La Chronique Agora

Retour d’Argentine

▪ Avons-nous le regard un peu lointain ? Semblons-nous « dans la lune »… voire un peu « dépassé » ?

Peut-être.

Dans les hautes Andes, les sensations vous heurtent de plein fouet, comme une brique d’adobe. Nous sommes un peu déçu, à présent. Il y a quelques jours, nous étions sous le plein soleil — nous revoilà dans la lueur blafarde d’un écran d’ordinateur. Nous nous levions avant l’aube pour chevaucher huit heures durant afin de visiter des ruines indiennes… traverser des torrents… franchir des cols… découvrir des vallées cachées et paradisiaques. A présent, nous traversons la rue pour acheter un café latte avant de nous installer dans notre confortable chaise de bureau.

Nous sommes de retour de notre congé sabbatique. Plus vieux, c’est certain. Plus bronzé et plus mince ? Aussi. Plus sage ? Probablement pas. Mais distrait, certainement. Le parfum de la sauge est encore à nos narines. Le poids des grosses briques d’adobe… les feux de camp et la viande juteuse… les grappes de raisin sur la vigne, les noix sur les arbres, les mouches sur les plaies ouvertes… les cuisines enfumées… et les couchers de soleil dignes d’Autant en emporte le vent — tout est si vif. Si réel. Contrairement aux dernières statistiques du PIB ou de l’inflation !

Qu’allons-nous vous raconter de tout ça ? Que voulez-vous savoir ? Comment en tirer un sens ?

Pourquoi un homme de 63 ans qui a passé toute sa carrière devant un clavier, au niveau de la mer, irait-il à 2 500m d’altitude pour passer 10 heures par jour à travailler comme un forçat avec une équipe de gauchos ? Pourquoi construirait-il une maison de briques cuites au soleil et de pierres taillées, une maison dont il n’a pas besoin, en utilisant des techniques datant de l’époque romaine ? Pourquoi est-ce que sa femme et ses enfants ne l’ont-ils pas arrêté ?

Nous ne pouvons pas répondre à certaines de ces questions. Nous avons eu du mal à leur trouver un sens. Peut-être n’ont-elles pas de réponse à part « ça semblait une bonne idée, à l’époque ».

Nous ne pouvons donc que vous raconter l’histoire… mais laquelle ?

Celle où votre rédacteur a été pris au piège d’une inondation éclair et a dû échouer son camion sur les rochers ?

Celle où il a rencontré un excentrique aristocrate européen qui a acheté 30 000 acres de terres agricoles argentines pour 250 000 $ ?

Celle où, avec l’un de ses lecteurs, il a enlevé son pantalon en plein jour pour traverser à pied la rivière Calchaqui ?

Celle où ce même lecteur s’est retrouvé en possession du seul château dans le nord de l’Argentine ?

Ou celle où Elizabeth a chevauché 12 heures pour se rendre dans une vallée dissimulée afin d’apporter la Communion à une vieille femme aveugle de 95 ans… et a découvert le « viagra naturel » des Incas ?

Et par où commencer ?

▪ Et l’économie, dans tout ça ?
Ah oui ! Commençons avec une petite mise à jour économique. Le précédent président de la banque centrale argentine a eu une petite dispute avec le gouvernement élu. Les politiciens tenaient à utiliser les réserves financières de la banques — c’est-à-dire les réserves vitales du pays en devises étrangères — pour rembourser leurs dettes. Le banquier a refusé — c’est tout à son honneur… et a été viré en février 2010. Il a été remplacé par un président fait dans un moule plus semblable à celui de Ben Bernanke ou Mario Draghi. C’est-à-dire plus moderne, flexible et malléable — une canaille, en d’autres termes.

Le nouveau président de la banque centrale argentine a récemment affirmé qu’il n’y avait « pas de corrélation » entre l’impression monétaire et l’inflation. Voilà le genre d’homme que nous voulons aux commandes d’une banque centrale. Pas un économiste douillet qui tourne autour du pot, dit tout et son contraire, emberlificote et entortille… pas quelqu’un dont on ne sait pas quand le croire ou non. Nous voulons un homme à qui on puisse faire confiance… qui soit un idiot 100% pure laine. Nous savons alors quand il raconte n’importe quoi : dès l’instant où il ouvre les lèvres !

C’est ce qu’il y a de bien en Argentine. On sait où l’on en est. On sait que les politiciens sont pourris et que les bureaucrates sont incompétents, sinon complètement fous. On sait qu’il faut trouver le moyen de passer à côté… de contourner leurs règles… de vous protéger. On sait que les chiffres du gouvernement sont des mensonges, et que ses promesses sont vides. On sait aussi quoi faire avec sa devise — tenter de s’en débarrasser dès que possible.

C’est pour cette raison que les federales argentins ont de nouveaux chiens à l’oeuvre dans les aéroports internationaux. Ils n’essaient pas d’empêcher les gens d’amener des armes ou des produits de contrebande. Ils tentent de les empêcher de sortir des dollars !

Oui, cher lecteur, les journaux nous disent que les Argentins ont des chiens entraînés à renifler les dollars — mettant la crainte au coeur de ceux qui tenteraient de convertir leurs pesos en billets verts pour les emporter là où ils seraient en sécurité.

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