La Chronique Agora

Quelles leçons tirer de la guerre en Irak ?

« Le personnel militaire en service actif et portant l’uniforme ainsi que les personnes ayant besoin d’assistance peuvent maintenant embarquer ».

Le vol US Airways de Washington à Charlotte accorde le même traitement aux soldats qu’aux handicapés. Pourquoi pas ? Les hommes et les femmes qui ont servi en Irak ont souvent besoin d’un peu d’aide.

Le mois prochain verra le 10ème anniversaire de la guerre contre l’Irak. C’était une guerre très populaire, au début. Les Etats-Unis voulaient frapper quelqu’un ; l’Irak était disponible. Mais après quelques années, le public s’en est désintéressé, avant de carrément s’y opposer. Cela n’en valait pas la peine, pensaient-ils. Certains se sentaient trahis, menés à la guerre sous de faux prétextes. Quelques soldats, également, ont constaté qu’ils avaient été mal traités. Et plus d’un contribuable a fait le calcul du coût et n’a pas aimé ce qu’il en voyait. Quel que soit l’angle choisi, la guerre en Irak était une erreur.

C’était « la plus désastreuse décision de politique étrangère de ma vie… pire que Suez », a déclaré le ministre britannique Kenneth Clarke à la BBC. Pourquoi désastreux ? Parce qu’il y a désormais plus de fanatiques d’Al-Qaida que jamais, encore plus déterminés à causer des problèmes. Et tout véritable ennemi des Etats-Unis d’Amérique a appris qu’il ferait mieux de s’équiper de vraies armes de destruction massive — et vite. Ne pas en avoir ne vous sauverait pas de l’invasion.

Mais les coûts de la guerre vont bien plus loin que les bourdes stratégiques. Mehdi Hasan, écrivant dans le journal New Statesman :

« Entre 2003 et 2006, selon une étude du journal médical Lancet, il y a eu 601 000 morts additionnelles en Irak des suites de la violence — c’est-à-dire des personnes bombardées, brûlées, poignardées, fusillées et torturées à mort — par rapport au nombre qui aurait été enregistré si l’invasion n’avait pas eu lieu. Proportionnellement, c’est l’équivalent de 1,2 millions de Britanniques, ou six millions d’Américains, se faisant tuer sur la même période ».

« … 31% de ces morts supplémentaires peuvent être attribuées aux forces de la coalition — soit environ 186 000 personnes entre 2003 et 2006. Ensuite, la plupart des études montrent que seule une minorité d’insurgés irakiens étaient bel et bien des membres d’ADI [Al-Qaida Irak]. L’insurrection a commencé à Fallujah le 28 avril 2003 comme campagne nationaliste bien avant l’arrivée des djihadistes étrangers mais seulement après que les troupes américaines ont ouvert le feu, tuant 17 manifestants irakiens non-armés ».

« Troisièmement, il n’y avait pas de djihadistes opérant en Irak avant notre mésaventure mésopotamienne ; l’Irak n’avait aucun antécédent d’attentats-suicide. Entre 2003 et 2008, cependant, 1 100 terroristes se sont fait exploser à l’intérieur du pays. La guerre a fait de l’Irak, selon l’expression approbatrice du général américain Ricardo Sanchez, ‘un aimant à terroristes… une cible d’opportunité’. »

« ‘Que ce soit bien clair pour tous les crétins qui auraient encore des doutes’, écrivait la bloggeuse irakienne connue sous le pseudonyme Riverbend sur son blog, Baghdad Burning, en février 2007. ‘C’est pire. C’est terminé. Vous avez perdu… Vous avez perdu tous les Irakiens sains d’esprit et vigoureux quand les images d’Abu Ghraib sont apparues… Vous avez perdu quand vous avez amené des meurtriers, des pilleurs, des gangsters et des miliciens au pouvoir’… »

« En septembre 2011, un sondage Zogby révélait que 42% des Irakiens pensaient que leur situation ‘était ‘pire’ suite à l’invasion anglo-américaine de leur pays, par rapport à 30% seulement qui affirmaient qu’elle était ‘meilleure’. Un sondage conduit un peu plus tôt par la BBC, en novembre 2005, montrait qu’une petite majorité d’Irakiens (60,3%) disaient que la guerre en Irak était ‘quelque peu’ ou ‘absolument’ mauvaise ».

▪ Et pour ce qui est des coûts…
En termes de coûts financiers, nous estimions que la guerre en Irak coûterait 1 000 milliards de dollars, quand elle a commencé. De chers lecteurs nous ont écrit pour nous dire que nous avions perdu la tête. C’était du gâteau, disaient-ils ; on s’en tirerait pour quelques sous. Pourtant, même 1 000 milliards était un chiffre bien trop bas. Le Prix Nobel Joseph Stiglitz est peut-être idiot, mais il sait calculer. Et il met le coût à plus de 5 000 milliards, voire 6 000 milliards de dollars, si l’on compte les dernière factures pour les membres amputés et soins psychologiques à vie.

Ces dépenses en valaient-elles la peine ? A vous de décider. Mais d’abord, quel genre de dépenses était-ce ? Pas une nécessité : il n’y avait nul besoin de se lancer. Un investissement ? Certains partisans de la guerre ont cité le retour sur investissement que l’on obtiendrait grâce aux concessions pétrolières. Mais ces dernières sont allées pour la plupart à des entreprises étrangères… et le pétrole est de toute façon vendu aux prix mondiaux.

Ce qui nous laisse la distraction. A 80 000 $ par famille de quatre, c’était bien plus cher que la télévision par câble. Mais moins qu’une maison sur la plage. On en a tiré plusieurs romans et films à gros budget. Les Américains ont regardé sa progression à la télévision en prime time — comme un Super Bowl aux enjeux mortels. Et les penseurs n’ont pas manqué de raisons de rire ou de se scandaliser. Vis-à-vis de Tony Blair, par exemple, pour qui il n’y avait « pas de doute » qu’ils « trouveraient les preuves les plus claires possibles des armes de destruction massive de Saddam ». Et Dick Cheney, qui déclara que les envahisseurs seraient « accueillis en libérateurs »… Ou George W. Bush, qui affirmait que « l’établissement d’un Irak libre au coeur du Moyen-Orient » serait « un moment charnière dans la révolution démocratique mondiale ».

Reste une manière selon laquelle la guerre contre l’Irak pouvait en valoir la peine. C’est vrai, c’était une aventure désastreuse sous quasiment tous les points de vue. Mais les erreurs sont toujours plus précieuses que les succès. Le progrès de l’humanité en dépend. On fait des erreurs… on apprend… et on les corrige.

Le problème, avec la guerre en Irak, c’est que les gens qui ont fait l’erreur n’ont rien appris. Les mensonges et les illusions sous-jacents à la guerre n’ont jamais explosé à la figure de ceux qui en étaient responsables. Au lieu de ça, les soldats, les contribuables et les Irakiens innocents en ont payé le prix. Les politiciens, les hautes autorités militaires et les experts — notamment Thomas Friedman — qui ont milité pour la guerre marchent encore sur leurs deux jambes et dorment sur leurs deux oreilles.

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