La Chronique Agora

Rien ne nous été épargné en 2008…

** L’ultime semaine de l’année 2008 semble s’être achevée en roue libre si l’on s’en tient aux performances des différents indices boursiers… Pourtant, les marchés ont été confrontés à un enchaînement d’événements tout à fait inédits, carrément hors normes et même parfois nauséabonds (affaire Madoff, affaire Bettencourt…).

Commençons par l’inédit. Le 16 décembre dernier, La Fed a abaissé de 100 points d’un coup le loyer de l’argent pour le ramener à "zéro" (ou tout au plus à 0,25%), instituant un taux flottant. 48 heures plus tard, la Banque du Japon réduisait son prime rate de 30 points, à 0,1%, marquant ainsi le retour à une politique d’argent gratuit dans l’archipel.

Le rendement des emprunts des bons du Trésor US à 30 ans se retrouve cantonné en deçà des 3% — à parité avec le Bund 2018 — et les emprunts japonais à 10 ans se négocient à moins de 1,25%.

Les spécialistes des marchés obligataires avaient anticipé dès la mi-décembre que les principales Banques centrales des pays développés allaient tout faire — et la BCE de façon plus timide — pour relancer le marché du crédit et restaurer la possibilité d’emprunter des entreprises et des consommateurs.

** Poursuivons avec le hors norme. Soucieuse d’endiguer une spirale baissière du pétrole sans précédent dans l’histoire — avec une division par trois du cours en trois mois jour pour jour –, l’OPEP a décidé le mercredi 17 décembre d’abaisser plus fortement que prévu ses quotas de productions (-2,2 millions barils/jour).

Après une tentative pour préserver la zone des 44 $, le baril a vu sa correction amorcée le 16 décembre sous les 49 $ se transformer en un plongeon abyssal de 20% en 48 heures. Il est ainsi tombé à 33 $ sur le contrat janvier qui expirait le vendredi 19 décembre et à 40,5 $ sur le contrat février qui devient la référence à partir d’aujourd’hui.

Les recettes des pays pétroliers se retrouvent victimes d’un "effet de ciseau" qui paraissait impensable six mois auparavant. Non seulement les quantités extraites ont été réduites de près de trois millions de barils/jour depuis la mi-juillet (soit 5% de la production), mais en plus, le cours du pétrole est passé de 147 à 32,5 euros en 150 jours. Cette baisse des cours va tarir le flux de pétrodollars qui constituait depuis quatre ans une partie de l’activité de la City et de Wall Street.

** La semaine du 15 au 19 fut également celle des scandales et de l’effondrement de l’image de certains milliardaires, figures emblématiques du capitalisme depuis une quarantaine d’années.

Dès lundi dernier, le microcosme financier se retrouvait fortement ébranlé par l’éclatement de l’affaire Madoff — la plus grande escroquerie de l’histoire — qui va coûter la bagatelle 30 milliards de dollars aux institutionnels (banquiers et assureurs) et 20 milliards de dollars aux hedge funds, riches clients, fondations et organismes caritatifs.

Au-delà du caractère de "financier véreux" de M. Madoff se profilent de grandes difficultés pour de nombreux bienfaiteurs parmi les plus généreux des Etats-Unis !

En effet, l’ex-cofondateur du Nasdaq n’a pas hésité à abuser sans vergogne du crédit dont il jouissait auprès de l’élite de sa propre communauté juive ; il a entraîné dans son arnaque les noms les plus célèbres fréquentant les clubs les plus sélects de Boston, des Hamptons — la banlieue la plus chic de New York — et de Palm Beach à Miami.

De nombreuses fondations caritatives aux noms prestigieux — notamment la Picower Foundation et la Elie Wiesel Foundation — sont menacées de dépôt de bilan et doivent immédiatement suspendent leurs activités ; un drame pour des dizaines de milliers d’Américains pauvres en cette époque de l’année où les besoins en fonds caritatifs sont les plus impérieux.

Mais l’affaire soulève la nausée lorsque surgissent des soupçons de complicité des autorités de régulation, et notamment de la SEC.

Une cascade de défaillances internes semble flagrante, à tel point que le gendarme de la Bourse déclenche une enquête interne afin de mettre à jour d’éventuelles complicités — ou tout du moins des collusions et des complaisances, avec une curieuse interpénétration entre l’environnement familial de la famille Madoff et des hauts fonctionnaires de la SEC.

** Mais les marchés n’en avaient pas fini avec le "lavage de linge sale en famille" !

Mme Liliane Bettencourt a dû publier un communiqué humiliant pour démentir les rumeurs concernant sa "vulnérabilité" mentale alimentées par sa propre fille. Celle-ci voudrait tenter de faire reconnaître par la justice que sa mère est "sous influence" et n’est plus en mesure de gérer les parts du capital de l’Oréal dont elle conserve l’administration. Ces parts de capital représentent un pactole de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui a de quoi aiguiser quelques appétits, alors que certains pactes d’actionnaires vont expirer en avril 2009.

A priori, la veuve du fondateur du numéro un mondial des cosmétiques a encore toute sa tête !

La presse quotidienne a révélé en milieu de semaine dernière qu’une enquête préliminaire était en cours au parquet de Nanterre — à la demande de la fille de Mme Bettencourt — au sujet des dons s’élevant à près d’un milliard d’euros au profit du photographe des stars, François-Marie Banier.

Si nos notions de fiscalité ne sont pas trop rouillées, alors qu’il n’existe aucun lien de famille entre le bénéficiaire et la donatrice, le montant de l’impôt à acquitter serait de 600 millions d’euros.

Compte tenu de ce que le don aurait été consenti il y a un an — alors que le titre l’Oréal naviguait entre 90 et 100 euros (si l’on se fie à la MM20) –, il faudrait que M. François-Marie Banier vende la totalité des titres qui lui auraient été "légués" pour faire face à ses obligations envers le fisc français. Et même lorsque l’Oréal flirtait avec les 53 euros, une vente totale n’aurait presque certainement pas suffi à effacer l’ardoise fiscale.

Il faut accueillir les accusations des uns et les révélations des autres avec beaucoup de circonspection… Cependant, entre l’affaire Madoff et l’affaire Bettencourt, nous voyons bien que l’agonie du libéralisme dérégulé pourrait s’achever dans une déferlante de scandales révélant des niveaux de malhonnêteté, d’avidité et de cynisme insoupçonnés qui achèveront de ruiner le crédit des milieux d’affaires et des organismes de (non) contrôle.

** Aussi étonnant que cela puisse paraître, le résultat de tout ce qui précède fut un score hebdomadaire quasi nul sur les indices boursiers !

Le CAC 40 alignait vendredi une troisième séance de repli consécutive, dans des volumes apparemment plus étoffés (cinq milliards d’euros environ) mais qui demeuraient très modestes pour une séance des "Quatre sorcières" — compensation des produits dérivés sur actions et indices. Malgré une ultime journée de consolation, le bilan hebdomadaire ressortait positif de 0,38%.

Wall Street a terminé sans tendance claire vendredi soir avec 0,3% pour le S&P 500 et -0,3% pour le Dow Jones. Les investisseurs américains n’ont même pas salué l’annonce faite par G.W. Bush du déblocage tant attendu de 17,4 milliards de dollars — prélevés sur le TARP — destinés à financer un prêt qualifié de plan de soutien en faveur des constructeurs automobiles américains. General Motors a cependant repris 15%.

GM, Chrysler et Ford devront toutefois prouver d’ici mars que leurs mesures permettront de renouer avec la rentabilité. De lourds sacrifices sur le plan social sont prévisibles et l’hypothèse d’une fusion majeure s’avèrerait très coûteuse en emplois.

** En Europe, les perspectives concernant le marché du travail s’assombrissent également : selon les nouvelles prévisions de l’Insee, la France entrera en récession dès cette fin d’année 2008.

Le PIB français reculerait de 0,8% au quatrième trimestre 2008 puis de 0,4% au premier trimestre 2009, selon l’institut. La conjoncture industrielle s’est de nouveau nettement dégradée, selon les chefs d’entreprise interrogés en décembre par l’Insee. L’indicateur synthétique du climat des affaires recule en effet de six points et se situe désormais à 73, soit son niveau le plus bas depuis 15 ans.

De même, la conjoncture continue de se détériorer dans les services, secteur dont l’indicateur synthétique baisse encore de trois points. Il s’établit désormais à 74, en-dessous de son précédent point le plus bas atteint en janvier 1993.

Au deuxième trimestre 2009, la baisse de l’activité économique pourrait se limiter à 0,1% dans l’Hexagone. Malgré une possible embellie au second semestre prochain, peu d’investisseurs osent parier sur la réalisation des objectifs de Christine Lagarde. Elle prévoit en effet 0,2% de croissance en 2009 alors que le chômage pourrait atteindre les 8%, c’est-à-dire 15% de la population française sans emploi ou sous-employée.

** Barack Obama craint que les Etats-Unis n’atteignent rapidement la barre des 9% de chômage. Il devrait annoncer un plan de relance plus ambitieux permettant de créer trois millions à 3,5 millions d’emplois, financés principalement par la dette. L’intention est bonne mais l’accueil du marché des changes risque de l’être beaucoup moins.

La route de l’enfer financier est pavée de bonnes intentions. Bill Bonner, qui entrevoit depuis une semaine les premières convulsions de l’agonie du dollar après son rebond de 25% depuis la mi-juillet, sait que les cambistes se montreront impitoyables.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile