La Chronique Agora

Que vous susurre votre petite voix intérieure ?

** Les investisseurs s’attendaient depuis mardi à une consolidation sur les places occidentales, le franchissement de résistances annuelles lundi n’ayant pas entraîné de réaction en chaîne à la hausse par le jeu des déclenchements de stops à l’achat. C’est pourtant ce qui se produit généralement dans un marché haussier lorsque les indécis réalisent qu’un obstacle majeur vient d’être effacé et qu’ils veulent profiter d’un potentiel de hausse attrayant dans un ciel graphique sans nuage.

Non seulement les suiveurs ne se sont pas "lâchés"… mais ils semblent avoir pris peur en se montrant largement absents des débats, comme si une petite voix intérieure (d’origine helvétique) leur avait susurré "méfiance, méfiance !"

Bien sûr, les indices américains venaient d’aligner quatre séances de hausse — mais nous vous avons déjà décrit deux séries de sept ou huit hausses (depuis le 9 mars) qui n’avaient représenté aucun caractère dissuasif pour les acheteurs.

Allait-on assister à un retour de balancier à l’égal du mouvement ascensionnel qui venait de se matérialiser depuis le 28 mai ? C’est ce qu’ont cru les opérateurs en Europe mercredi, l’Euro-Stoxx 50 chutant de 2% et le CAC 40 retraçant les 3 300 points après avoir tutoyé les 3 400 points (record annuel de clôture du 6 janvier) la veille.

Wall Street avait entamé — comme prévu — la journée sur une note de lourdeur sans ambiguïté, les indices américains perdant rapidement 1% puis 1,5% en moyenne en fin de matinée. A une heure de la clôture, le scénario commençait à beaucoup ressembler à celui observé sur le Vieux Continent quelques heures plus tôt, avec une consolidation potentielle de -2% à la clé.

Mais les pertes se sont opportunément réduites de moitié au cours du dernier quart d’heure. Le Dow Jones a rebondi de 8 600 (-1,6%) jusque vers 8 675 points (-0,7%) et le Nasdaq est remonté de -1,2% pour en terminer sur un effritement de -0,6%.

** Très franchement, et pas plus que vendredi soir, les origines de cette embellie de dernière minute ne sauraient être reliées à un élément d’actualité susceptible de remobiliser les acheteurs (ou de dissuader les vendeurs à découvert).
 
Le Standard & Poor’s 500 n’a pas suivi aveuglément le schéma décrit ci-dessus : il a cédé 1,4%, plombé par le secteur des parapétrolières suite au profit warning lancé par Valero. Le titre — un des leaders aux Etats-Unis — a chuté de 17,8%, entraînant dans son sillage Sunoco, National Oilwell, Manitowok ou Chesapeake.

De lourds dégagements ont également pesé sur les sidérurgistes : Steel Dynamics a décroché de 10%, US Steel de 7% et Alcoa de 4,2%. Quelques heures auparavant, Arcelor Mittal avait imprimé la cadence en Europe avec -5,3%.

Symétriquement, les biotech et les pharmaceutiques (typiquement défensives) ont bénéficié d’une rotation sectorielle au détriment des spécialistes de l’énergie et des matériaux de base : Gilead a repris 3,8%, Genzyme, Celgene et Cephalon 2,5% et Vertex Pharma 2,2%.

Quelques gérants semblent heureux de "faire tourner le papier" mais globalement, cela ne crée pas une véritable activité : la séance s’est avérée encore mois active que la veille à Wall Street, avec des volumes d’échanges en baisse de 20% et qui ressortent inférieurs de 30% à la moyenne du mois de mai.
 
** Pour comprendre le mouvement de consolidation survenu mercredi, il y a deux explications : la première a trait à l’actualité macroéconomique du jour — et la seconde… suspense, nous vous la réservons pour la bonne bouche en toute fin de chronique.

La journée de mercredi a été ponctuée d’une abondante série de statistiques peu susceptibles d’engendrer le type d’euphorie auquel nous avions eu droit lundi. L’enquête du cabinet américain ADP-National Employment, qui précède toujours de deux jours le rapport mensuel sur l’emploi, a fait apparaître une dégradation du marché du travail. Il y a eu au total 532 000 licenciements dans le secteur privé le mois dernier aux Etats-Unis (au lieu des 520 000 attendus).

Mais la vraie mauvaise surprise, c’est que l’embellie d’avril était largement factice : les destructions d’emplois, initialement estimées à 491 000, ont été révisées à 545 000. Voilà une petite différence de 54 000 qui remet en cause le la thèse d’une amélioration sensible du marché du travail…

Et le chiffre des promesses de ventes de logements neufs publié la veille (en hausse de 6,7%) est à mettre en balance avec une chute de 20% des octrois de prêts immobiliers la semaine dernière. Mais peut-être que les acheteurs préfèrent payer en cash depuis qu’ils ont pris l’habitude de participer à des ventes aux enchères…

Les deux autres statistiques américaines du jour étaient mitigées : si l’indice ISM des services (le principal baromètre du secteur tertiaire) a progressé à 44 en mai, contre 43,7 en avril, ce rebond s’avère inférieur au consensus. Même constat pour les commandes à l’industrie, qui ont enregistré un rebond de 0,7% en avril, là où les économistes attendaient une progression de 0,8%.

** De ce côté-ci de l’Atlantique, la récession se confirme. Selon les premières estimations publiées aujourd’hui par Eurostat, le PIB de la Zone euro a plongé de 2,5% au cours du premier trimestre 2009, après un repli de 1,8% au quatrième trimestre… et la consommation est carrément en panne (-0,5%).

L’Eurozone affiche désormais un acquis de croissance négatif de 4% pour 2009 qui devrait déboucher sur une récession de -3,6% en fin d’année. C’est sans précédent, même en remontant à 1991 ou 1993… et les prix à la production industrielle sont entrés de plain pied dans un cycle de déflation avec un recul de 1% en avril.

Les Etats-Unis, apparemment plus mal lotis avec une chute de 5,7% du PIB au premier trimestre, espèrent toujours que la mise en oeuvre des plans de relance destinés à doper les secteurs d’activité créateurs d’emplois comme le BTP ou l’environnement permettront de limiter l’intensité de la récession à -2,9% au quatrième trimestre.

Nombre d’investisseurs indiquent s’en réjouir (et ils le manifestent peut-être en nous offrant des séances d’anthologie comme celle des 1er avril, 1er mai ou 1er juin)… mais c’est oublier un peu vite qu’un tel score serait apparu désastreux en 1993 ou en 2003 !

** Voilà donc une belle énumération d’éléments chiffrés permettant de justifier la consolidation indicielle de mercredi (les marchés en auraient-ils tenu compte lundi ?)… mais nous vous avions promis une seconde explication, laquelle tient en deux lignes :

Bank of America a pratiquement bouclé son plan de refinancement avec 33 milliards de dollars d’argent frais sur les 33,9 milliards exigés par la Maison Blanche à l’issue du stress test.
 
La première banque des Etats-Unis se fait fort de trouver rapidement les 900 millions de dollars manquants — nous savons tous qu’elle aura besoin de beaucoup plus — en vendant quelques reliquats de MBS (créances hypothécaires) que la Fed se déclare d’ores et déjà toute disposée à échanger contre des paquets de bons du Trésor.

Mais rassurez-vous, Ben Bernanke jurait la main sur le coeur ce mercredi après-midi que les critiques qui fusent depuis les milieux politiques proches d’Angela Merkel et des conseillers économiques de la Bundesbank sont infondées : mais non, mais non… la Fed n’a pas l’intention de monétiser la dette américaine ni d’affaiblir son bilan en rachetant des créances douteuses.

Mais non, mais non, Bank of America n’a pas l’intention de cesser de soutenir Wall Street alors que son refinancement est bouclé et qu’il lui faut maintenant commencer à restituer les sommes empruntées au TARP.

C’est la condition sine qua non pour reprendre la main en matière de rémunérations et d’attribution discrète de bonus : la période de vaches maigres n’a que trop duré… et il y a désormais des fortunes à faire à la baisse.

Prenez par exemple la Bourse de Moscou… elle vient de bondir de 80% tandis que le baril de pétrole a doublé en trois mois — mais personne ne comprend pourquoi. Les Bourses de Bombay, Shanghai ou Taiwan affichent entre +50% et +55% depuis le 1er janvier mais le chômage explose et les principaux clients de ces pays — les Occidentaux — ne consomment plus : comment le miracle boursier des émergents va-t-il perdurer ?

Philippe Béchade,
Paris

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