La Chronique Agora

La revanche du capital

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Non, l’inflation ne sort pas de nulle part. Pour la résorber, les autorités vont devoir l’accepter, et s’attaquer à la source du problème.

Les économistes du business et des banques n’ont plus de théorie permettant d’expliquer et de prévoir l’inflation des prix des biens et des services.

Le keynésianisme avec sa loi de Phillips a fait long feu depuis des décennies, et le monétarisme de Friedman a chaviré en 2009, lorsque les créations de monnaies n’ont produit aucun effet sur la déflation.

Powell est rallié à la théorie la plus stupide qui soit. Il se raccroche à la « théorie des anticipations ». Elle nous dit que les prix montent quand les anticipations sont desancrées, c’est-à-dire lorsque les gens… croient que les prix vont monter. Nous pourrions renommer cela en « théorie de Molière » : votre fille est muette parce qu’elle ne parle pas !

Une lutte pour le surplus

Mon cadre analytique, fondé sur l’analyse serrée du système capitaliste et la théorie de l’exploitation, affirme que le centre du système capitaliste, c’est… le Capital. Et, de par sa tendance intrinsèque à vouloir s’accumuler, il veut et a besoin de toujours plus de profit.

Le Capital, pour survivre en tant que droit à prélever, a le besoin vital de trouver son profit. Un capital qui n’est pas rentable ou qui a un taux de profit insuffisant est détruit par la concurrence mondiale. Les capitalistes du monde entier sont en concurrence entre eux pour s’approprier le profit. Celui qui ne s’en approprie pas assez est condamné.

Présenté autrement, en utilisant le terme de « surplus », le PIB mondial est d’environ 50 000 Mds$ et la masse des salaires versés est de 30 000 Mds$. Il y a un surplus de 20 000 Mds$, et c’est pour s’approprier une part de ce surplus que les capitalistes sont en concurrence, en lutte entre eux.

On peut dire que l’activité capitaliste produit un surplus, qui est la part de travail dans le monde qui est non payée aux salariés et qui est disponible pour le capital ; et, que la concurrence globale est le mécanisme par lequel ce surplus se répartit entre les différents capitalistes.

La répartition s’effectue en fonction de critères que vous connaissez : compétitivité, productivité, innovation, originalité, rapport offre-demande, etc. Le capitaliste réalise d’autant plus de profit qu’il a de pricing power, c’est-à-dire de capacité / de force pour imposer ses prix. Le pricing power est un rapport de forces.

Le système capitaliste a une loi, une tendance intrinsèque à l’érosion de la profitabilité, parce que le capital s‘accumule plus vite que le profit ne se forme. La masse de capital a tendance à croître plus vite que la masse de profit ; le capital fait en quelque sorte boule de neige, et le profit lui ne fait pas boule de neige. Ou si on veut, le capital monte en prenant l’ascenseur, tandis que le profit ne prend que l’escalier.

Il y a donc une tendance longue à l’érosion de la profitabilité ; mais le système capitaliste, dans son inconscient, n’est pas fou : il a des capacités terribles à s’adapter !

Les remèdes révèlent le mal

La tendance intrinsèque à l’érosion de la profitabilité est masquée par les destructions et les faillites. Quand le gouvernement ne laisse pas les faillites se faire – et la pourriture se nettoyer –, quand il refuse les crises, alors la tendance à l’érosion de la profitabilité déclenche d’autres contre tendances, d’autres remèdes ; ce sont ces remèdes qui révèlent le mal que constitue la tendance à l’érosion de la profitabilité.

Ces remèdes révélateurs sont les suivants :

Vous avez reconnu au passage tous les subterfuges et toutes les béquilles qui sont fournies au capital et singulièrement en France.

Ne tombez pas dans le piège qui dit que le partage de la valeur ajoutée est de plus en plus favorable au capital, et que ceci invalide la théorie de l’érosion de la profitabilité ; car ceci n’a rien à voir.

Les marges bénéficiaires des entreprises sont un ratio par rapport au chiffre d’affaires, alors que la profitabilité se calcule par rapport au capital engagé dans la production. Le problème c’est qu’il faut de plus en plus de capital et de moins en moins de main d’œuvre pour réaliser un euro de chiffre d’affaires ; l’intensité capitalistique de l’activité économique croît sans cesse, dans nos sociétés.

Nécessité du profit

Non seulement l’intensité capitalistique croît sans arrêt dans nos sociétés, mais la Bourse et les banques ont une importance de plus en plus grande. Or, aussi bien les Bourses que les banques imposent que le capital fasse de plus en plus de profit, sinon les cours baissent ou les banques cessent de financer par les crédits.

Le système, dans sa financiarisation, a considérablement augmenté les exigences tyranniques de profit, et ceci se transmet jusque dans les parties les plus reculées du système.

Voici un exemple de mécanisme de transmission de la contrainte de profit :

Un hôtel appartient à une famille qui l’a créé et l’exploite ; c’est donc une forme précapitaliste. Elle ignore le capital que cela représente, elle en vit et investit lorsqu’il y a de l’argent pour le faire.

Puis, la famille disparaît du tableau : Accor rachète cet hôtel. Pour cela, il s’endette en partie, et engage une partie de ses capitaux propres pour le solde.

L’hôtel qui ne représentait aucun capital pour la famille devient un capital pour Accor, et le groupe hôtelier est obligé de lui imposer un taux de profit minimum, pour payer ses dettes et rentabiliser le capital de ses actionnaires, selon les exigences de la Bourse.

La contrainte de profit a augmenté dans le système.

La disparition des entreprises individuelles, les privatisations, les disparitions des mutuelles, les dettes de l’agriculture par exemple, font monter sans cesse le taux de profit nécessaire, requis dans le système.

Le capital dévore

L’une des conséquences de la financiarisation est que l’on ne peut plus échapper à la dictature du profit ; elle s’impose, elle s’étend dans les zones les plus reculées au fur et à mesure que la loi du capital s’étend, se diffuse.

C’est un point fondamental totalement négligé par les gouvernements et leurs économistes aux ordres. Le capital est un ogre.

A partir de cette analyse du système capitaliste on comprend beaucoup mieux comment il fonctionne : il accumule du capital réel et du capital fictif – capital boursier – et ce capital cherche une rentabilité.

Soit il cherche sa rentabilité dans la production. Soit, si la production n’est pas suffisamment rentable et trop risquée, il cherche sa profitabilité en Bourse. Il y achète des titres anciens et en fait monter les prix selon le phénomène du Ponzi, des buybacks ou du private equity.

Mais le vrai problème de l’insuffisance de la profitabilité et de l’excès de capital reste lancinant. Dès lors, quand les conditions deviennent favorables – c’est-à-dire lorsque la banque centrale fait la bêtise de créer trop de monnaie et de distribuer trop de pouvoir d’achat –, le capital comprend que les circonstances lui redeviennent favorables. Il récupère ce que l’on appelle le pouvoir de hausser ses prix, le « pricing power », et il en profite : il monte ses prix, ses tarifs, et déclenche ainsi l’inflation.

Cela durera aussi longtemps qu’il conservera son pricing power, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il y aura une demande suffisante pour absorber ce qu’il propose.

Quand la demande s’effondrera, alors le pricing power disparaîtra, et l’inflation des prix des biens et des services s’évanouira.

Ce qui permet de casser l’inflation, ce n’est pas la supposée magie monétariste. Non, c’est la méchanceté, la volonté de faire mal à l’économie, aux entreprises et à la Bourse.

On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs et, pour casser l’inflation, il faut casser les mécanismes inflationnistes. Et, pour casser les mécanismes inflationnistes il faut casser le pouvoir de fixer les prix. Mais qui détient ce pouvoir ? Ce sont les firmes, le Capital. C’est à lui qu’il faut tordre un bras jusqu’à le casser !

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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