La Chronique Agora

La rivière sans retour

amazon bulle

Amazon voit ses actions chuter drastiquement depuis quelques mois. L’entreprise connaîtra-t-elle le même sort que les “Nifty Fifty”? 

La grande ‘rivière sans retour’ (Amazon) a connu bien des remous. Forbes écrit :  

« L’action Amazon s’est effondrée après que le géant du commerce en ligne a publié des résultats moins bons que prévu, dans un contexte de forte inflation et de problèmes logistiques persistants. Le titre a dévissé de plus de 30% par rapport à son sommet et vient s’ajouter à la longue liste des valeurs technologiques qui ont mordu la poussière après avoir eu le vent en poupe. » 

L’action Amazon a chuté de 14% le vendredi 29 mars, pour s’établir à 2485$. Il s’agit de la pire performance journalière du titre depuis 2014, avec pour conséquence une érosion de 210 Mrd€ de la valeur de marché du groupe.  

« Dans la foulée, le géant basé à Seattle a publié mercredi dernier une perte inattendue de 3,8 Mrd€ au premier trimestre, soit une perte de $7,38 par action. Les analystes tablaient sur un bénéfice par action de $8,36 et un bénéfice de $8,1 Mrd€ il y a un an ».  

À quoi s’attendaient-ils ? La nature impose la symétrie. Or, dans une économie de marché, cela signifie la chose suivante :  

« Les titres qui flambent le plus pendant les épisodes d’euphorie boursière sont ceux qui dévissent le plus brutalement lorsque la bulle éclate. » 

Le premier sera le dernier  

Il y a toujours des leaders de marché. Certaines entreprises se démarquent. Soit parce qu’elles disposent de nouvelles technologies ultra sophistiquées ou de modèles d’affaires plus rentables. Elles semblent alors inarrêtables, indestructibles. Tout le monde les connaît. Elles peuvent se permettre de recruter les meilleurs talents. En recrutant les meilleurs ingénieurs et les meilleurs innovateurs, elles sont censées pouvoir mieux répondre aux enjeux que leurs concurrents, qu’il s’agisse de s’adapter aux innovations ou de développer les grandes technologies de demain.  

À tout le moins, c’est ce qu’attendent les investisseurs de la part d’IBM, Minnesota Mining and Manufacturing, Kodak, Sears, Coca Cola et Xerox. Ces entreprises faisaient partie d’un groupe de titres à la fête depuis les années 1960 : les Nifty Fifty. Cliquez ici pour lire la suite ! Ces entreprises faisaient partie d’un groupe de titres à la fête depuis les années 1960 : les Nifty Fifty. 

Ces entreprises enregistraient une croissance plus rapide et rémunéraient davantage les actionnaires que les autres. Elles possédaient des marques qui semblaient imbattables.  

Qui pouvait résister au slogan « Avon calling » ? Qui ignorait qu’on « voit la vie en rose avec Coca » ? Qui n’a pas fait ses courses chez Sears ? Quel bureau n’était pas équipé d’une imprimante Xerox ?  

Mais tout comme le jour engendre la nuit, le succès engendre l’échec. Lorsque l’imagerie numérique est apparue, Kodak a-t-elle montré la voie ? Pas du tout. Lorsque les femmes ont voulu des parfums et du maquillage un peu plus chic, qu’a fait Avon ? Rien. Ce sont des marques françaises, Givenchy et Dior, qui répondu à leurs attentes. Qui a propulsé le monde à l’ère des ordinateurs portables, des tablettes et des smartphones ? IBM ? Non. Ce fut Microsoft et Apple.  

On pourrait dresser un constat similaire pour toutes les entreprises des Nifty Fifty. La caractéristique commune est la symétrie. Ascension et déchéance.  

Les entreprises ‘Nifty Fifty’ ont surperformé lorsque les marchés évoluaient à la hausse. Puis, lorsque la bulle des années 1960 a éclaté dans les années 1970, elles ont sous-performé. Bridgeway Partners explique :  

La récession de 1973-1975 a engendré une période de faible croissance économique et une baisse des marchés : le S&P 500 a chuté de plus de 14% en 1973 et plus de 26% en 1974. Les actions ‘Nifty Fifty’ ont dévissé encore plus brutalement, chutant de plus de 19% et 38% respectivement en 1973 et 1974. Les marchés ont rebondi par la suite. Le S&P 500 a gagné en moyenne près de 2,5% par an entre 1973 et 1977. Mais les valeurs ‘Nifty Fifty’ ont continué à sous-performer, avec une performance moyenne de -4,4% durant ces cinq années. Les titres ‘Nifty Fifty’ qui affichaient les ratios cours/bénéfices les plus élevés lors du pic boursier ont eu tendance à signer les moins bonnes performances ultérieurement.  

L’Amazon des années 1960  

Sears est la plus connue des valeurs ‘Nifty Fifty’.  

Dans les années 1950 et 1960, tout le monde faisait ses courses chez Sears. Tout le monde. Si vous ne trouviez pas ce que vous cherchiez chez Sears, c’est que vous n’en aviez pas besoin. Dans les années 1950, les catalogues de Sears étaient plus que du papier toilette. Il s’agissait de véritables ‘bibles de la consommation’ qui mettaient à l’honneur le meilleur de l’industrie américaine. On y trouvait les dernières tendances de prêt-à-porter, les derniers gadgets à la mode, les appareils électroménagers ou outils de précision dernier cri, tout ce qui conférait aux États-Unis une grande longueur d’avance sur ses concurrents. On y trouvait tout ce dont on avait besoin et même plus.  

Le catalogue Sears de noël (le ‘Wishbook’) était une merveille de marketing destiné aux enfants. Ils le regardaient pendant des jours durant, en prenant des notes précises et en faisant des comparaisons.  

Richard Sears avait un siècle d’avance sur Jeff Bezos. Son catalogue était le précurseur version papier d’Amazon. Et son entreprise, avec sa vaste clientèle, son expertise et son pouvoir d’achat, était le premier distributeur sur le plus gros marché de la distribution au monde.  

Dans les années 1960, Sears a construit de nouveaux magasins physiques. Ils étaient innovants, dotés de grands parkings et se situaient à l’écart des centres-villes. Souvent, les magasins Sears disposaient de baux longs dans de grands centres commerciaux. Ils se construisaient de l’intérieur en mettant l’accent sur l’expérience des clients à l’intérieur. Souvent, ils étaient dépourvus de fenêtres sur le monde extérieur.  

Contrairement à Amazon, Sears possédait ses propres marques : Kenmore, Craftsman, Diehard et bien d’autres. Le groupe a lancé sa propre carte de crédit ‘Discover’. Il proposait sa propre police d’assurance, un service de réparation de voiture et possédait des filiales d’investissement.  

Sears possédait une grande longueur d’avance sur ses concurrents. Le groupe avait beaucoup d’argent, ainsi qu’une direction sans pareil. Mais il existe un vieux dicton à Wall Street (nous venons de l’inventer) qui dit :  

« Lorsque des dirigeants brillants et inarrêtables défient la symétrie des forces du marché, mieux vaut miser sur la symétrie. » 

En avril 2007, cent cinquante ans après sa création, une action Sears Holdings valait $193. Aujourd’hui, elle vaut 10 cents.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile