La Chronique Agora

Récession ou inflation ?

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Les banques centrales se retrouvent toujours face au même dilemme, mais elles peuvent encore changer la direction apparemment choisie.

Bien que de nombreux investisseurs soient actuellement préoccupés par l’augmentation des taux d’intérêt, ils semblent toujours ignorer un risque plus important encore : la probabilité d’une crise de liquidité en 2023.

Au cours de l’année dernière, les bilans des banques centrales ont à peine, voire pas du tout, diminué. La réduction du bilan des principales banques centrales s’explique en réalité majoritairement par la baisse de la valeur des titres obligataires qu’elles ont accumulés et par l’affaiblissement de certaines devises plutôt que par des ventes d’actifs.

Dans le contexte de déficits publics qui ne diminuent guère et même, dans certains cas, qui continuent d’augmenter, les investisseurs doivent tenir compte du risque d’une réduction significative des bilans des banques centrales. Un resserrement quantitatif imposé par les banques centrales combiné au refinancement des déficits publics, en dépit de taux d’intérêt plus élevés, auront pour effet de drainer les liquidités des marchés financiers. Cela entraînera inévitablement une contraction des liquidités disponibles à l’échelle mondiale bien plus importante que ce qu’indiquent les données officielles.

L’effet multiplicateur de la panique

De la même manière que les injections de liquidités ont clairement un effet multiplicateur au travers des mécanismes de transmission de la politique monétaire, les retraits de liquidités ont un effet récessif. Une augmentation d’une unité monétaire de l’actif du bilan d’une banque centrale se traduit au travers des mécanismes de transmission par une augmentation des liquidités en circulation dans l’économie au moins cinq fois supérieur. A présent, vous pouvez faire les calculs, mais gardez à l’esprit que les dépenses publiques seront financées.

Nous avons tendance à croire que les liquidités ne peuvent disparaitre. En raison du syndrome FOMO [NDLR : « Fear of missing out », c’est-à-dire la peur de rater une opportunité], les investisseurs ont augmenté leur exposition aux actifs risqués et ajouté des actifs illiquides à leurs portefeuilles au cours des années d’expansion de la masse monétaire. En période d’excès de création monétaire, les ratios de valorisation des actifs ne cessent de croitre.

Comme nous pouvions toujours compter sur une augmentation des liquidités, lorsque les prix des actifs connaissaient une phase de correction au cours des deux dernières décennies, la meilleure stratégie consistait à « acheter les creux » en doublant la mise. Les investisseurs étaient en effet persuadés que l’inflation resterait faible et que les banques centrales continueraient d’accroître leurs bilans et d’injecter des liquidités, les sauvant ainsi de toute mauvaise décision d’investissement.

C’est un pari dangereux qui a duré deux décennies : l’expansion monétaire sans retour de l’inflation. A présent, comment gérer une situation dans laquelle les banques centrales vont devoir réduire leurs bilans d’au moins 5 000 Mds$ ? Ne croyez pas que j’exagère, face à la bulle de 20 000 Mds$ qui s’est formée sur les actifs depuis 2008, on ne pourra échapper à une réduction du bilan des banques centrales d’au moins 5 000 Mds$. En réalité, un resserrement quantitatif de 5 000 Mds$ serait plutôt un choix modéré. Pour revenir aux niveaux d’avant 2020, la Fed devrait à elle seule réduire son bilan de ce montant.

Il faut garder à l’esprit que les banques centrales des pays développés doivent réduire leurs bilans de 5 000 Mds$, alors que, dans le même temps, il faudra financer plus de 2 500 Mds$ de déficits publics dans ces mêmes pays.

Tous les outils sortent de la boîte

Les effets de cette contraction de la masse monétaire sont difficiles à prévoir étant donné que, depuis au moins deux générations, les traders n’ont connu que des politiques expansionnistes, mais ils seront sans aucun doute désagréables. La liquidité a déjà diminué dans les classes d’actifs les plus risqués, tels que les obligations à haut rendement et les cryptoactifs. Lorsque ce resserrement commencera réellement, les actifs supposés plus sûrs commenceront probablement à être également affectés.

Au cours d’une interview donnée fin 2022, le président de la Bundesbank, Joachim Nagel, a déclaré que la BCE commencerait à réduire son bilan dans le courant de l’année 2023 et a ajouté que « une récession pourrait ne pas suffire à ramener l’inflation à son niveau cible ». Cela suggère que l’effet placebo de « l’outil anti-fragmentation » utilisé depuis l’été 2022 pour masquer le niveau de risque des obligations de certains des pays en périphérie de la zone euro pourrait commencer à perdre de son efficacité. En outre, le coût des capitaux propres et le coût moyen pondéré du capital augmenteront dès que les écarts de rendement des obligations souveraines commenceront à s’accroître.

Le capital ne peut être que créé ou détruit, il ne reste jamais en quantité constante. Et si les banques centrales veulent lutter efficacement contre l’inflation, la quantité de capital devra inévitablement être réduite.

L’argument le plus utilisé par les investisseurs qui parient sur une hausse des marchés est que les banques centrales auraient tiré les leçons de la crise de 2008 et qu’elles n’oseront pas laisser les marchés s’effondrer. Bien que cette analyse soit pertinente, cela ne suffit pas à justifier les ratios de valorisation actuels. Ce qui importe réellement pour les banques centrales, c’est que les Etats soient en capacité de se financer, ce qui continuera d’être le cas.

L’effet d’éviction des dépenses publiques sur la distribution de crédits au secteur privé n’a jamais été une préoccupation majeure pour les banques centrales. Gardez à l’esprit que je n’estime qu’à 5 000 Mds$ le montant total de la baisse à venir de la taille des bilans des banques centrales, ce qui constitue un scénario assez optimiste au regard de l’ampleur de l’augmentation de leurs bilans en 2020-2021 et de tous les excès qui se sont produits en matière de politique monétaire entre 2008 et 2021.

Conséquences de l’inflation

Les banques centrales ont conscience de ce que pourrait être le scénario du pire, à savoir une inflation durablement élevée combinée à une récession qui aurait un impact profond sur la population, entrainant un mécontentement croissant et un appauvrissement généralisé. Elles savent qu’elles ne peuvent pas laisser l’inflation se maintenir à un niveau élevé simplement pour satisfaire les attentes des marchés en matière de valorisation. Les mêmes banques centrales qui affirment que l’effet richesse permet de soutenir l’activité économique sont également conscientes des conséquences désastreuses lorsque l’inflation est trop longtemps ignorée, comme ce fut le cas dans les années 1970.

La hausse des prix de l’énergie, qui servait jusqu’à présent d’excuse pour expliquer le niveau élevé de l’inflation, va probablement prendre fin et ce sera un test décisif pour les banques centrales. L’excuse de la désorganisation des chaines d’approvisionnement n’est déjà plus valable, de même que l’excuse selon laquelle l’inflation ne serait que transitoire. L’excuse de la hausse des prix de l’énergie a déjà perdu une partie de sa crédibilité depuis le mois de juin 2022. La vérité dérangeante de la hausse de l’inflation structurelle a été révélée par la baisse récente des prix des matières premières.

Les banques centrales ne peuvent accepter un maintien de l’inflation à des niveaux élevés, car cela signifierait qu’elles ont failli à leur mission. Personne ne peut prévoir avec précision comment un resserrement quantitatif affectera les prix des actifs et l’accès au crédit, ce resserrement est néanmoins nécessaire. Ce que nous savons en revanche avec certitude, c’est que le resserrement quantitatif, même dans le scénario d’une diminution minimale des bilans des banques centrales, devrait entrainer une baisse bien plus importante des multiples de valorisation des actifs à risque que ce qui a eu lieu jusqu’à présent. Étant donné que la phase de destruction de capital ne fait que commencer, l’effet récessif sera probablement plus important que prévu. Et l’économie réelle est toujours affectée par une période de destruction de capital.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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