La tâche de Jerome Powell n’est pas de casser l’inflation ou de changer complètement le système. Ses politiques ne suffiront pas pour lutter contre la tendance de fond.
On sait maintenant que Jerome Powell n’est pas Paul Volcker.
Je l’ai toujours su et je l’ai toujours écrit. Powell n’est pas Volcker, parce qu’il a été nommé pour mener précisément une politique non volckerienne.
Il a été nommé non pour casser l’inflation, mais pour faire « durer » le système de la financiarisation/monétisation le plus longtemps possible.
Le système de la financiarisation qui repose sur la production toujours accrue de crédits, les taux réels nuls, les assurances données par la banque centrale, et la monétisation des dettes publiques… n’a pas de remplaçant.
Donc il faut continuer et le faire durer.
Pour empêcher la spirale des prix
Volcker avait été nommé par les banques too big to fail pour les protéger contre toute tentation de véritable désinflation monétaire. Par cette expression, il faut entendre la fin de la répression financière des ménages, la remontée des taux réels, la limitation de la croissance du crédit et le contrôle des liquidités.
Si tout cela, regroupé sous le nom de désinflation monétaire – à ne pas confondre avec la désinflation des prix – venait à être mis en œuvre, le système financier d’abord et bancaire ensuite s’écrouleraient.
Il y aurait une phase de destruction du capital financier, puis un nettoyage du capital productif périmé et, surtout, un bouleversement dans l’ordre social et politique.
La financiarisation a permis de maintenir une profitabilité suffisante des entreprises et du capital-argent au prix d’une explosion des inégalités, d’un surendettement croissant et maintenant du réveil des forces de hausses des prix sur les biens et les services.
Le réveil des forces de hausse de prix sur les biens et les services met en péril la financiarisation, car il y a un risque de spirale, si la hausse des prix entraîne une hausse des salaires qui entraîne une hausse des taux d’intérêt, qui cause une baisse des profits.
Cette spirale met en danger tout l’édifice construit lors de la phase de financiarisation.
La tâche de Powell a été de gérer tout cela, mais pas de changer de régime, non ! Il est là pour tenter de le prolonger encore un peu. Au moins jusqu’à la nouvelle « guerre du Péloponnèse », entre la Chine et les Etats-Unis.
Le contexte a changé
Les actions de Powell sont limitées. Il n’a pas voulu surprendre, il n’a pas voulu que sa lutte contre la psychologie de hausse des prix et des salaires soit trop méchante. Il a tenté de gommer les excès spéculatifs, de freiner la demande intérieure mais il ne peut aller jusqu’à « faire mal ».
Selon toute probabilité, ses actions assurent un succès temporaire dans la modération de l’inflation des prix des biens, des services et des salaires, mais cela ne suffira pas à lutter contre le réveil des forces séculaires qui se profilent à l’horizon.
Dans le contexte actuel, l’inflation est un phénomène mondial.
La pandémie a clairement montré que des facteurs au-delà des politiques américaines peuvent entraîner de profondes conséquences inflationnistes.
Le rôle désinflationniste de la mondialisation se dissipe.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie souligne les risques géopolitiques et les impacts inflationnistes extraordinaires d’aujourd’hui.
Les Etats-Unis ne dépendent plus aujourd’hui des importations de pétrole comme par le passé, et les prix de l’énergie n’ont plus autant d’impact inflationniste global qu’auparavant. Mais ils dépendent de la division internationale du travail, des chaînes d’approvisionnement et surtout de nombreuses matières premières.
Dans le même temps, les risques inflationnistes associés au changement climatique sont colossaux et mal connus. L’idéologie climatique tend à la tolérance du laxisme. Comme la guerre.
Enfin, le contrôle de la politique monétaire américaine sur la dynamique de l’inflation a diminué à mesure que les conditions financières et les effets inflationnistes sont devenus des phénomènes plus mondiaux.
L’élaboration des politiques de Pékin, ainsi que la dynamique du crédit et de l’économie chinoises, exercent désormais une influence majeure sur la dynamique de l’inflation mondiale.
Une fois sorti de la bouteille, le génie de l’inflation devient autonome et capricieux. L’inflation des prix c’est un ensemble de conditions objectives, plus des humeurs sociales, des « moods » ! L’inflation est aussi un état d’esprit.
L’inflation tend vers un cycle d’imprévisibilité et de volatilité déstabilisantes qui peut s’étendre sur des années, voire des décennies.
Nous ne sommes qu’au tout début de ce cycle.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]