La Chronique Agora

Rangez l’autobronzant…

** Il faisait si gris, si triste, si venteux et humide sur Paris ce mercredi qu’un auteur de romans noirs amateur d’ambiance du style « ombres transies et réverbères sur pavés luisants » disposait de tous les éléments pour parvenir au faîte de son inspiration.

Cette journée si automnale, si pluvieusement irlandaise (amical salut à nos lecteurs expatriés à Dublin ou dans le Connemara) se devait d’être ensoleillée par quelque artifice agréable. A défaut de pouvoir retrouver au coin de la rue la chaleureuse ambiance d’un pub où la Guinness chambrée coule à flot, les épargnants français ont pu profiter du vert irlandais en jetant un coup d’oeil au CAC 40. Le principal indice français s’est apprécié de 0,87%, effaçant 99% des pertes subies la veille. Cependant, le bilan des cinq dernières séances demeure bel et bien négatif de 0,7%.

L’euphorie des deux séances quasi-historiques des 18 et 19 septembre dernier (+6% en 36 heures d’horloge) éprouve quelques difficultés à trouver un prolongement au-delà du seuil des 5 700 points. Le soufflé retombe, et avec lui les volumes d’échanges puisque le chiffre d’affaires (5,8 milliards d’euros) a baissé de 20% par rapport à la veille, et de moitié par rapport à vendredi dernier.

** Les dernières statistiques en provenance des Etats-Unis sont tombées comme une feuille morte chargée de pluie : sans grâce, puis émettant un léger « floc » en touchant le sol !

La chute de 4,9% des commandes de biens durables aux Etats-Unis au mois d’août (hors transports, la baisse ressort à -1,8%) confirme l’arrivée d’un automne économique rigoureux.

Il suffit de voir le dernier bulletin de la météo immobilière (recul de 4,3% de reventes de logements anciens, stocks au plus haut depuis 1989)… ou sur la dernière enquête publiée par une association d’établissements de crédit US, qui fait état d’un triplement des incidents de remboursement sur des prêts à taux variables au cours des 12 derniers mois.

Mais chaque automne — qu’il s’annonce précoce (c’est le cas cette année puisqu’il a début à la mi-août !) ou tardif comme en 2006 — nous offre à un moment ou un autre sa période d' »été indien ». Beaucoup d’investisseurs européens espèrent la venue imminente de cette vague de chaleur qui permettrait aux indices du Vieux Continent de combler un handicap de -5% sur ceux du Nouveau Monde, revenus ce mercredi au contact de leurs records absolus.

** Au moment où nous écrivons ces lignes, le Dow Jones (13 870 points à mi-séance) ou le S&P 500 (à 1 527 points) se situent à moins de 1% de leurs zéniths historiques respectifs.

Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si la conjoncture économique américaine — assimilable à un athlète qui peine visiblement à retrouver son souffle… mais serait-ce une ruse pour mettre en confiance l’adversaire ? — reste si proche de sa forme optimale qu’elle justifie une poursuite de l’euphorie boursière, et l’anticipation de nouveaux records en cascade…

Est-il raisonnable de ne compter que sur la possibilité de voir la Fed réduire de nouveau son taux directeur cet automne ? N’est-ce pas assimilable à du dopage en bonne et due forme ?

Wall Street ne risque-t-il pas la disqualification — et de devoir rendre son maillot jaune comme Floyd Landis à l’issue du Tour de France 2006 ? Le bon docteur Ben Bernanke et sa seringue à liquidités géante ne vont-ils pas devoir rendre des comptes ?

** Les Etats-Unis disposent cependant d’un avantage considérable par rapport à leurs rivaux : ce sont eux qui fixent la plupart des règles (pratiques économiques, présence militaire dans le monde) et qui nomment les arbitres tels que l’OMC, l’OCDE… et surtout les organismes de rating. Ces derniers sont au nombre de trois et jouissent d’un monopole exorbitant en matière d’évaluation des émissions obligataires des entreprises privées.

Celles des entreprises américaines (et des institutions financières principalement) représentent plus de la moitié de la dette en circulation de par le monde. Il peut être tentant de fermer les yeux sur des informations « non sincères », pour ne pas dire mensongères, communiquées par des directeurs financiers indélicats comme l’ont démontré les affaires Enron ou Parmalat.

Et comment les Moody’s, Standard & Poor’s et autres Fitch font-ils pour noter des agrégats hétérogènes de lignes de crédit regroupées dans des « conduits » ? Ces derniers sont d’ailleurs eux même domiciliés dans des paradis fiscaux où la notion de transparence est bien connue… mais uniquement par le biais des glossaires des dictionnaires financiers !

Combien de pommes pourries dans chaque panier de CDO ou de RMBS ? Comptez sur les traders pour ne présenter que les fruits les plus appétissants ; la légère odeur de moisi qui flotte dans l’air peut être facilement masquée par la fragrance d’un cigare de fort calibre.

** Mais pour en revenir aux anticipations d’un bel été indien et son cortège de douceurs boursières, la flambée des cours du 18 au 21 septembre ne fut-elle pas justement cet épisode estival tant espéré, si torride que personne n’a eu le réflexe de le considérer comme tel ?

Nous voici parvenus à 24 heures de la fin du troisième trimestre. Nous soupçonnons les gérants américains de passer de la crème solaire auto-bronzante sur leurs portefeuilles afin de leur donner meilleure mine, avant que ne soient publiés d’ici une semaine les premiers résultats financiers de la période juillet/septembre : les analystes risquent de blanchir prématurément à leur lecture !

Si les chiffres d’affaire et les marges des blue chips cotées sur le NYSE déçoivent, nous ne sommes pas prêts de voir reverdir le dollar cet automne !

Parmi les secteurs qui nous apparaissent les plus vulnérables à court terme, nous mettrions les valeurs pétrolières et parapétrolières en tête de liste… mais rassurez-vous, nous guettons une consolidation salutaire afin de réinvestir en force sur le compartiment énergétique.

Philippe Béchade
Paris

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