▪ Ce qui est bien avec les marchés, c’est qu’ils changent tout le temps. Avec eux, on n’est jamais au bout de ses surprises. Mais le marché, aussi sournois soit-il, dévoile parfois son jeu.
Il y a deux semaines, ayant du temps à tuer à l’aéroport JFK de New York, je me suis plongé dans un exemplaire du magazine Bloomberg Markets. Un article en particulier a attiré mon attention, il était intitulé : « Des industriels rentrent au pays ». L’article avait pour objectif de montrer que l’industrie américaine est plus concurrentielle qu’on ne le croit.
Les industriels eux-mêmes commencent à le remarquer. C’est pourquoi certains d’entre eux ouvrent de nouvelles usines aux Etats-Unis ou relocalisent des usines qui avaient été transférées loin du pays. La raison en est très simple. Les sirènes qui les avaient attirés au loin — une main-d’oeuvre et du pétrole bon marché — ne sont plus aussi séduisantes.
Comme je l’avais remarqué il y a quelques jours, l’écart des salaires a en partie été comblé. En Chine et dans d’autres marchés étrangers, les salaires ont beaucoup augmenté tandis qu’aux Etats-Unis ils ont stagné. En outre, l’époque du pétrole bon marché est bel et bien révolue. Le pétrole est un facteur primordial — pour la première fois de son histoire, le brut a atteint en moyenne plus de 100 $ le baril l’année dernière. Mais le gaz naturel est un autre appât pour revenir aux Etats-Unis. Ainsi, en Chine, les prix du gaz naturel sont deux fois plus élevés qu’aux Etats-Unis.
Ce n’est pas tout : le dollar US a perdu un quart de son pouvoir d’achat depuis 2002 par rapport à un panier de 20 grandes devises. Les actifs et les talents américains sont donc moins chers comparés à des actifs et des talents similaires étrangers.
Mais le coût des matières premières n’est qu’une partie de l’équation. Il faut aussi prendre en compte d’autres éléments, comme les risques sur la propriété intellectuelle et la fragilité des chaînes d’approvisionnement. Le tsunami japonais et les inondations en Thaïlande ont fortement perturbé les industriels. En outre, les Etats-Unis restent encore le plus grand marché au monde. Par conséquent, si l’on continue dans cette logique, mieux vaut fabriquer les choses au plus près des clients qui les achètent.
▪ La relocalisation est en marche
Les chercheurs chez Gartner prévoient que 20% des biens fabriqués en Asie pour les Etats-Unis seront à nouveau fabriqués aux Etats-Unis d’ici 2014. Les enquêtes auprès des industriels montrent que beaucoup d’entre eux envisagent de relocaliser leurs opérations aux Etats-Unis.
Alors que nous continuons à nous frayer difficilement un chemin vers des bénéfices au deuxième trimestre, de plus en plus d’entreprises annoncent qu’elles investiront aux Etats-Unis. Ceci est vrai pour des géants tels Caterpillar comme pour des acteurs de moindre envergure tels Carlisle. Carlisle Companies est un petit conglomérat qui fabrique entre autres des pneus et des isolants. Son PDG, Dave Roberts, a récemment écrit : « nous trouvons qu’il est tout aussi bon marché de fabriquer aux Etats-Unis qu’en Chine ».
Si vous aviez osé prononcer ces mots en public il y seulement deux ans, on vous aurait qualifié de stupide, de patriote aveugle ou de bon pour l’asile… ou les trois en même temps.
A Manhattan [le mois dernier], j’ai assisté au 22e Pump, Vale & Motor Symposium organisé tous les ans par Gabelli. Là, une dizaine d’industriels ont raconté leur histoire. Il s’agissait d’entreprises dont les ouvriers travaillent à Batavia, dans l’Etat de New York, et à Mansfield dans l’Ohio. Difficile de sortir de là en étant pessimiste ! J’ai trouvé beaucoup d’entreprises qui fabriquent des choses très intéressantes. Leurs carnets de commandes sont pleins. Et même si tout le monde a fait montre de prudence et que personne ne s’est lancé dans des prévisions trop optimistes, il est clair que les affaires ne vont pas si mal.
Parmi les nombreuses entreprises présentes, j’ai remarqué Flowserve, l’une des plus patriotes. Sa dernière acquisition en 2011 était Lawrence Pumps, une entreprise basée dans le Massachusetts. Avant cela, en 2010, Flowserve avait racheté Valbart, un fabricant italien qui ouvre en ce moment même une usine à Houston.
Naturellement, beaucoup de gens pensent encore que plus rien ne se fabrique aux Etats-Unis. J’ai lu récemment un excellent article dans The Atlantic intitulé « Fabriquer en Amérique » par Adam Davidson. En voici un extrait :
« Nous fabriquons encore des choses ici, même si beaucoup de gens ne me croient pas lorsque je leur dis cela. Tout dépend des statistiques auxquelles vous vous fiez : soit les Etats-Unis sont les premiers soit les deuxièmes fabricants au monde (la Chine nous a peut-être dépassé il y a un an ou deux). Quel que soit le classement actuel de notre pays, sa production industrielle continue de connaître une forte croissance ; rien que ces 10 dernières années, la production des usines américaines, après correction de l’inflation, a augmenté d’un tiers ».
Ce qui désarçonne les gens est la perte des emplois industriels. Rien qu’au cours de la décennie se terminant en 2009, les Etats-Unis ont perdu plus d’emplois industriels qu’ils n’en avaient gagné au cours des 70 années précédentes.
Environ un de ces emplois sur trois a disparu. Davidson continue :
« Y a-t-il une crise industrielle en Amérique ? Si l’on ne tient compte que de la valeur en dollars de la production industrielle, la réponse semble être un non catégorique. Les industriels américains fabriquent et vendent plus de biens que jamais auparavant. Leur succès se fonde sur une incroyable hausse de la productivité, une façon positive de dire que les usines produisent plus avec moins d’ouvriers ».
Toutefois, il y a une dimension humaine à tout cela — tous ces emplois perdus et les gens impliqués aujourd’hui dont les emplois sont loin d’être garantis.
Clairement, en tant qu’investisseur, cela vaut la peine de jeter aux orties les vieilles idées selon lesquelles les Etats-Unis ne sont pas compétitifs dans l’industrie et que rien ne se fabrique plus dans ce pays. Ces deux assertions sont fausses. Savoir cela pourrait vous faire gagner de l’argent.