La Chronique Agora

Quatre dictons financiers pour investisseur averti

** Hier, nous essayions d’expliquer Le Monde selon la Chronique Agora à nos nouveaux lecteurs potentiels. Aujourd’hui, nous continuons notre explication — en partie pour que les nouveaux venus comprennent mieux… et en partie pour nous rappeler de quoi diable nous sommes en train de parler.

* Le rebond se poursuit. Les marchés font l’opinion, disent les vétérans de Wall Street. Après neuf semaines de hausse des cours, les gens commencent à voir le monde différemment. Simplifions : il ne semble de loin plus aussi épouvantable qu’il y a quelques mois de ça.

* Les prix des maisons — même s’ils ne grimpent pas — ne chutent pas aussi rapidement qu’avant. Et si les gens perdent encore leurs emplois, ils ne sont plus autant à les perdre chaque mois qu’au début de l’année. Cela pousse de nombreux commentateurs à croire que les gigantesques efforts de renflouage/relance des gouvernements fonctionnent enfin.

* A la fin 2008, les jours devenaient de plus en plus courts. L’obscurité recouvrait le monde — notamment l’Islande où, même dans le meilleur des cas, la fin décembre offre tout juste assez de lumière pour fumer une cigarette.

* C’est alors que les autorités se sont livrées à leurs sottises habituelles. Elles ont renfloué certaines entreprises… ont abaissé les taux d’intérêt à zéro… et ont étayé le secteur financier — qui était, comme par hasard, très bien représenté au sein du gouvernement américain et de sa banque centrale –, sauvant ainsi les investisseurs obligataires de ce qu’ils méritaient. Parallèlement, les autorités ont également fait des sacrifices aux dieux des marchés. Ne pouvant trouver de vierges dans le secteur financier, ils ont immolé des contribuables. Ainsi que les épargnants (même si, il faut le reconnaître, il n’y en avait pas beaucoup) et la prochaine génération.

* D’abord, il a semblé que les autorités avaient échoué. Puis, peu à peu, la lumière s’est faite plus vive… les jours sont devenus plus longs.

* A présent, la foule hurle : "le pire est passé !" "Nous avons vu le plancher !" "Vive les autorités !"

* Mais ce ne sera probablement pas le cas…

* C’est le bon moment pour vous donner le premier des quatre dictons de la Chronique Agora :

** Dicton numéro 1 : les gens n’obtiennent pas ce qu’ils veulent ou ce qu’ils prévoient, sur les marchés ; ils ont ce qu’ils méritent.

* Bien entendu, les gens aimeraient que le ralentissement soit terminé. Bon nombre d’entre eux comptent sur ce fait. Mais M. le Marché s’en soucie peu. Il a mis son t-shirt "le capitalisme à l’oeuvre" et s’est muni d’un marteau-piqueur.

* Que trame-t-il ? Il démolit l’équivalent d’un quart de siècle d’erreurs. On fait toujours des erreurs. Des investissements tournent mal. Des entreprises font faillite. Des gens sont ruinés. Lorsque beaucoup d’erreurs sont corrigées en même temps, on appelle ça une "récession". Et quand un modèle économique tout entier tourne mal, on appelle ça une "dépression".

* Le modèle économique des 25 dernières années a causé plus d’erreurs qu’à l’ordinaire. Il a encouragé les gens à dépenser, emprunter et spéculer. Et chaque fois que M. le Marché tentait de corriger la situation, les autorités arrivaient avec plus d’argent et de crédit facile. Des entreprises qui auraient dû faire faillite des années auparavant ont continué à s’enfoncer. Les propriétaires immobiliers ont continué à accumuler de la dette. Les spéculateurs ont continué à prendre des paris de plus en plus conséquents.

* Les poissons nagent, les oiseaux volent et les bulles éclatent. La bulle du secteur financier — qui comprenait la dette subprime, les prix de l’immobilier, les primes financières et les produits dérivés — a explosé en 2007. Et quel désastre ça a été !

* Pourquoi en aurait-il été autrement ? Ce qui nous mène à notre deuxième dicton :

** La force d’une correction est égale et opposée à la tromperie qui l’a précédée.

* Les illusions et les absurdités de la Bulle Epoque ont été monstrueuses. Naturellement, la correction doit elle aussi être gigantesque. Les indices mondiaux ont été quasiment divisés par deux. Les prix de l’immobilier ont eux aussi baissé presque partout. On estime que la perte totale de richesse nominale atteindrait les 50 000 milliards de dollars.

* Ces pertes auraient-elles pu être évitées ?

* Ah… il ne fait aucun doute que oui, pour bon nombre d’entre elles. Si le Congrès américain n’avait pas créé Fannie Mae, par exemple, il n’aurait jamais déformé le marché hypothécaire comme il l’a fait. Si les autorités n’avaient pas créé la Réserve fédérale, cette dernière n’aurait pas pu fournir tant d’argent facile à tant d’emprunteurs. Et si la Fed d’Alan Greenspan avait fait ce qu’elle était censée faire — c’est-à-dire "ôter le bol à punch" avant que la fête ne devienne trop folle — la bulle du secteur financier aurait probablement été bien plus modeste.

* Bien entendu, les gens ont tiré toutes les mauvaises conclusions. Ils en ont déduit que "le capitalisme avait échoué". Ils ont vu la voiture tomber de la falaise… mais n’ont pas remarqué que le gouvernement avait trafiqué les panneaux indicateurs. Au lieu d’avertir les investisseurs du virage dangereux qui les attendait, les taux bas de la Fed ordonnaient d’appuyer sur le champignon !

** Dicton numéro 3 : le capitalisme n’emmène pas toujours une économie là où elle veut aller… mais il la mène toujours la où elle doit être.

* Quels qu’aient été les responsables des erreurs, le capitalisme s’est attaché à les corriger avec son entrain habituel. Il a infligé aux investisseurs imprudents des milliers de milliards de pertes. Il a assommé les entreprises mal gérées. Il a administré une volée de bois vert aux propriétaires… et a réduit en poussière les dérivés basés sur l’immobilier.

* Le capitalisme opère en suivant un processus que le grand économiste Joseph Schumpeter a appelé "destruction créatrice". Il détruit les erreurs pour faire place à des innovations et de nouvelles entreprises. Malheureusement, cela le met en porte-à-faux avec le gouvernement… et ce que veut la plupart des gens. Lorsque les gens commettent des erreurs, ils affirment que ce n’est pas de leur faute ("qui aurait pu voir venir une telle crise ?")… et que quelqu’un d’autre devrait payer les pertes.

* Si bien qu’aujourd’hui, les autorités — qui ont mal géré leurs responsabilités durant la Bulle Epoque — renflouent des entreprises mal gérées pour protéger des prêteurs qui ont mal géré leur argent. Ils sont déterminés à empêcher le capitalisme de faire des changements majeurs — de la pire des manières possibles. Quelle est cette pire des manières possibles ? C’est simple. Laissez les mauvais gestionnaires en place. Maintenez en vie des entreprises en coma dépassé — ainsi que des banques mortes-vivantes. Laissez le gouvernement s’emparer de secteurs majeurs de l’économie. Et infligez encore plus de dette à une société déjà mangée de dettes ! Les autorités américaines devraient emprunter 2 000 milliards de dollars rien que cette année. A qui ? Et qui remboursera ? Ah ça… c’est une question que nous verrons un autre jour.

** Dicton numéro 4 : la sévérité d’une dépression est proportionnelle aux efforts du gouvernement pour y mettre fin.

* Plus les autorités essaieront de retarder et de détourner le processus de destruction créatrice, plus il mettra de temps à s’accomplir. Et plus la facture finira par être élevée.

* On trouve seulement deux exemples relativement clairs de cela dans l’histoire moderne. Après le krach de 1929, par exemple, les administrations Hoover et Roosevelt ont désespérément tenté de mettre fin à la correction. Elles ne pouvaient faire disparaître les mauvaises dettes, ni transformer les mauvaises décisions en bonnes décisions. Tout ce qu’elles pouvaient faire, c’était retarder les corrections nécessaires — et causer de nouvelles erreurs ! Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale, 15 ans plus tard, alors que le New Deal était en grande partie oublié, que les Etats-Unis se sont remis au travail. De même, lorsque le Japon s’est trouvé confronté à une grave correction en 1990, ses politiciens ont suivi le modèle Hoover/Roosevelt. Au cours des ans, une somme équivalente à près d’une année de production a été consacrée aux efforts de relance. Mais tout ça n’a fait qu’empêcher et entraver des changements nécessaires. Aujourd’hui, 19 ans plus tard, l’économie japonaise est toujours en mode correction.

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