▪ Si nous savions à l’avance à quel point certaines séances vont s’avérer soporifiques — les places européennes stagnent depuis 48 heures –, nous en profiterions pour programmer une sortie musée (sauf le mardi) ou une séance… de cinéma.
Cela tombait bien hier, c’était un mercredi, jour de sortie nationale des nouveaux films et baromètre du box office.
Un titre en particulier nous a interpellé : Les Kaïra.
Renseignement pris et contrairement à ce que nous pouvions imaginer, il ne s’agit pas d’un thriller financier s’inspirant des malversations des banquiers telles que la manipulation du Libor et de l’Euribor (sur le dos des entreprises)… des prises de positions spéculatives sans fonds propres (comme Peregrine Financial qui vient de déposer le bilan)… des paris hasardeux sur les dettes souveraines (pertes potentielles de huit milliards de dollars pour J.P. Morgan à Londres)… ni même de la mise en oeuvre de la stratégie « de la bouilloire » lors des introductions en Bourse (dernier exemple en date : Facebook).
▪ Les professionnels de la finance n’ont pas les mêmes critères que le quidam de base
Non. Les Kaïra dépeint les combines drôlatiques d’un trio de jeunes des banlieues prêts à tout pour s’en sortir mais dont l’impact financier ne dépasse pas les faubourgs de Melun — nous en profitons pour saluer ceux de nos lecteurs qui résident dans cette ville, blottie à l’orée de la forêt de Fontainebleau.
Nous profitons de cette parenthèse un peu bouffonne pour vous faire part d’un sondage réalisé ces derniers jours à Londres auprès d’un échantillon représentatif de professionnels de la finance. 25% d’entre eux considèrent qu’un comportement malhonnête constitue l’une des clés du succès et de l’enrichissement dans le milieu bancaire.
Les 75% restants pensent donc qu’il faut être suffisamment malin pour ne pas se faire prendre !
Nous plaisantons : 75% des personnes interrogées affirment qu’il est important de respecter les règles. Mais nous supposons qu’un pourcentage non négligeable considère qu’il est encore plus impératif d’être bien vu de sa hiérarchie — les sondeurs ont oublié de poser cette question.
Et puis ce sondage ne trie pas les réponses par fonction dans l’entreprise (personnel administratif, ressources humaines, conseiller de clientèle, trader, responsable du risque, etc.).
Dans la même veine, nous vous invitons à méditer sur cet aphorisme qui faisait beaucoup sourire dans les salles de marché quand j’y travaillais dans les années 90 : « c’est très bien de ne pas user de n’importe quel expédient pour ‘faire de l’argent’… mais de quoi seriez-vous capable pour ‘faire fortune’ ? »
▪ Parmi ces expressions, choisissez celle qui vous correspond le mieux
Il y a aussi cet autre aphorisme : « vaut-il mieux passer ses vacances au camping en se rappelant chaque jour à quel point on s’est montré respectueux des règles… où dans un palace, en s’efforçant d’oublier à coups de champagne hors de prix quelles entorses on a pu commettre ? »
Entre le barbecue sous l’auvent de la caravane et le dîner aux chandelles dans un restaurant étoilé surplombant une marina, devinez quelle formule recueille le plus de suffrages ?
Nous aimons également beaucoup cette réplique de Michael Douglas (alias Gordon Gekko) dans Wall Street : « pour transformer un million de dollars en un milliard de dollars, il faut être sacrément futé » !
Rien de plus vrai à notre avis ! Et les fortunes ne se font plus sur les indices boursiers, l’or ou le pétrole, bref, sur ce qui se voit… mais prioritairement sur ce qui ne se voit pas.
Nous ne faisons pas exclusivement référence au shadow banking (cet univers où les règles du monde réel ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes… ça, c’est de moi !) mais aux marchés dérivés.
C’est un sujet que j’évoque régulièrement lors de mes interventions le mercredi en fin de matinée sur BFM Business (Chronique Les points sur les Zi, en direct entre 11h40 et 11h50).
▪ Les marchés financiers, le nouveau Titanic ?
Les animateurs ont bien conscience que les indices boursiers ou monétaires qui défilent en fond d’écran ne sont que la partie émergée de l’iceberg. L’essentiel de ce qui se passe vraiment se déroule sous la surface des eaux, bien à l’abri des regards.
C’est une idée juste et l’image est tout à fait pertinente. Mais cela ne suffit pas pour comprendre pourquoi ni comment l’iceberg peut à tout moment se retourner, comment des déséquilibres indétectables modifient son assiette, comment des forces invisibles peuvent le fractionner.
En fait, la partie émergée de l’iceberg ne nous renseigne en rien sur la forme de la masse cachée sous les flots. Elle est sculptée par les vents et les embruns ; les creux et les à-pics que nous observons ont peu d’impact sur la flottabilité de l’ensemble.
Un iceberg au sommet tout plat peut se retourner sans le moindre signe précurseur, un autre au relief torturé peut rester en équilibre jusqu’à sa fonte quasi-complète.
Il en va de même des indices boursiers ou des marchés de taux. Ils restent stables en pleine houle puis basculent brusquement au beau milieu d’une mer d’huile.
Ce mercredi, l’iceberg s’est contenté de tanguer un peu à Wall Street. En effet, les indices américains ont clôturé exactement au même niveau que celui affiché vers 17h30, au moment de la fermeture des places européennes. Le S&P est resté stable, le Dow en repli de 0,4% et le Nasdaq en baisse de 0,5%.
Les indices américains avaient pourtant lourdement chuté peu après 20h (de 1% en moyenne) en découvrant les minutes de la Fed. Il s’agissait là de la synthèse écrite de la dernière réunion de la Banque centrale, laquelle s’est tenue les 19 et 20 juin, une bonne semaine avant le sommet de Bruxelles du 28 juin.
▪ La Fed, pas encore prête à appuyer sur le bouton QE
Il en ressort — comme nous le pressentions — que les membres de la Fed sont encore loin d’un consensus à propos de la mise en oeuvre d’un nouveau cycle de quantative easing. La situation se dégrade certes sur le front de l’emploi, mais sans que la situation apparaisse critique et nécessite des mesures d’urgence.
L’optimisme est toutefois partiellement revenu en fin de séance car les opérateurs se sont souvenus qu’il y a eu une cascade de mauvais chiffres économiques et de profit warnings depuis le dernier FOMC du 20 juin.
La Fed devrait donc en tenir compte et se montrer plus réceptive au désir de Wall Street de la voir prendre des mesures énergiques en faveur de la croissance — comprenez actionner la planche à billets.
Mais comme l’a rappelé lundi Jeffrey Lacker (Fed de Richmond), les opérations Twist ou les QE n’ont pas d’incidence évidente sur le niveau de l’activité aux Etats-Unis. En revanche, ils en ont une — et incontestable — sur le niveau de l’inflation.
Les marchés le savent pertinemment mais feignent de croire que le prochain QE produira enfin les effets positifs espérés. Ce qui leur importe avant tout, c’est de bénéficier d’un bol de punch immédiat qui booste les indices boursiers.
Peu importe que le PIB se redresse ou non dans les mois qui suivent. Ce qui est pris — peu importe comment — n’est plus à prendre… un vrai raisonnement de kaïra.