La Chronique Agora

Les retraités et les chômeurs dans le collimateur du gouvernement

Un bon calcul politique, c’est d’abord et surtout un calcul bien cynique.

La France s’est récemment félicitée du succès du sommet « Choose France », qui réunissait les patrons de multinationales à Versailles : l’édition 2024 nous a été présentée comme le coup d’envoi de la réindustrialisation de la France, avec 56 projets représentant 15 milliards d’euros d’investissements, lesquels devraient déboucher sur la création de 10 000 emplois.

Bien entendu, ces annonces constituent l’aboutissement de mois de négociation, une partie des 15 milliards d’euros constitue la continuation d’investissements plus anciens. Mais ne chipotons pas, même si c’est 10 milliards d’euros de « vrais » nouveaux projets, c’est toujours bon à prendre.

C’est Amazon qui a annoncé le projet le plus créateur d’emplois : 1,2 milliard d’euros, avec 3 000 embauches à la clé pour renforcer son réseau logistique de distribution de colis.

Mais est-ce que ces 3 000 manutentionnaires peuvent être rajoutés aux effectifs de « l’industrie » (ce qui suppose d’appartenir à la catégorie des techniciens qualifiés ou hautement qualifiés) ?

Dans le même temps, 30 000 emplois sont en cours de suppression dans l’industrie en France (il s’agit de plans de licenciements déjà déposés). Les délocalisations se poursuivent à l’initiative de nos fleurons du CAC 40 et du SBF-120, et ce sont près de 90 000 emplois qui pourraient disparaître au rythme actuel d’ici la fin de l’année… Vous avez dit « réindustrialisation » ?

Avec presque 500 dépôts de bilan de PME/PMI par mois auprès des tribunaux de commerce (485 en moyenne sur douze mois), ce sont – au bas mot – 5 300 entreprises qui ont disparu en une année. Cela a provoqué la mise au chômage de cinq salariés en moyenne, soit plus de 26 500 personnes qui vont devoir se battre pour décrocher un nouvel emploi, sachant qu’il y a (selon les divers modes de calculs) un emploi disponible pour neuf demandeurs pour les chômeurs de catégorie « A », et un pour treize demandeurs toutes catégories confondues (selon les propres constatations de l’INSEE).

Le chômage accélère – notamment dans le secteur du bâtiment qui connaît une crise historique – et c’est le moment que choisit le gouvernement pour annoncer un durcissement des conditions d’accès aux indemnités. Huit mois de salariat sur une période de vingt mois et versement des prestations réduites de dix-huit à quinze mois, sur la base du même effort de cotisation auprès des divers organismes qui gèrent les allocations et qui sont le plus souvent excédentaires (cadres, professions libérales, officiers ministériels, etc.).

Le discours nauséabond sur le « chômage choisi » par « les profiteurs du système » (ils existent, mais le coût de leur « paresse » est largement inférieur au surcoût engendré par les émissions d’OATI, les fameuses OAT indexées sur l’inflation, ajoutées aux milliards versées à l’Ukraine sur injonction de Bruxelles) et la légende du « job accessible en se donnant juste la peine de traverser la rue » servent de justification à une violente régression sociale exercée par ceux qui n’ont eu qu’à sortir de l’Ecole alsacienne, pour accéder directement aux cabinets ministériels sans passer par la case « stagiaire » ou « titulaire d’un CDD », avec entre les deux une période de chômage non indemnisée (et les jeunes de moins de 26 ans n’ont pas le droit au RSA).

Nous pourrions également mentionner de nombreux cas où le « traverser la rue » s’est soldé par un transfert vers un ministère plus prestigieux, sans démontrer la moindre compétence justifiant un bond en avant dans la carrière de l’intéressé… si ce n’est d’avoir bénéficié du « fait du Prince ».

Alors certes, les inégalités de salaires augmentent au fil des ans au sein des entreprises cotées, jusqu’à atteindre des multiples choquants (mais validés par des « comités de rémunération », puis un feu vert des actionnaires), mais observer des carrières politiques fulgurantes – détachées de la notion de « mérite » ou de plébiscite démocratique – qui ne correspondent à aucun achèvement démontrant la valeur des heureux bénéficiaires… Voilà qui pourrait devenir socialement explosif.

Mais il y a pire : ceux qui demandent « plus d’efforts » aux Français alors qu’ils n’ont aucun jamais eu à se battre sur le terrain et n’ont aucun fait d’arme glorieux à leur crédit se permettent maintenant d’infliger plus de précarité à ceux dont les impôts financent leur carrière depuis l’origine.

Le sentiment de déclassement et d’insécurité, en période de taux élevé, c’est garantir le report des projets de dépenses importantes… et c’est l’autoroute qui mène tout droit vers la récession.

La récession, c’est plus de chômage, moins de recettes fiscales, et à terme, plus d’austérité, notamment via la désindexation des pensions de retraites, une piste qui a « fuité » dans Le Figaro (mais c’était un secret de Polichinelle).

D’où cette obsession également de trouver à tout prix de l’argent pour financer nos déficits, grâce à « l’épargne qui dort ».

Et devinez qui détient majoritairement cette épargne endormie : bingo, ce sont également les retraités.

Chômeurs et retraités (détenant de l’épargne immobilière) sont les cibles privilégiées de nos gouvernants et de Bruxelles… et ce sont des cibles bien commodes, puisque que contrairement aux agriculteurs ou aux indépendantistes kanaks (qui ont déjà causé un milliard d’euros de dégâts en Nouvelle-Calédonie à cause d’une maladresse politique de l’Elysée et du ministère de l’Intérieur), ils sont victimes de leur image de « profiteurs » ou de « rentiers ».

Aucune chance qu’ils bénéficient d’un soutien populaire, comme les Gilets Jaunes durant les toutes premières semaines, s’ils envisageaient de manifester dans la capitale ou de venir bloquer les routes d’Ile-de-France lors des Jeux olympiques.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile