La Chronique Agora

Rachats d’actions records : bonne ou mauvaise nouvelle pour les investisseurs ?

Alors que les marchés sont au plus haut et que le ratio P/E frôle des niveaux historiques, les entreprises annoncent des rachats d’actions records. Un cadeau aux actionnaires ou une stratégie coûteuse et trompeuse ?

En 2025, les entreprises américaines devraient racheter pour 1 100 milliards de dollars d’actions. (Un montant équivalent à la taille de l’économie turque, la 18ᵉ au monde.) Elles ont déjà annoncé des autorisations de rachats pour 984 milliards de dollars.

Deux chiffres jamais atteints auparavant.

D’ici la fin de l’année, le total des annonces pourrait dépasser 1 300 milliards de dollars.

Or, cette frénésie intervient alors que les marchés évoluent à des sommets historiques et que les ratios cours/bénéfice (P/E) sont très élevés. En réalité, le P/E actuel n’a jamais été aussi haut – à l’exception de périodes exceptionnelles comme la bulle Internet, la crise financière ou la pandémie de COVID.

Je ne considère pas le ratio P/E comme la mesure ultime de valorisation ou de direction des marchés. Mais il reste un bon indicateur de la fièvre ambiante, et il me paraît absurde que les entreprises rachètent des actions à ces niveaux simplement parce qu’elles en ont les moyens.

Elles devraient le faire lorsque les marchés chutent. Or elles ne le font presque jamais.

Voici mes trois principaux arguments contre les rachats d’actions…

1. Laissez-moi décider de l’usage de cet argent

On présente souvent les rachats comme une façon de « restituer de l’argent aux actionnaires ». Mais si une entreprise dispose d’excédents de trésorerie, je veux décider moi-même si son action est une bonne opportunité.

Je ne fais pas confiance à un P-DG qui pourrait être tenté de maquiller les chiffres pour gonfler artificiellement le bénéfice par action (BPA).

Prenons un exemple simple…

2. Les rachats ont souvent lieu au mauvais moment

Dans mon livre Get Rich with Dividends, je cite une étude d’Azi Ben-Rephael, Jacob Oded et Avi Wohl (Review of Finance), qui montre que les petites entreprises rachètent généralement à bon compte, lorsque les cours sont faibles.

Les grandes sociétés, en revanche, privilégient l’apparence : elles veulent montrer qu’elles « font quelque chose » de leur trésorerie excédentaire, plutôt que de gérer prudemment le capital.

3. Les dirigeants disent une chose et font l’inverse

Bien des dirigeants n’hésitent pas à racheter massivement des actions… tout en vendant leurs propres titres.

Exemple : Apple, qui a annoncé jusqu’à 100 milliards de dollars de rachats cette année. Aucun achat d’initiés depuis dix ans. En revanche, Deirdre O’Brien, la vice-présidente senior, a vendu pour 7,8 M$ d’actions en août, après 23 M$ l’an dernier. Chris Kondo, directeur comptable, a vendu pour 934 000 $ en mai, en plus des 5 M$ écoulés en 2024. Quant à Tim Cook, il a encaissé plus de 24 M$ cette année.

Même logique chez JPMorgan Chase : aucun achat d’initiés depuis 2023 – mais des ventes massives, dont 170 M$ pour Jamie Dimon, son P-DG. Et pourtant, la banque a validé en juillet un nouveau programme de rachat de 50 milliards de dollars.

Vous voyez le schéma.

Alors, que faudrait-il faire ?

Certes, un initié peut vendre pour des raisons légitimes : diversifier son patrimoine, préparer une succession, financer une dépense personnelle…

Mais doit-il pouvoir vendre ses titres tout en utilisant l’argent des actionnaires pour soutenir artificiellement le cours ? Si une direction tient à racheter des actions, pourquoi ses membres ne s’engageraient-ils pas à ne vendre aucune action pendant un an ?

Je fais confiance aux dirigeants pour piloter leur société. Mais je ne leur fais pas confiance pour gérer les excédents de trésorerie, sauf s’ils investissent eux-mêmes aux côtés des actionnaires.

Quand une entreprise dispose de liquidités trop importantes, la meilleure solution est simple :

Ainsi, chaque investisseur reste libre de décider ce qu’il fait de son argent, au lieu de laisser une direction, en situation potentielle de conflit d’intérêts, en décider à sa place.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile