La Chronique Agora

Records battus et économie cassée

▪ Eh bien ! Paix sur terre aux hommes de bonne volonté, ont annoncé les médias.

Les marchés ont fêté ça en reprenant du terrain, pendant que l’or retournait se cacher.

Nous aurions pensé que tous les actionnaires potentiels avaient déjà placé leurs ordres. D’où vient l’argent qui a fait grimper les indices ?

Il a été emprunté. C’est un autre record qui a été battu dernièrement — la dette de marge. Jamais encore autant d’argent n’avait été emprunté spécifiquement pour acheter des actions. En tant que ratio du PIB, la dette de marge n’a vu de tels sommets qu’à deux reprises ces dernières années — en 2000 et en 2007. En dollars, la dette de marge totale atteignait les 481 milliards de dollars à la fin janvier, 20% de plus qu’au sommet de 2007… et soit près de 3% du PIB américain.

De temps en temps, des records sont battus — mais jamais sans douleur. Dans le cas des exploits sportifs, c’est au moment de l’effort que viennent les larmes. Après un sommet du S&P 500, en revanche, il peut falloir du temps.

Tant de records sont battus dans le secteur des hautes technologies qu’on dirait qu’un camion est entré en collision avec un magasin de médailles. Facebook a mis la barre très haut avec sa propre introduction en bourse puis avec son rachat de WhatsApp. Qui aurait pu croire qu’une application gratuite — utilisée par les jeunes pour s’envoyer des messages insipides — pourrait valoir 19 milliards de dollars ?

Peut-être que les arbres poussent vraiment jusqu’au ciel. Peut-être y a-t-il des médailles sans revers.

A présent, tout semble possible. Peut-être que les arbres poussent vraiment jusqu’au ciel. Peut-être y a-t-il des médailles sans revers. Peut-être que des valeurs biotechs dont le PER atteint 700 sont encore bon marché. Et peut-être… oui, peut-être… que Janet Yellen sait ce qu’elle fait.

▪ Les cours d’accord… mais quid des bénéfices ?
Les bénéfices des entreprises sont eux aussi en territoire record. Les récents résultats ont montré des profits atteignant des sommets qu’on n’avait plus vus depuis 1946 — 30% au-dessus de la moyenne d’après-guerre. Les bénéfices ont grimpé d’environ 10% au cours des 12 derniers mois, tandis que les ventes ont à peine bougé. Voilà qui doit aussi être une sorte de record ; pour la première fois, les entreprises américaines semblent capables de produire des bénéfices immaculés, sans la moindre souillure provenant d’une authentique augmentation des ventes.

On trouve dans les pages du Wall Street Journal et du Financial Times — les deux journaux qui enregistrent l’évolution du capitalisme mûr et dégénéré du 21ème siècle — un autre record (selon le Wall Street Journal) :

« Les neuf fondateurs des quatre groupes de private equity cotés aux Etats-Unis ont empoché plus de 2,5 milliards de dollars à eux tous l’an dernier — Leon Black, d’Apollo Global Management, recevant à lui seul 546 millions de dollars ».

Voilà qui doit être un record. Plus d’un demi-milliard de dollars pour une seule année. Et avec quel business model ! Les fonds de private equity, rusés, achètent des entreprises boiteuses, empruntent beaucoup d’argent en leur nom puis revendent ces sociétés saturées de dettes à des investisseurs naïfs.

Avons-nous oublié quelque chose ? Ah oui… Ben Bernanke et un autre record du monde ! Sans interventionnisme record — dont plus de 3 000 milliards de dollars de liquidités en provenance de l’inépuisable source de la Fed — le pauvre M. Black n’aurait peut-être pas trouvé autant de volontaires pour ses bras cassés…

▪ L’inflation, en revanche…
Parallèlement, l’inflation des prix à la consommation a battu son propre record aux Etats-Unis. Non pas en grimpant… mais en stagnant. Bloomberg rapportait, le mois dernier :

« L’indice des prix pour les dépenses de consommation personnelles, à l’exception de l’alimentation et de l’énergie, a grimpé de 1,2% en 2013, égalant 2009 pour le plus petit gain depuis 1955 ».

Les consommateurs, sans la pression d’une hausse de l’IPC pour les aiguillonner, ont montré peu d’envies de se joindre à la fête.

Les consommateurs, sans la pression d’une hausse de l’IPC pour les aiguillonner, ont montré peu d’envies de se joindre à la fête. A la place, ils frissonnent dans leur chambre et se demandent comment payer la facture d’électricité. Comme le rapportait le Wall Street Journal mardi, ils dépensent pour ce dont ils ont besoin, non pour ce qu’ils veulent. Les dépenses de santé et de carburant ont augmenté en janvier, rapporte le Journal, tandis que les consommateurs « réduisent en fait les dépenses discrétionnaires ».

Cela nous laisse à penser que l’économie ne fonctionne plus. Et avec tant de choses cassées, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander quand toute l’affaire finira par s’effondrer.

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