La Chronique Agora

Républicains et démocrates se reparlent… et les marchés flambent

Il y avait eu le rally du 2 janvier et ses +2,3% au compteur pour le Dow Jones… Et depuis neuf mois et une semaine, pas une seule séance n’avait vu l’indice historique gagner plus de 1,5% (c’était le 7 juin dernier).

Il s’en est fallu d’un rien pour que la variation du 2 janvier soit surpassée… mais en termes de points gagnés, +323 points, c’est du jamais vu depuis le 20 décembre 2011 (presque deux ans).

En ce qui concerne le Nasdaq, son envolée de 2,25% a effacé d’un coup la moitié du terrain perdu depuis le 19 septembre dernier… mais le boulot n’est fait qu’à demi puisque le CAC 40 (+2,2%) et l’EuroStoxx 50 (+2,3%) ont effacé en quelques heures la totalité des pertes subies au cours des 14 séances précédentes (avec 100% de titres en hausse).

▪ Soulagement
Les acheteurs ont payé dès l’ouverture avec une rare détermination qui supposait une totale certitude concernant l’annonce d’une reprise des pourparlers entre démocrates et républicains visant à mettre fin au shutdown.

L’anticipation des initiés est devenue à 16h une information officielle, suivie vers 17h d’une conférence de presse du chef de file des républicains, John Boehner. Ce dernier a appelé son camp à voter le principe d’une extension temporaire du plafond de la dette (« sous condition »… mais le marché a jugé cette restriction de pure forme et sans aucune importance).

Tout le monde — de Mario Draghi à Barack Obama — a aussitôt fait part de son soulagement de voir écarté le risque d’un défaut le 17 octobre.

C’est un scénario auquel strictement personne ne croyait (100% de gérants le jugeant inconcevable) ; nous avions déjà évoqué comme très probable l’extension de la durée des négociations budgétaires jusqu’à fin octobre.

Finalement, les parlementaires pourraient s’accorder six semaines de délai, ce qui repousse l’éventualité d’un défaut — ce serait un comble — à fin novembre.

▪ Et le QE3 ?
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, M. Dudley, président de la Fed de New York, estime que le shutdown (qui n’est pas encore suspendu après 10 jours) va conduire la Réserve fédérale à repousser l’amorce d’une réduction du QE3.

Wall Street a depuis longtemps fait le calcul qu’il n’en sera pas question avant l’entrée en fonction de Janet Yellen. Celle-ci devra apprendre à travailler avec des collaborateurs qu’elle ne connaît pas (les effectifs de la Fed vont être renouvelés aux deux tiers), ce qui signifie avec 80% de probabilité une poursuite des injections au moins jusqu’en mars 2014.

80%, c’est également le pourcentage d’opérateurs (particuliers comme institutionnels) qui se déclarent optimistes sur l’évolution de Wall Street (contre 70% la veille). Un total auquel il convient d’ajouter 10% d’opérateurs neutres mais qui avouent se laisser porter avec bonheur par la vague haussière depuis l’été 2012.

Cela nous fait un consensus haussiers à 90% ; la fraction d’investisseurs qui dit s’attendre à un scénario baissier tombe en dessous du plancher historique des 5%.

En temps normal, dans un marché dont la tendance à la hausse est bien affirmée, la proportion de baissiers évolue au sein d’une fourchette comprise entre 7% et 15%. Quand la consolidation s’affirme pour cause de climat d’incertitude ou de sources de stress facilement identifiables, la répartition « haussiers/neutres/baissiers » se rapproche de 60/10/30.

Quand cela tourne à la correction — au-delà de 15% à 20% de repli en quelques semaines –, les baissiers ne sont pas forcément plus nombreux (réponses non sincères car beaucoup de gérants répugnent à se déclarer vendeurs) mais les indécis ou les abstentionnistes peuvent devenir majoritaires.

▪ Capitulation des vendeurs
Nous vivons donc des moments exceptionnels où la quasi-totalité des vendeurs a capitulé.
Tout le monde a bien compris que la logique des flux écrase tout sur son passage — à commencer par une corrélation des actifs boursiers avec le réel. Tout le monde a bien compris que la Fed — avec la complicité de la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon — fixe le score du Dow Jones comme le Soviet Suprême fixait le cours du blé ou de l’acier dans l’URSS d’il y a 50 ans.

Et sur quoi ce consensus hégémonique s’appuie-t-il ?

Eh bien, à trois reprises en l’espace d’un mois sur le report d’un risque n’avait que peu de chances de se matérialiser : l’extinction du QE3 (tout le monde savait que les chiffres économiques étaient mauvais), la candidature de Larry Summers (tout le monde savait qu’il n’avait aucune chance de succéder à Ben Bernanke) et, depuis hier, la certitude qu’il n’y aura pas de défaut jeudi prochain (alors que la probabilité était évaluée à zéro).

Le plus beau, c’est que de nombreux indices européens viennent de battre leur record annuel. Cela alors que la question d’une réduction des achats de la Fed reste entière, chacun s’accordant à craindre que Wall Street ne succombe à l’éclatement d’une bulle… alors que le problème des déficits américain et du surendettement des Etats en général s’aggrave (malgré ou à cause de l’austérité)… alors que la Chine ne cesse de chercher à imposer son leadership et à rogner celui des Etats-Unis via le contournement du dollar dans les échanges bilatéraux.

▪ Les républicains divisés
Si nous devions pour conclure trouver une raison supplémentaire de voir Wall Street repartir à la conquête de ses sommets, c’est le constat que le camp républicain est de plus en plus divisé.

Le sénateur John Mc Cain qui en a fait l’aveu implicite lors d’une interview concernant l’intervention du chef de file du GOP, John Boehner, quelques heures auparavant. Il admet que de chercher à torpiller systématiquement le programme Obamacare n’est pas réaliste et que le shutdown est imputé très majoritairement au camp républicain — lequel s’est fait déborder par son aile droite, le Tea Party.

S’il refuse d’évoquer une rupture avec les « ultras » de son propre parti, il pense nécessaire de leur faire prendre conscience de l’impopularité de leur attitude.

Il a reconnu que des centaines de milliers d’Américains se retrouvaient dans une situation financièrement très difficile et citait comme l’un des exemples les plus révoltants le chômage technique qui frappe les employés du parc du Grand Canyon (qui ne vit que du tourisme). Cet endroit perdu sur la rive sud du Grand Canyon n’est même plus ravitaillé puisque les services de bus et de livraison municipaux sont suspendus.

Et pendant que l’on cherche de la nourriture, de l’essence et des médicaments au Grand Canyon, Wall Street fête le seul concept d’une reprise du travail parlementaire au champagne… et se fiche bien de savoir si un compromis budgétaire acceptable et bénéfique pour le pays sera conclu d’ici six semaines.

Ce qui comptait plus que tout jeudi, c’était de faire replonger le VIX (de -16% en quelques heures, c’est presque un record depuis 18 mois) et de ratiboiser les vendeurs.

Ce fut du travail bien fait !

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