement occultés par le déversement de liquidités dont il fallait bien faire quelque chose — c’est-à-dire « acheter du risque », même si la toile de fond macroéconomique apparaissait défavorable.
Sortant de leur autisme vis-à-vis de l’environnement géopolitique, les investisseurs invoquent aussi bien les tensions entre Israël et l’Iran que leurs craintes relatives au report sine die d’un QE3 par la Fed ces prochains mois… De façon plus immédiate, il y a aussi la peur d’un échec concernant l’échange de dette grecque : un taux de conversion de 70% apparaît comme le minimum requis pour éviter le prononcé d’un défaut partiel.
▪ Inquiétudes sur la croissance, partout dans le monde
Des inquiétudes sur les émergents d’Amérique latine surgissent également, avec la publication d’une croissance de 2,7% au Brésil en 2011, contre 3,3% anticipés. C’est un coup d’arrêt d’une ampleur inattendue, surtout en regard d’un feu d’artifice de 7,5% en 2010.
Cette publication tombe pile au lendemain d’une révision à la baisse des objectifs de PIB formulés par Pékin, qui vise 7,5% en 2012 après 9,2% en 2011.
C’est en réalité toute la croissance mondiale qu’il va falloir revoir à la baisse, sous les 3,5% probablement… Et il en va donc de même pour les perspectives bénéficiaires des multi-nationales qui surfent depuis 2004 sur le dynamisme des BRICS, ou plus récemment des Cobras.
Les permabulls objectent avec raison que le ralentissement s’est avéré moins brutal que prévu aux Etats-Unis, et que la forte dégradation de la conjoncture en Europe a eu peu de retentissement sur la profitabilité des firmes qui opèrent activement sur le Vieux Continent.
Nous ne chercherons pas à le contester, pas plus qu’ils ne contestent les difficultés rencontrées par le secteur de la distribution… de l’automobile (hors constructeurs allemands)… des banques… et des services aux collectivités.
Vous le constatez aisément : si l’on excepte tout ce qui ne va pas, le reste continue d’aller bien !
Il n’y a donc pas de raison qu’une petite contraction du rythme de la croissance bouleverse la belle ordonnance haussière des marchés. Après tout, leur ascension repose sur une sélection d’entreprises gorgées de cash et qui savent préserver leurs marges en toutes circonstances.
Il y a tout de même une faille dans ce raisonnement : à l’exception de quelques reprises spectaculaires (Alstom, Eiffage, CGG Veritas), ce sont effectivement toujours les mêmes valeurs qui captent l’essentiel des flux financiers, avec des PER vertigineux.
▪ Apple reste la star
Apple constitue le degré ultime de « l’effet d’attraction » exercé par un seul titre qui représente à lui seul 25% de la hausse du Nasdaq 100 depuis le début de l’année (Apple pèse 50% de la capitalisation du CAC 40)… Il suscite symétriquement un « effet d’éviction » pour ses principaux concurrents (RIM, Motorola, Nokia, Sony, Archos…).
S’il est désormais admis que 2012 sera plus compliqué que 2011, le retour au sommet des favorites des investisseurs illustre à merveille l’aphorisme « ça va moins bien mais elles sont déjà plus chères qu’en mars 2011 » (juste avant Fukushima) !
Quant au titre Apple… un influent analyste de Wall Street vient de rehausser son objectif de cours à 720 $. S’il voit juste, sa capitalisation dépassera largement celle d’Exxon-Mobil et d’IBM réunis.
En termes de chiffre d’affaires, ces deux dernières représentent 300 milliards et 100 milliards de dollars respectivement (soit 400 milliards de dollars au total), pour 40 milliards de profits cumulés en 2011, contre 30 milliards pour Apple.
Ce mercredi sera donc crucial : si les marchés n’exultent pas lors de la présentation de l’iPad 3, l’impact d’un repli d’Apple sur Wall Street et sur le Nasdaq sera d’une ampleur comparable à celui de France Télécom sur le CAC 40 de l’été 2000 à l’automne 2002.