La Chronique Agora

Retour de l’inflation : fantasme ou réalité ? (1/2)

inflation

Nous passons en revue les origines profondes de l’inflation, afin de mieux comprendre d’où elle vient… si elle est durable… et à quoi nous attendre dans les mois et les années qui viennent.

Nous avions évoqué dans un article précédent un certain nombre de scénarios relatifs à l’inflation.

1/ Un scénario de reprise de l’inflation dite traditionnelle, lié à une normalisation de la situation sanitaire et à une forte reprise du cycle économique avec maintien d’une politique monétaire accommodante.

Dans ce scénario, l’incertitude des agents économiques recule significativement mais les politiques monétaires restent accommodantes avec une offre de monnaie abondante. Cela veut dire qu’une partie importante de la monnaie détenue par les agents économiques privés est consommée et investie, ce qui serait le début d’une vraie période inflationniste dans la sphère des biens et services.

Dans ce scénario, l’offre de monnaie restant excessive, nous n’observons pas de chute des prix des actifs (actions, obligations) mais la hausse se termine : les actions ne montent plus (approche globale qui ne remet pas en cause des paris sur certains secteurs, certaines zones géographiques, certains styles de gestion ou certaines valeurs).

2/ Un scénario un peu plus audacieux lié à une normalisation de la situation sanitaire et à une forte reprise du cycle économique mais avec un abandon des politiques monétaires accommodantes des banques centrales : il faut quand même se faire violence pour y croire…

Ce scénario ferait anticiper, à tort ou à raison, de fortes secousses sur les marchés financiers : réduction des programmes de rachats d’actifs pour les moins « pessimistes » ; arrêt des programmes de rachats d’actifs pour les plus pessimistes.

L’ultra-pessimisme n’étant sérieusement pas envisageable, on n’imagine pas un seul instant une normalisation de la politique monétaire avec baisse de la taille du bilan des banques centrales et donc des ventes d’actifs.

Dans ce scénario, en tout cas, on assisterait alors au passage de l’inflation des actifs financiers à celui de l’inflation tout court.

Le vrai débat

Alors, me direz-vous, le vrai débat ne porterait pas sur le caractère transitoire ou permanent de l’inflation, comme ceci est sans cesse martelé sur les marchés et dans les médias financiers.

Il s’agirait plutôt de choisir entre un scénario d’inflation des biens et services et de fin d’inflation des actifs financiers versus un scénario d’inflation des biens et services et de maintien de l’inflation des actifs financiers.

Ce qui est ennuyant, c’est que nous nous retrouvons une fois de plus dans une situation d’absence de diversité cognitive. Une fois qu’une croyance commune se forme, celle-ci est constamment répétée et relayée par les médias sans jamais entendre un avis contraire.

Et n’oublions pas que lorsque tout le monde pense la même chose… plus personne ne pense.

Il faut donc aller plus loin et rentrer dans le vrai débat : le retour de l’inflation est-il fantasme ou est-il réalité ?

Voyages aux vraies origines de l’inflation

Tout d’abord, il faut faire la différence entre inflation et anticipations d’inflation que l’on retrouve dans les prix d’instruments financiers et que les marchés financiers expriment à tort ou à raison. Et pour ce faire, il faut comprendre quelles sont les origines d’un point de vue macroéconomique.

Le plus pertinent est de prendre le recul nécessaire pour revenir sur les origines de l’inflation. Bien entendu, il ne faut pas négliger de suivre ce que « pensent » les marchés, mais ceux-ci sont trop court-termistes et versatiles.

Il existe trois origines de l’inflation : une origine conjoncturelle (hausse des prix des matières premières) qui ne peut donc installer l’inflation de manière durable – et deux origines structurelles absentes depuis plusieurs décennies mais qui méritent d’être analysées.

1/ Parmi les origines de l’inflation, on pense aux tensions sur les prix des matières premières en général et des prix du pétrole en particulier. On sait que ce type d’inflation n’est pas structurelle mais réellement transitoire, compte tenu de la forte variabilité des prix du pétrole.

2/ On sait que la deuxième origine de l’inflation est la forte croissance de la création monétaire des banques centrales (refinancements des banques et rachats d’actifs). Cette création de monnaie banque centrale (l’agrégat M0, aussi appelé base monétaire) n’entraîne pas systématiquement de dérapages de la croissance de la masse monétaire (l’agrégat M2, qui est la monnaie détenue par les agents économiques non bancaires).

Cela signifie qu’une partie importante de la liquidité additionnelle est utilisée pour investir sur les marchés financiers. L’inflation se manifeste au niveau du prix des actifs financiers mais il n’y pas d’inflation traditionnelle avec une hausse des prix des biens et services.

Attention, cependant, la création monétaire a deux destinations : les refinancements destinés aux banques commerciales (les TLTRO, entre autres dispositifs), et les programmes de rachats d’actifs qui représentent aujourd’hui l’essentiel de la création monétaire des banques centrales. Et cette liquidité n’est plus exclusivement destinée aux banques mais à l’ensemble des agents économiques vendeurs d’actifs financiers à la banque centrale.

Dans ces conditions, le lien entre M0 et M2 redevient plus fort. En effet, cela veut dire que la hausse de la base monétaire (M0, bilan de la banque centrale) devient de plus en plus corrélée à la hausse de la monnaie détenue par les agents économiques non bancaires (M2) et que le potentiel inflationniste dans la sphère des biens et services (jusqu’alors concentré dans la sphère des marches financiers) peut devenir plus important.

3/ Reste la troisième origine, qui est l’origine la plus structurante, celle des tensions salariales. La véritable inflation naît toujours d’un conflit de répartition entre les entreprises et les salariés.

Salaires et relocalisations

Du côté des salariés, ce conflit est perceptible depuis quelques années avec les crises sociales.

Du côté des entreprises, ce conflit se manifeste de la façon suivante : dans un contexte de baisse possible de leur profitabilité (qui trouverait son origine dans la part plus élevée des salaires dans la valeur ajoutée), celles-ci seront tentées de préserver leur profits en augmentant leurs prix de vente. Dès lors, la spirale prix-salaires (réindexation des salaires sur les prix) des années 1970 serait de retour.

Parmi les tenants du retour de ce type d’inflation, on entend les thèses suivantes :

– La nécessité de relocaliser autant que faire se peut dans les pays de l’OCDE certaines productions réalisées aujourd’hui en Asie (équipementiers industriels, matériel médical, économie de la transition énergétique), toutes choses qui augmenteront les coûts salariaux dans les économies occidentales et relanceraient alors l’inflation salariale… mais les relocalisations ne s’improvisent pas : encore faut-il que les compétences soient toujours présentes.

– Les périodes de fortes tensions sociales seront de plus en plus fréquentes, avec des revendications salariales justifiées et légitimes, spécialement pour les emplois qui auront permis d’assurer une continuité économique minimale et qui ont été loués comme essentiels par tous les responsables politiques et économiques durant les périodes de confinement (santé, transport de denrées de base, distribution, voirie-propreté, sécurité…).

Pourtant, malgré tout cela, nous ne croyons pas au retour de l’inflation, pour les raisons que nous détaillerons demain.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile