Où va le marché obligataire ? Quelle direction les taux d’intérêts vont-ils prendre ? Faut-il être haussier ou baissier sur les rendements ?… Et si toutes ces questions n’avaient aucun sens ?
La baisse des marchés obligataires a relancé une question fréquemment posée ces dernières années : le boom des titres à revenu fixe qui dure depuis quatre décennies touche-t-il enfin à sa fin ?
Les baissiers/bears soulignent les niveaux extraordinaires de création monétaire et les immenses déficits gouvernementaux observés depuis 2008.
Cependant, les haussiers/bulls obligataires s’en tiennent à leurs convictions. L’économie des cycles de taux d’intérêt est floue. Et l’histoire financière offre peu d’indications, sauf pour suggérer que lorsque le marché tourne enfin, la plupart des investisseurs sont pris à contrepied.
Au cours de l’année écoulée, les Etats-Unis ont connu une croissance accélérée de la masse monétaire et ils ont produit le plus grand déficit budgétaire depuis la Deuxième guerre mondiale.
La Réserve fédérale a pratiquement doublé la taille de son bilan. Ce n’est pas tout. Le plan de relance de 1 900 Mds$ du président Joe Biden vient de passer la Chambre des représentants, tandis que le président de la Fed, Jay Powell, s’est engagé à acheter pour 120 Mds$ de titres longs chaque mois.
Les marchés des matières premières sont en folie. Les anticipations d’inflation se sont développées.
Hausse des rendements à venir ?
Les baissiers obligataires suggèrent que les rendements reprendront leur hausse à mesure que la mondialisation s’inversera. Selon eux, l’expansion rapide du commerce international au cours des dernières décennies a exercé une pression à la baisse sur les salaires, sur l’inflation et sur les taux d’intérêt.
La mondialisation était déjà en cours d’inversion avant que la pandémie ne produise son propre choc dans les chaînes d’approvisionnement.
Dans les années à venir, la main-d’œuvre chinoise diminuera et les pressions populistes contre le libre-échange vont probablement persister. Alors que la Chine va peut-être cesser d’exporter de la déflation, si c’est le cas, les taux d’intérêt à long terme sont appelés à augmenter.
Les amateurs d’obligations mettent en avant d’autres arguments. Les populations vieillissantes favorisent la déflation, pas l’inflation, disent-ils. En cas de doute, il suffit de regarder l’expérience du Japon depuis 1990.
Par ailleurs, les emprunts publics massifs contractés pendant la pandémie viennent de s’ajouter à un tas de dettes improductives, dont l’impact est clairement déflationniste. Tout coup de pouce économique induit par le plan de dépenses de Biden et les monétisations ne sera que passager.
L’environnement reste fondamentalement déflationniste, disent les haussiers obligataires, une inflation autre que temporaire ne peut s’installer.
« Tout ce que je sais, c’est qu’ils varient »
J’ai beau lire les meilleurs auteurs, je ne vois rien de convaincant dans un sens ou dans l’autre. Pire, j’ai la conviction que toute démarche analytique qui se donne pour objectif de prévoir l’évolution des taux d’intérêts est grotesque, ridicule, et qu’elle se discrédite d’elle-même, méthodologiquement.
Le seul économiste que je respecte en la matière est Charles Rist qui, interrogé sur l’évolution future des taux a répondu, humblement : « Tout ce que je sais, c’est qu’ils varient. »
« L’opinion dominante n’est jamais capable de prédire l’évolution future des prix [des obligations], mais elle explique seulement leur position actuelle », a écrit l’économiste John Burr Williams dans son ouvrage classique de 1938, The Theory of Investment Value.
Personne n’a de théorie satisfaisante des taux ; à mon avis, c’est tout simplement parce qu’il n’y en pas – ou alors parce qu’il y en a plusieurs, une multitude, et que l’on ne sait jamais laquelle, à un moment donné, il faut choisir et appliquer.
A mon avis, les taux ont des fonctions complexes, différentes selon les époques et les états du système dans lequel ils s’insèrent. Leur intelligibilité n’est jamais absolue mais relative à un moment de l’Histoire en général : monétaire, financière, économique, politique, géopolitique, sociale, etc.
Il n’y a pas plus de taux naturels que de taux administré, de taux de marché, de taux d’équilibre ou de taux de ceci ou de cela. Le taux constaté est toujours un « taux résultant » d’interactions tellement enchevêtrées que leurs forces et leur influence relative ne peuvent jamais être démêlées.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]