Bangkok, Thaïlande — Il faut bien l’avouer. Je suis bien sûr que pour vous, Thaïlande est, du moins en partie, synonyme de sexe et jolies pépées, pas vrai ?
Ces clichés font en effet partie de l’image touristique du pays. Bien sûr, il s’agit là d’une vision complètement superficielle… pour ne pas dire totalement faussée…
En surface, la Thaïlande est un pays bien plus développé que ce à quoi je m’attendais après m’être rendu à Bombay. Non pas que je dénigre Bombay. Mais à Bangkok, l’aéroport est moderne, les taxis sont climatisés, et grâce à la voie expresse, il faut à peine 40 minutes pour se rendre de l’aéroport à la ville, à condition toutefois que le trafic le permette. La ville dispose en outre d’un métro aérien pratiquement neuf permettant de se déplacer en toute simplicité et à moindre frais.
Si je prends la peine de donner autant de précisions, c’est que tout cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Et avant que tous ces projets ne se concrétisent, et qu’ils ne permettent aux entreprises étrangères et aux touristes d’intervenir dans le pays, bon nombre des fruits situés en bas de l’échelle des placements ont généralement déjà été récoltés.
Pour en revenir à l’Inde, lorsqu’on regarde aux alentours de Bombay, il faut imaginer à quoi ressemblera cette ville d’ici dix ou quinze ans, et non pas ce à quoi elle ressemble aujourd’hui. En matière d’investissement, l’image ne fait pas tout. Un ville scintillante illuminée de multiples néons et dotée d’une grosse infrastructure ne signifie pas forcément qu’on peut y trouver de bonnes entreprises, à leur juste valeur.
Et dans le cas de l’Inde… se projeter dans l’avenir, c’est aussi songer à un taux d’épargne national de 24 % en guise de futur flux de trésorerie. Si vous arrivez à tenir ce raisonnement, votre prochaine question sera de savoir qui va bénéficier de ce flux de trésorerie et comment acheter ces liquidités sur-le-champ, moins cher que ce que ne vaudra ce futur flux de trésorerie. Du moins, c’est comme ça que moi, je vois les choses.
Bon, revenons à la Thaïlande… la véritable mission commerciale de mon voyage commence demain, et j’espère pouvoir visiter la corbeille de la Bourse puis, plus tard, rencontrer certains hommes d’affaires occidentaux implantés là-bas depuis un moment déjà.
Mes premières impressions (superficielles) sont plutôt positives. Et pour être honnête, elles concernent, au moins dans une certaine mesure, la véritable image de la ville, le fait d’y emprunter les transports publics (nous avons pris une chaloupe pour remonter la rivière jusqu’aux temples que nous avons visités), et même le fait de s’imprégner d’une partie de son patrimoine culturel.
Je commence à croire que cela vaut la peine d’étudier les religions orientales, simplement pour savoir dans quelle mesure elles sont compatibles avec le capitalisme. Si vous êtes étudiant en économie, je vous conseille de vous y mettre… Lisez ‘L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme’ de Max Weber… ensuite, lisez le Tao te Ching de Confucius, ainsi que tous les autres ouvrages sur les religions orientales que je devrais connaître, mais qui malheureusement, font défaut à ma culture générale.
C’est d’ailleurs le principal motif de mon voyage ici, en Asie. Je pense que l’esprit du capitalisme se dirige vers l’Orient… après avoir subi une longue corruption et une lente érosion en Occident.
L’argent va là où se présentent les opportunités. Et les opportunités, elles, se présentent là où les ressources naturelles et une main-d’œuvre abondante sont mises en contact direct avec du capital-risque. L’Asie réunit tous les critères. Mais dispose-t-elle de ‘l’esprit’ requis… ?
Pour la Chine, je dirais que oui. Au Japon, je dirais qu’il s’agit d’un esprit fatigué. En Inde… je dirais que les gens de là-bas ont beaucoup d’esprit… et j’ajouterais qu’une destruction massive s’impose avant de pouvoir augmenter la création de richesse (d’abord Shiva, et ensuite Vishnou)
Ici en Thaïlande ? Il est encore trop tôt pour que je puisse me prononcer.
Pourtant, Debra et Mike, lecteurs de la version américaine de la Chronique Agora, ont souligné que de par leur culture, les Thaïlandais n’ont pas du tout l’esprit de compétition. Personne ne veut, du moins en apparence, avoir plus que les autres. D’après ce qu’ils m’ont dit, les gens partagent un sens inné de l’égalitarisme, bien qu’eux-mêmes appellent ça sûrement autrement.
Par exemple, Mike et Debra m’ont dit qu’en 1997, lors de l’effondrement du baht, le gouvernement à déployé la politique ‘d’un seul produit par tambon’. Pour faire… quoi au juste ? Remettre l’économie sur pied… le gouvernement a alors déclaré à chaque village (tambon) qu’il ne pourrait produire qu’un seul article. On appelle ça répartition inverse de la main-d’œuvre… ou concentration de la production.
Aux dires de Debra et Mike, le résultat est pour le moins étrange. On se retrouve avec des villages complets où tout le monde fabrique exactement la même chose et où tout le monde vend son produit au même prix. Le but, j’imagine, c’est que personne ne fasse fermer sa boutique à un autre commerçant et que chaque village ait le monopole des objets qui constituent le gagne-pain de ses habitants.
Le problème, bien sûr, c’est qu’il est impossible de bien gérer la production — et de tirer sur l’élastique des prix — tout en allouant efficacement les ressources et la main-d’œuvre pour pouvoir satisfaire les besoins et les désirs de tout le monde.
Imaginez un peu un village qui ne produirait que de la mortadelle. Uniquement de la mortadelle en boîte. Il arrive que les gens en achètent, mais ce n’est pas systématique. Peu importe, le village poursuit inlassablement sa production. Que se passera-t-il si le village n’est pas en mesure d’en produire suffisamment ? Et s’il en produit trop ?
Ou prenez un produit de luxe, par exemple, le caviar. Tout un village qui produirait du caviar. Tout au même prix, et ce quelle que soit la demande.
Comme vous pouvez le constater, ça ne peut tout simplement pas fonctionner. Les prix transmettent de précieuses informations. Ils disent aux producteurs ce que veulent les gens et combien ils sont prêts à débourser pour ce produit. Les prix élevés sont bien plus alléchants pour les producteurs, appâtés par les grosses marges bénéficiaires. Du coup, cela fait baisser les prix… et vu que les prix diminuent, la demande augmente : il s’agit là d’une leçon relativement simple sur les courbes de l’offre et de la demande.
Le problème, c’est que cette courbe de l’offre et de la demande reste statique. Elle reflète l’image d’un marché à un moment donné. Mais le marché ne reste jamais sur place bien longtemps. Et le seul moyen de savoir dans quelle direction il va aller — si les goûts des consommateurs ont changé, ce qu’ils sont prêts à débourser — c’est de laisser les prix jouer leur rôle de communication.
Désolé pour cette parenthèse d’information, mais le fait est que la majeure partie du monde occidental — mis à part l’Europe, les Etats-Unis et l’Opep — a compris que la concurrence et les prix permettent d’obtenir les meilleurs produits et les meilleurs services au moindre coût (à moins de financer secrètement de puissants partis politiques).
Il ne s’agit pas d’une idée bien compliquée. Mais peut-être est-ce une idée qui doit germer de façon naturelle et dont l’efficacité reste à prouver avec le temps. Les idées les plus dangereuses sont celles importées sous forme de théories et totalement décalées par rapport à la véritable expérience humaine.
Je suppose que ma question au sujet de la Thaïlande est de savoir si le manque de culture compétitive (et d’économie où les prix fluctuent librement) constitue un gros handicap pour les investissements. Nous verrons bien. Je persiste à croire qu’en tant que l’un des principaux exportateurs mondiaux de riz et de caoutchouc, la Thaïlande n’a pas dit son dernier mot. Elle est capable de nourrir toute la Chine et de fournir des pneus à ses 100 millions de voitures neuves. Cette fois, il ne nous reste plus qu’à trouver une entreprise de caoutchouc et une entreprise de riz dans laquelle investir…
Bon, cette fois, avec la chaleur torride qu’il a fait aujourd’hui, l’heure est venue de prendre une petite douche, avant de s’attabler pour un copieux dîner.
Salutations de Bangkok,
Dan Denning
pour la Chronique Agora