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Qui s’inquiète d’un défaut américain ?

Qui s'inquiète d’un défaut américain ? dette

Goldman Sachs a alerté ses clients au sujet de la « soutenabilité » de la dette fédérale. S’agit-il d’un cas isolé parmi les institutions bancaires ?

Un indice : vraiment, mais alors vraiment pas du tout !

Bank of America : les marchés vont bientôt paniquer au sujet de la soutenabilité de la dette

Bank of America s’est elle aussi inquiétée de la soutenabilité de la dette fédérale américaine un peu plus tard que Goldman Sachs, et surtout de manière plus indirecte.

Dans son enquête auprès des investisseurs obligataires européens publiée début mai, l’analyste crédit Barnaby Martin dresse un constat important. En trois mois seulement, les marchés ont complètement retourné leur veste au sujet des prospectives économiques.

Alors que les craintes d’inflation dominaient en début d’année, les sondés ont désormais peur de l’absence d’inflation, donc de « l’échec quantitatif » (« quantitative failure »).

Car comme le relève Martin, « il doit y avoir de l’inflation : le monde n’a jamais été aussi endetté ».

Voici quel est son raisonnement :

« Les investisseurs s’inquiètent d’une combinaison potentiellement toxique de faible inflation européenne en fin d’année, alors que la BCE – pour des raisons politiques – doit cesser ses achats d’actifs. C’est l’histoire de ‘l’échec quantitatif’. Comme le montre le graphique [ci-dessus], le monde n’a jamais eu plus de dettes. En fait, depuis la crise financière mondiale, la dette mondiale a augmenté de près de 50 000 Mds$ (~40%). Les largesses monétaires ont été utilisées à la suite de la crise pour relancer l’économie, mais elles n’ont fait que s’ajouter à la masse de la dette mondiale. Or, comment résoudre un problème d’endettement excessif lorsque les restructurations d’obligations et les décotes ne sont plus acceptables ? Par l’inflation. [C’est pourquoi] sans signe [d’inflation] convaincant à court terme, le risque est que les marchés se tournent vers un sentiment de malaise face à la viabilité de la dette mondiale ».

A la différence de Goldman Sachs, Barnaby Martin ne nous parle donc pas encore de « territoire inexploré » , mais il y a fort à parier qu’il soit amené à creuser le sujet lors de la prochaine enquête !

Deutsche Bank : les Etats-Unis se dirigent-ils vers une crise de la dette imminente ?

Troisième institution bancaire à s’être récemment émue de la soutenabilité de la dette américaine : Deutsche Bank. Je vous ai récemment parlé des déficits jumeaux américains. Les graphiques dont je me suis servi pour illustrer ce phénomène sont issus d’une étude publiée fin avril par la banque allemande.

En voici la conclusion :

« La détérioration de la situation budgétaire et extérieure des États-Unis a augmenté la probabilité d’une crise de la dette américaine […], passant d’une moyenne historique inférieure à 9% à un niveau autour de 16% […], un niveau anormalement élevé en dehors des périodes de récession ».

Bien sûr, Deutsche Bank a pris en compte dans son modèle le fait que le dollar US est la monnaie de réserve mondiale et que les bons du Trésor US sont considérés comme une valeur refuge. Ce qui est exact, en tout cas… pour le moment (nous y reviendrons).

Jamie Dimon (JPMorgan) : jusqu’à 4% sur le 10 ans, ça ira, mais aucune idée des conséquences de la normalisation monétaire

Certains commentateurs, comme par exemple Jamie Dimon (JPMorgan) ou Michael Hasenstab (Franklin Templeton), ont récemment averti le public que l’on pourrait bientôt être confrontés à des taux supérieurs à 4% sur le 10 ans US. Ce point mérite d’être développé.

Début mai, Zero Hedge s’intéressait aux déclarations récentes et fracassantes faites par ces messieurs sur Bloomberg TV. Le CEO de JPMorgan, déclarait le 8 mai que la Fed pourrait bien augmenter les taux à court terme à un niveau plus élevé que prévu, ce qui « pourrait forcer la hausse du 10 ans […] On pourrait facilement faire face à des obligations à 4%, et je pense que les gens devraient être préparés à cela ».

Pas de crainte à avoir donc : l’Amérique peut supporter des taux à 4%. Mais quid si le 10 ans atteint des taux à 5,5% en moyenne, comme c’était le cas avant 2008 ? Jamie Dimon n’a pas abordé la question.

Il a en revanche pris acte de l’« énorme » déficit budgétaire fédéral lequel, compte tenu de la diminution des achats d’actifs par la Fed et par d’autres banques centrales, « pourrait causer plus de volatilité, des taux plus élevés, et ce pour des raisons que nous ne comprenons pas complètement ».

La raison ? Toujours la même : « Nous n’avons jamais connu de QE, nous n’avons donc jamais eu de d’inversion ».

Bref, encore une histoire qui se voudrait rassurante sans arriver à l’être vraiment, tout cela pour une malencontreuse absence de précédent historique, de navigation en « territoire inexploré » si vous préférez la formulation de Goldman…

Michael Hasenstab (Franklin Templeton) : un « parfait ouragan» va frapper les obligations

Le même jour, Michael Hasenstab, Chief investment officer global macro chez Franklin Templeton, était lui aussi interviewé sur Bloomberg TV.

Il est allé plus loin que Jamie Dimon en cela qu’il a fait remarquer que « dans une situation normale avec une croissance américaine à 3%, une inflation à 2% en augmentation, le rendement sur le 10 ans devrait être entre 4,5% et 5,5%. Nous ne sommes pas encore dans une situation normale, mais nous nous en rapprochons ».

Peut-être ces cinq analystes délirent-ils du fait d’un début d’année mouvementé, et ont vivement besoin du mois de mai pour reprendre leurs esprits.

En fait, ils ne sont pas les seuls à s’inquiéter de la situation budgétaire américaine…

Le président de la Réserve fédérale de Dallas n’est pas non plus totalement serein sur cette question

Le monsieur en photo ci-dessous est Robert Kaplan. Il est président de la Réserve fédérale de Dallas.

Le 21 février, il s’exprimait au sujet des perspectives économiques et monétaire :


« Je crois que la Réserve fédérale devrait augmenter graduellement et patiemment le taux des fed funds en 2018. […] L’histoire suggère que si la Fed attend trop longtemps pour sortir de sa politique accommodante à ce stade du cycle économique, les excès et les déséquilibres commenceront à se faire sentir, et la Fed finira par devoir faire du rattrapage ».

Sans pour autant se prononcer sur le nombre de hausses qu’il aimerait voir cette année, Kaplan a averti « que le fait de prendre du retard au niveau des hausses de taux pourrait rendre une récession plus probable », faisant écho à Goldman.

Au final, « les États-Unis pourraient avoir besoin de prendre plus activement en considération des mesures politiques qui viendraient modérer la trajectoire de la croissance de la dette publique », estime Kaplan. Formulation qui lui vaut une nomination aux Oscars de la langue de bois 2018 !

En voici une traduction à la sauce Zero Hedge :


Donc, pour résumer, quand la dette américaine a doublé au cours de la dernière décennie, cela n’a posé aucun problème à la Fed, elle l’a même permis. Et maintenant, c’est le moment de paniquer…

Mais peut-être pensez-vous que l’on parvient à garder son sang-froid au sommet de la Fed ? Well, I’ve got some bad news for you…

Même Jay Powell reconnaît que les Etats-Unis ne sont pas sur une trajectoire budgétaire soutenable !

Une semaine après les propos de Kaplan, c’est donc le président de la Fed Jerome Powell qui a déclaré au Congrès que « les États-Unis ne sont pas sur une trajectoire budgétaire durable »…

La viabilité de la trajectoire budgétaire américaine est officiellement un problème même en plus haut lieu. Ceci pose deux questions : qui va acheter toutes cette dette ? Quelle tournure pourrait prendre la situation en cas de dérapage ? <

[NDLR : Si la dette fédérale devient suspecte, la première monnaie du monde s’écroule. Le bitcoin, une monnaie numérique indépendante des Etats et décentralisée s’envolerait… mais est-ce vraiment la meilleure crypto sur laquelle miser ? Réponse ici…]

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