Quelques faillites bancaires ont suffi pour que revienne le fantasme du risque bancaire systémique, avec son lot de prévisions apocalyptiques. Qu’en est-il réellement ?
Il y a 15 ans, nous assistions au paroxysme de la crise financière avec la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. Les turbulences bancaires survenues durant cette année 2023 (qui n’est pas finie), avec la faillite du Crédit Suisse et de certaines banques US régionales, sont venues relancer le débat sur le risque bancaire systémique.
C’est donc l’occasion, dans cette série d’articles, de faire un point sur l’évaluation du risque bancaire.
Pour ce faire, nous passerons successivement en revue les questions suivantes.
- Dans un premier article, nous verrons qu’il est indispensable de distinguer le risque bancaire systémique et le risque bancaire idiosyncratique. Et nous verrons que pour un actionnaire de banque, ce n’est pas tant le risque systémique qui doit l’inquiéter, mais plutôt les adaptations des business model
- Dans un second article, nous nous poserons les questions suivantes : toujours pour un actionnaire de banque, les bail-in (sauvetage des banques par leurs propres moyens) sont-ils robustes et peuvent-ils définitivement remplacer les bail-out (sauvetages publics ou para-publics) ? Pour un déposant (qui peut être actionnaire en même temps), est-ce que les systèmes de garantie des dépôts pourront évoluer vers des systèmes d’assurance généralisée ?
- Enfin, puisque l’on aura vu qu’en général ce n’est pas le risque systémique qui doit préoccuper l’actionnaire de banque ou le déposant, nous verrons dans un troisième article que ce sont les adaptations des business model bancaires (pour des tas de raisons, allant du nouveau contexte de taux, aux cryptomonnaies probables de banque centrale, en passant par la digitalisation de nombreuses activités) qui doivent nous alarmer, avec des perspectives de rentabilité encore revues à la baisse pour le secteur.
Au final, l’investisseur sur le secteur bancaire en général (il ne faut pas pour autant rester sélectifs en restant à l’écart de certaines signatures) ne doit pas surestimer les risques de perte en capital (en tant qu’actionnaire), et a fortiori, de perte de valeur de ses créances (en tant que créancier obligataire) et de sécurité de son épargne liquide (en tant que déposant). Ce qui doit préoccuper l’actionnaire porte plus sur les perspectives de rentabilité de son investissement. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose.
Risque idiosyncratique vs. risque systémique
Attaquons-nous d’abord à la nécessaire distinction entre risque idiosyncratique et risque systémique.
Par définition, le risque idiosyncratique (non systémique) est le marqueur spécifique d’une entreprise. Cela change donc d’une entreprise à l’autre.
Quelques faillites bancaires et « sauvetages » bancaires ont suffi pour que revienne le fantasme du risque bancaire systémique, avec son lot de prévisions apocalyptiques. Mais voilà, il semble que ces événements bancaires du printemps 2023 (faillites bancaires au niveau des banques régionales US et implosion du Crédit Suisse) furent somme toute assez spécifiques, et non systémiques. A quoi a-t-on vraiment assisté ?
- La faillite de la banque SVB, ainsi que celle de First Financial, furent des faillites classiques de banques. C’est l’absence de gestion risque de taux, risque classique d’un portefeuille d’obligations à taux fixe par exemple (risque pourtant classique, mesurable et gérable « simplement » par l’utilisation d’instruments dérivés de micro-couverture) qui a emporté ces établissements lorsque ceux-ci furent contraints de vendre avec de fortes moins-values leurs titres (dévalorisés suite à la hausse des taux longs). Là encore, nous sommes face à un phénomène classique de gestion du risque de liquidité, en période de fuite des dépôts devant être compensée par de la liquidité à tout prix.
- Un gros établissement (Credit Suisse) – défini comme systémique au sens de la réglementation (on va y revenir) – s’était fourvoyé dans des accidents à répétition ces vingt dernières années. Autour de 7 Mds CHF (quasiment le même montant en euros sur les niveaux de parité €/CHF du début d’année) de pertes en 2022 avec la faillite de Greensill (à l’origine, spécialisé dans le métier de l’affacturage mais qui était devenu une institution extrêmement risquée et surtout peu régulée) ; autour de 5 Mds$ de pertes avec l’implosion du hedge fund Archegos, qui recevait des financements collatéralisés à hauteur de 10% seulement.
Pour la réglementation, il existe cinq critères pour définir le caractère systémique :
- la taille de bilan au regard du niveau de fonds propres ;
- l’interconnexion (terme savant pour évoquer les engagements interbancaires, plus ceux-ci sont élevés, plus le risque qu’une banque en difficulté mette en danger l’ensemble du système bancaire est élevé) ;
- l’activité difficilement remplaçable (donc difficilement « cessible ») ;
- le degré de mondialisation de l’activité mondiale ;
- et la complexité des opérations.
Ces établissements se verront imposer une surcharge en capital fixé entre 1% et 2,5% des engagements en risques pondérés, selon l’importance du caractère systémique de l’établissement bancaire (soit 1% à 2,5% de ratio de solvabilité en plus). Pour rappel, le ratio de solvabilité est le rapport entre les fonds propres et le montant des actifs pondérés en risque. On reviendra sur cette notion de solvabilité qui va permettre de mesurer la capacité d’une banque à absorber des pertes importantes.
Credit Suisse réunissait ces caractéristiques d’un établissement systémique.
Alors pourquoi, malgré cela, on ne parle pas ici de risque bancaire systémique ?
En Europe – hormis la situation de certaines banques italiennes il y a quelques années, le cas de la Deutsche Bank en 2018, ou celui du Credit Suisse dans les années 2021-2023 –, le risque bancaire n’est plus systémique comme en 2008-2009 ou en 2011-2012. Durant ces périodes, les facteurs qui inquiétaient étaient des facteurs de nature à remettre en cause l’existence d’une banque (liquidité et solvabilité), d’où les bail-in ou sauvetages publics et para-publics.
Depuis dix ans, le risque d’exposition entre banques a diminué, avec une concentration interbancaire plus faible (renforcement des exigences en fonds propres pour les expositions entre institutions financières depuis la faillite de Lehman). Et au-delà, les dispositifs exceptionnels d’injections de liquidité par les banques centrales durant la décennie 2010 ont limité le recours aux marchés interbancaires, réduisant de fait le risque de contrepartie entre banques, et donc le risque systémique bancaire.
Les transactions sur dérivés sont collatéralisées (incitation à l’utilisation de chambres de compensation pour les produits dérivés, si bien que le défaut d’un acteur majeur sur les produits dérivés n’aurait pas aujourd’hui les conséquences catastrophiques que nous avons connues lors du défaut de Lehman, en 2008).
Des mécanismes de résolution bancaire en Europe se sont mis en place (nous verrons plus loin s’ils sont suffisamment dotés en ressources). Dans les cas où une banque devrait faillir en dépit de sa surveillance renforcée, le mécanisme permettra une gestion plus efficace de sa résolution, via un Conseil de résolution unique (CRU) et un Fonds de résolution unique (FRU) financé par le secteur bancaire (mécanisme de bail in). Dans un prochain article, nous verrons que tout ceci est encore insuffisant et que les bail-out ne peuvent pas vraiment totalement disparaître.