** Les mises en garde des différents rédacteurs des Publications Agora voient leur pertinence se confirmer avec le coup de massue qui s’est abattu sur les indices boursiers hier.
Nous avons assisté en 24 heures à un repli de 5% en moyenne sur les valeurs européennes et de 6,8% en deux séances. En 48 heures, cette baisse a amputé de moitié les gains engrangés depuis le début du mois de mars.
La progression hebdomadaire de 2% du CAC 40 ou de l’Euro Stoxx 50 — affichée vendredi soir — masquait mal un plafonnement des indices depuis le mardi 24 mars.
Le CAC 40, qui a buté à quatre reprises sur la barre des 2 900 points, a décroché de 4,25%. Il a ainsi subi hier son plus sévère repli depuis le 20 février dernier, avec 100% de ses composantes clôturant en territoire négatif ; une bonne demi-douzaine de valeurs de premier plan ont chuté de 9% à 13,25%.
** La horde sauvage des ours — des baissiers — serait donc de retour. Elle aurait mis en déroute jusqu’aux investisseurs les plus intrépides, ne laissant que des décombres parmi les positions acheteuses reconstituées depuis le 9 mars dernier. Les valeurs bancaires ont ainsi plongé de 8,5% en moyenne, les constructeurs automobiles de 8%, les matériaux de base de 7,5%… un vrai jeu de massacre qui rappelait de bien mauvais souvenirs.
Il y avait bien comme un semblant de "bruit et de fureur" en fin de séance — les scores de -5% à Francfort et de -6% à Milan en témoignent. Des nuages de poussière de couleur ocre (tirant sur le rouge) recouvraient le champ de bataille : venons-nous d’assister à une débâcle aussi homérique qu’en début d’année et lors des séances noires de l’automne 2008 ?
Ce que nous avons vécu hier s’apparenterait plutôt à une tempête dans un verre d’eau… eu égard aux masses de liquidités mises en jeu. Les volumes d’échanges sont incomparablement moins étoffés à seulement quatre semaines de distance — et dans une zone de cours parfaitement comparable — puisque 2,4 milliards d’euros ont été échangés autour des 2 800 points, contre quatre milliards d’euros un mois auparavant.
Ce qui est probablement plus inquiétant, c’est la simultanéité de la correction : -4% à Wall Street, -5,1% sur les places européennes avec des écarts très comparables à ceux observés en fin de nuit de Tokyo à Bombay en passant par Hong Kong (-4,5% à -4,7% en moyenne).
La conséquence des 300 points perdus par le Dow Jones (jusque sur 7 500 points), des 45 points lâchés par le Nasdaq (à 1 500 points), des 3,5% cédés par le S&P 500, c’est l’inscription d’un sixième trimestre de repli consécutif pour les indices américains. Une véritable grande première de mémoire d’opérateurs appartenant à la génération de Warren Buffett.
** Si nous avons récemment remis en parallèle — ou plutôt en perspective antagoniste — le rebond des indices à la toile de fond économique, c’était pour souligner que les opérateurs s’interrogent régulièrement pour savoir si les marchés n’ont pas été trop loin dans le registre du pessimisme depuis début septembre 2008. Rien ne garantit que ce soit le cas.
Si la flûte enchantée de Timothy Geithner avait égayé l’humeur des investisseurs la semaine passée, la Reine de la Nuit vient d’entrer en scène ce week-end pour éteindre toute lueur d’espoir dans le coeur des hommes. Et nul ne sait s’il existe un Sarastro qui se tiendrait malicieusement en coulisse en attendant de rétablir l’harmonie entre les hommes, les femmes et la Nature.
L’évocation de l’oeuvre initiatique de Mozart a pour but d’apporter une note d’espoir et de légèreté au sein d’un climat boursier empreint de la pesanteur du plomb.
** C’est un peu comme si un mauvais génie avait rouvert sans crier gare le petit musée des horreurs économiques et poussé tous ses pensionnaires à se répandre en hurlant à travers les quartiers d’affaires. Nous citerons pêle-mêle, et sans souci véritable de hiérarchiser les sujets qui fâchent, les doutes des investisseurs concernant les chances de succès du G20 de Londres visant à apporter des solutions à la crise financière.
Nous mentionnerons l’inquiétude de Wall Street au sujet des chances de survie des constructeurs automobiles américains, et en particulier de General Motors et de Chrysler, alors que la Maison Blanche vient de rejeter les derniers plans de restructurations.
Après le départ forcé de Rick Wagoner ce week-end — exigé par Barack Obama –, GM dispose de 60 jours pour présenter un nouveau projet industriel et social qui conditionnerait l’octroi d’un prêt de 16,6 milliards. Cependant, des rumeurs prétendent que ce sera mission impossible et que la solution du placement sous tutelle du chapitre 11 de la loi sur les faillites retiendrait toute l’attention de la nouvelle direction.
Chrysler se voit imposer un ultimatum de seulement 30 jours pour faire aboutir les pourparlers en vue d’un rapprochement avec l’italien Fiat et pouvoir bénéficier d’une aide de six milliards de dollars. Les dernières informations de la soirée de lundi semblaient augurer d’une issue favorable, mais rien n’est encore signé.
** Les investisseurs se remettent également à s’interroger sur la capacité de rebond de l’économie mondiale cette année. Ils ont de sérieux motifs d’en douter, à commencer par la toute dernière prévision de l’OCDE. Elle anticipe un effondrement de la croissance de 4,3% dans les 30 pays les plus industrialisés de la planète (contre -0,4% en novembre dernier). Avec 5% de contraction économique pendant deux semestres, le diagnostic de la dépression ne serait pas loin.
S’agissant du chômage dans les trente pays de la zone OCDE, les dernières projections indiquent que l’on se dirige tout droit vers un doublement du taux de 5,6% qui prévalait fin 2007. Cela signifie qu’environ 25 millions de personnes pourraient avoir perdu leur emploi — sans espoir d’en retrouver un autre équivalent — en l’espace de deux ans. Et ce chiffre sera plus que doublé en incluant la Chine, puis triplé avec l’Inde et la Russie.
La seule situation comparable au niveau mondial reste sans conteste la crise de 1929.
Selon le baromètre BCI du climat des affaires la Commission européenne, la conjoncture continue de se dégrader dans l’Euroland. L’indicateur synthétique a nouveau décliné, à -3,58 en mars, tandis que l’indice ESI du sentiment économique a baissé de 0,7 point à 64,6. Il s’agit dans les deux cas de nouveaux plus bas historiques depuis janvier 1985, date du lancement de cette statistique.
Il y a d’autre part, les dernières déclarations allemandes concernant un refus d’aller plus loin en matière de dépenses dans le cadre des plans de relance : elles font planer un doute sur la capacité des membres du G20 à s’entendre pour mettre sur pied des mesures globales permettant de soutenir un effort de rebond des économies occidentales. En parallèle, Barack Obama réclame avec insistance de plus grands efforts de la part des pays européens.
** Enfin, les inquiétudes concernant la santé des banques ressurgissent. Le groupe UBS fait de nouveau parler de lui avec des rumeurs de dépréciations d’actifs. En Espagne, la banque centrale et le gouvernement sont intervenus dans l’urgence ce week-end pour soutenir une caisse d’épargne castillane manquant de liquidités. C’est le premier sinistre de ce genre dans le système bancaire ibérique, mais il pourrait ne pas être le dernier car l’Andalousie connaît un ralentissement immobilier majeur.
Aux Etats-Unis, le mois de mars se solderait par une hécatombe de faillites dans le secteur des PME/PMI. En outre, le taux de défaut sur les cartes de crédit explose (entre 8% et 10% selon les établissements) et les organismes hypothécaires soutenus par le gouvernement et l’argent du contribuable feraient face à des incidents sérieux concernant plus de 7,5% des dossiers.
** Nous allons stopper volontairement cette litanie non-exhaustive des turpitudes de ce lundi 30 mars, laquelle donne envie d’aller avaler une demi-bouteille de whisky pour faire passer un cocktail composé d’une poignée de cachets de Valium et de Stilnox. Nous allons plutôt vous mettre en garde contre la crainte d’une explosion du chômage vendredi et d’une nouvelle série de trimestriels à désespérer de tout aux Etats-Unis à partir du début de la semaine prochaine.
Si après avoir lu attentivement tout ce qui précède, vous êtes maintenant convaincu que le CAC 40 n’a d’autre choix que de retomber vers 2 400 points et le Dow Jones vers les 6 000 points, sachez qu’il y a au moins 50% de chance de voir ces deux indices gagner 10% ou 15% supplémentaires d’ici la première semaine de mai. En effet, c’est exactement le scénario auquel nous avions assisté à partir de la mi-mars 2003 et 2008.
Philippe Béchade,
Paris