La Chronique Agora

Quelques questions à quatre millions… de manifestants

▪ Au moment où je rédigeais ces lignes, dimanche soir, une grande chaîne d’information diffusait des images de la place de la Bastille — notamment l’un des drapeaux multicolores arborés par les représentants d’une association italienne qui patientait à mes côtés vers 15h00 du côté de la rue du Faubourg du Temple.

Il leur aura fallu trois heures et demi pour parcourir deux kilomètres (et ils en étaient seulement à mi-chemin de la Nation)… L’un de mes autres voisins de manifestation avait mis trois heures et demie de plus pour venir d’Auxerre. Je pourrais multiplier ce genre d’anecdote par 100 000, par un million.

Le plus troublant était que tous les échanges entre les participants s’effectuaient à mi-voix. Pas de verbe haut venant couvrir le vaste murmure ambiant ; pas de personnes s’interpellant d’un trottoir à l’autre ou scandant des slogans comme lors de manifestations à motivation politique.

D’ailleurs, pas de revendications sur les pancartes, si ce n’est le droit de continuer à faire l’humour, pas la guerre.

Aucune trace de stigmatisation d’une quelconque communauté, aucune affiche visant à récupérer des militants. A peine quelques slogans contre l’intégrisme, vraiment très rares : sans qu’aucun mot d’ordre n’ait circulé, les manifestants n’ont spontanément commis aucune fausse note politique ou confessionnelle.

+145% au compteur !
C’est la dernière plus-value en date enregistrée par Mathieu Lebrun : +145%, en à peine 24h… et en jouant le CAC 40 !

Cette performance à trois chiffres suit d’autres gains de l’ordre de 81%, 75% ou encore 120% enregistrés ces derniers mois…

… et dont vous pourriez profiter à votre tour : il suffit d’un clic…

Même pas la moindre échauffourée en fin de rassemblement… presque une première depuis des décennies. Personne n’avait envie de venir « casser du bleu » ; les forces de l’ordre font partie des héros de la semaine et faisaient l’objet de salves d’applaudissement régulières. Le « pas d’amalgame » m’est apparu massivement compris et intégré — je n’ai pas entendu autour de moi de propos islamophobes durant près de trois heures. La seule stigmatisation concernait l’obscurantisme, l’incapacité de supporter toute forme de pensée ou de spiritualité différente.

Cette manifestation m’a presque redonné foi en l’humanité.

La seule stigmatisation concernait l’obscurantisme, l’incapacité de supporter toute forme de pensée ou de spiritualité différente

▪ Presque…
Malheureusement, il y a ce « presque » : je connais bien les grandes avenues de la capitale le week-end, le cosmopolitisme apparent des badauds. J’ai bien croisé des touristes asiatiques quelque peu interloqués de ne pouvoir rejoindre leur hôtel proche de Beaubourg qu’en traînant leur valise, aucun taxi ne pouvant plus circuler dans un rayon de deux kilomètres autour de la place de la République. J’ai également entendu des Australiens se demander s’il y aurait des restaurants ouverts ce dimanche soir dans le quartier, ou si tout restait fermé pour cause de défilé (j’aurais bien été en peine de leur répondre)… En revanche, j’ai croisé peu, vraiment très peu de la « population des banlieues » qui est pourtant très présente d’ordinaire là où il y a de l’animation.

En termes d’affluence, cela ressemblait aux Champs-Elysées le soir de la victoire de l’équipe de France en juillet 1998… mais il ne restait que les blancs et pratiquement aucun black ou beur — et plus aucune allégresse.

J’ai côtoyé des Antillais, des personnes provenant du Proche-Orient (naturalisés français ou non, peu m’importe, ils étaient venus se joindre au cortège pour partager les même convictions humanistes)… mais vraiment très peu de jeunes Français (disons de 15 à 25 ans) d’origine africaine ou du Maghreb.

Leurs parents — les immigrés de la première génération — étaient relativement présents… mais leurs enfants et leurs petits-enfants n’étaient pas avec eux.

Mon malaise a grandi au fil des heures. D’abord dans les transports en commun : venant de l’ouest de Paris, il se pouvait que la « France plurielle » le soit effectivement un peu moins entre la Défense et l’Opéra qu’au nord ou à l’est.

Mais parvenu à proximité de la République, alors que les manifestants venant de tous les horizons géographiques étaient désormais bien mélangés… toujours pas de trace de ce cocktail de mixité habituelle un dimanche dans Paris.

▪ Une présence très discrète
Les images filmées à Marseille, Rennes, Montpellier… et les caméras braquées place de la République sur des groupes de musulmans et de juifs défilant côte à côte ou bras enlacés véhiculaient opportunément ces symboles de tolérance et de fraternité qui caractérisent magnifiquement le gigantesque rassemblement républicain de dimanche. Cependant, ceux que les médias désignent sous l’appellation euphémistique « nos banlieues » affichaient dans Paris une présence très discrète.

Une cinquantaine de chefs d’Etat et de représentants de haut rang d’autres pays étaient venus poser devant la presse internationale en début d’après-midi ; mais j’ai appris peu de temps après mon retour devant mes écrans que le Maroc n’avait pas envoyé de représentant du fait du caractère « blasphématoire » des dessins des victimes du carnage perpétré chez Charlie Hebdo. Une telle attitude s’apparente à une approbation tacite de la sentence de mort décrétée par quelques illuminés au Yémen ou dans ces territoires perdus de l’islamisme radical, à cheval sur l’Irak et la Syrie.

Les manifestants de dimanche ont fait preuve de dignité et de discernement, à une échelle jamais vue sur l’ensemble du territoire

Peu à peu remontent également à la surface des témoignages de professeurs des collèges et des lycées qui n’ont pas réussi à faire observer la minute de silence nationale de jeudi midi. Cela avec comme motif : pas d’hommage pour les « blasphémateurs » (une version très édulcorée… car la réalité des commentaires s’avère plus brutale).

Les manifestants de dimanche ont fait preuve de dignité et de discernement, à une échelle jamais vue sur l’ensemble du territoire.

La dignité était l’attitude juste qui convenait en cette circonstance, le discernement — lui — va conduire de très nombreux concitoyens à se poser une foule de questions concernant les commanditaires et les financiers des attentats (ils ne se recrutent pas qu’au Yémen)… et la présence aux côtés de notre président de nombreux dirigeants de la planète qui piétinent allègrement la liberté de la presse, incarcèrent les journalistes ou les caricaturistes qui dérangent les autorités locales.

Certains d’entre eux, non contents de malmener la presse, entretiennent des relations plus qu’ambiguës avec des mouvements djihadistes, ouvertement en guerre contre les « impérialistes » (ce qui désigne les Etats-Unis et leurs alliés), les « croisés » (les chrétiens) et la laïcité (la France représente à cet égard la trilogie de l’abjection).

Une bonne partie de la population et de la classe politique s’est trouvée contrainte d’ouvrir les yeux : nos banlieues ghettoïsées, devenues des zones de non-droit, avec leurs populations qui s’enfoncent dans le déclassement depuis des décennies, constituent le terreau sur lequel prospère un intégrisme qui devient criminel dès lors qu’il est téléguidé par des puissances ayant choisi de déstabiliser notre pays par la terreur.

▪ Il n’y a pas que l’économie
La précarité et le chômage ne sont pas les seules composantes des tragiques dérives vers le terrorisme… sinon la Grèce, avec ses 57% de jeunes ou chômage ou l’Espagne et le Portugal, avec des taux supérieurs à 50%, devraient connaître un taux de criminalité record, ce qui n’est pas le cas.

L’argument économique est même à relativiser du fait de la conversion de jeunes Français et Françaises issus des classes moyennes et accomplissant une scolarité classique. Il faut donc une « perméabilité psychologique » à l’intégrisme religieux (quel qu’il soit) — qui doit ensuite être converti en fanatisme, ce dont l’Islam — il est impératif de le rappeler — n’a pas le monopole.

Une multitude de sectes n’ayant aucun lien avec l’Islam radical ont en effet transformé au cours des dernières décennies leurs adeptes en machine à tuer ou en machines à s’autodétruire (suicides collectifs, hystérie meurtrière).

Ils ne sont en réalité que des marionnettes agissant pour le compte de commanditaires dont ils ignorent la véritable identité, poursuivant des stratégies dont ils ignorent la vraie finalité

Il ne faut cependant pas se voiler la face — sans mauvais jeu de mot — et admettre que de grands cyniques se réclamant d’un Islam radical ont mis en oeuvre d’importants moyens logistiques (propagande, entraînement au maniement des armes, montages d’opérations criminelles) pour détecter de « bons profils » en France (comme en Angleterre ou aux Etats-Unis, la liste est non-exhaustive). C’est-à-dire de futurs pions décérébrés prêts à commettre n’importe quel forfait au nom d’un dieu de vengeance imaginaire.

Ces kamikazes pensent accomplir la volonté d’un tel dieu (tuant sans distinction chrétiens, juifs et musulmans). Ils ne sont en réalité que des marionnettes agissant pour le compte de commanditaires dont ils ignorent la véritable identité, poursuivant des stratégies dont ils ignorent la vraie finalité.

Qui d’un peu sensé peut croire que des peuples entiers inspirés par l’aristotélisme, le bouddhisme, le confucianisme, l’esprit des Lumières, le taoïsme, le zen et le zoroastrisme (c’était juste une façon d’aller rapidement de A jusqu’à Z, pardon pour toutes les sagesses bienfaisantes que j’ai omis de citer) auront jamais la moindre appétence pour une chape de plomb obscurantiste et l’application de la charia ?

Autrement dit — pardonnez-moi d’exprimer mes doutes les plus profonds — si les leaders des mouvements radicaux, qu’ils se fassent appeler émirs ou grands mamamouchis, savent pertinemment que ni la spiritualité étriquée et mortifère qu’ils incarnent, ni le mode d’organisation politique totalitaire qu’ils tentent d’imposer n’ont la moindre chance de triompher en dehors de quelques zones de chaos où ils ont pu disposer d’un éphémère avantage militaire… à quoi leur sert-il de persévérer dans la voie du terrorisme et de déchaîner contre eux une unanimité planétaire (en se glorifiant d’être les sponsors d’actes crapuleux doublés d’une lâcheté insondable) ?

Pour conclure, je trouve que les « fascislamistes » cultivent un peu trop efficacement leur image de repoussoir !

Qui en tire les bénéfices les plus substantiels, en fin de compte ?

J’espère pour notre démocratie qu’il ne s’agit pas de marchands de systèmes d’espionnage de notre intimité et d’armes toujours plus intelligentes, pouvant être utilisés aussi bien contre un ennemi extérieur que contre des concitoyens qui feraient soudain preuve de trop de « discernement ».

L’histoire du XXe siècle est pleine de précédents malheureux du même acabit ; le XXIe siècle s’avère-t-il si différent ?

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