La Chronique Agora

En route pour la Rivière aux Canards !

▪ Quelques mots de notre chevauchée dans la puna — le désert d’altitude entre l’Argentine et le Chile — avec un petit groupe d’amis, mené par Jorge et son épouse Maria.

Au ranch, les journées suivent un schéma simple. A huit heures du matin, Jorge apparaît dans la cour. Généralement, il est entouré d’un petit groupe de gauchos. Il y a Jose, par exemple, un jeune homme solide au sourire large et spontané, à qui il manque la plupart des dents de devant. Pedro est moins souriant. Il est plus pensif et semble fréquemment être en train de faire des calculs. Il a eu un problème médical il y a quelques années ; depuis, il refuse de monter à cheval.

Jose porte un chapeau de cow-boy. Les autres portent des couvre-chefs locaux, coniques, avec un bord large et plat ; on dirait un peu que des soucoupes volantes leur ont atterri sur la tête.

Samedi matin, ils étaient tous emmitouflés dans des pulls et des manteaux faits main. On est en automne. Les nuits deviennent plus froides. La température ne remonte pas avant le milieu de matinée. Contrairement aux cow-boys américains, les gauchos ne portent pas de blue-jeans ou de bottes de cow-boy. Ils portent des pantalons de travail, souvent raccommodés en plusieurs endroits, et des chaussures de sécurité à lacets.

Personne ne souriait. Personne ne plaisantait

Trois des gauchos — Javier, Natalio et Jorge — étaient rassemblés, chacun avec son chapeau soucoupe volante incliné vers l’avant. Le soleil les éclairait tandis qu’ils discutaient des travaux de la journée. Personne ne souriait. Personne ne plaisantait. Pas de discussion sur le match d’hier ou le dernier épisode de la série du moment.

Javier devait prendre la pelleteuse pour nettoyer le canal d’irrigation. L’idée est de détourner le peu d’eau qui reste dans le lit de la rivière vers le "terrain maraîcher" tout proche. Cela donnera à l’herbe qui y est quelques semaines de croissance supplémentaire, laissant au bétail un peu plus de nourriture en hiver.

Suite à cette conférence matinale, Natalio a mis sa pelle sur son épaule et s’est mis en route pour le champ de luzerne. Il y aura un regador — un irrigateur — faisant circuler l’eau dans le champ de manière à arroser autant de plantes que possible. Jorge a ensuite envoyé les autres dans le vignoble, pour fertiliser le terrain : un trou est creusé à côté de chaque plant, et de l’engrais est déposé dans le trou.

▪ Altitude et puna
Une fois tous les travailleurs dispersés, Jorge s’est tourné vers Gustavo et lui a donné des instructions. Nous avions pour destination le Rio de los Patos ("la rivière aux canards"). Gustavo nous aiderait à bâter les mules et seller les chevaux.

Gustavo a la mine vive. Sa mère est la compagne de Pedro, qui a pris Gustavo comme fils adoptif. Les liaisons informelles sont nombreuses dans la région.

Gustavo ne sait pas qui est son père. Ce n’est pas inhabituel. Lorsqu’Elizabeth, qui enseigne l’anglais à un groupe de jeunes filles, a demandé à chacune d’entre elles de donner le nom de ses parents, dans la plupart des cas elle n’a obtenu qu’une moitié de l’histoire. L’autre moitié était "inconnue".

Notre voyage dans la puna est prévu depuis des semaines. Jorge — qui a vécu sur le ranch toute sa vie — n’est jamais allé au Rio de los Patos, du côté ouest du ranch. Maria, son épouse, avait toujours voulu s’y rendre. Maintenant que Jorge se prépare à prendre sa retraite, le moment semblait bien choisi.

Un de mes amis a essayé récemment — son cheval est tombé mort lorsqu’ils sont arrivés

"Es-tu certain de vouloir le faire ?" a demandé notre ami David, que nous avions invité. "J’ai vérifié le GPS. On parle d’un endroit à 5 000 mètres d’altitude… ou plus… et d’y passer la nuit. Un de mes amis a essayé récemment — son cheval est tombé mort lorsqu’ils sont arrivés".

"Et je n’étais qu’à 4 500 mètres. Je n’ai jamais été plus haut. Mais j’avais une bouteille d’oxygène".

Nous avons posé la question à Jorge.

"Etes-vous certain que nous puissions y arriver ? Pouvons-nous respirer à cette altitude ?"

"Pas très bien", a été la réponse.

Jorge a souri. Il a des dents très blanches et régulières. Et un sourire très chaleureux.

"Pour certaines personnes, ça va, pour d’autres, non. Certains sont très malades ; nous appelons ça une puna. Mais si c’est trop pour nous, on fera demi-tour, tout simplement".

Il utilisait le "nous" avec générosité. Seuls les gringos risquaient de trébucher. Mais le plan semblait bon.

Nous sommes déjà monté vers la puna à quelques reprises. Il y a deux ans, nous avons passé la nuit à 3 600 mètres. Nous n’avons pas pu dormir. Chaque fois que nous commencions à sombrer dans le sommeil, nous nous réveillions en sursaut, à court d’oxygène.

Mais nous étions plus jeune, à l’époque. Aujourd’hui, avec plus d’âge et d’expérience, peut-être que nous réussirons.

"Nous allons chevaucher 10 heures le premier jour", a expliqué Jorge. "Nous camperons pour la nuit au puesto de Sylvia Gutierrez. C’est elle qui est la plus éloignée de la maison. Ensuite, on poussera jusqu’à la puna le lendemain. Ce qui devrait prendre environ huit heures supplémentaires".

Jorge n’y avait jamais été à cheval. Et nous avons appris qu’un bon nombre des estimations de temps ne valent pas mieux que les prévisions économiques…

La suite au prochain épisode !

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