La Chronique Agora

Quand "prodige" rime avec "short squeeze"

** Les places boursières ont aligné la semaine passée cinq séances de hausse consécutives. Ce rally serait motivé par un vent d’optimisme consécutif à quelques bons trimestriels — les mauvais, plus nombreux, étant littéralement ignorés — et par des achats réalisés par des investisseurs qui auraient voulu sauter dans le train en marche.

En réalité, la prise à contre-pied d’une majorité d’opérateurs baissiers (certains ayant pris de gros risques sur les options) serait à l’origine d’une vague de rachat panique. C’est ce qui s’appelle un short squeeze.

Et cela fonctionne indifféremment dans un marché baissier ou haussier, indépendamment de la tendance de fond. C’est un mouvement technique où la brutalité du retournement, avec ou sans lien réel avec la conjoncture, constitue la clé du succès.

Lorsque l’on recherche des gains rapides mais pas forcément durables, mieux vaut miser sur des titres volatils. Les grands gagnants de la semaine dernière ne sont donc pas des titres appartenant à la catégorie "bon père de famille" puisque les trois champions de la hausse sont Valéo (+20,7%), Soitec (+20%) et Alcatel Lucent (+17,5%).

Le constat est parfaitement identique si l’on prend le quinté puisqu’il faut rajouter deux spécialistes des matériaux de base très cycliques : Eramet (+17%) et Arcelor Mittal (+16,75%).

L’effet Goldman Sachs a dopé les bancaires : Crédit Agricole a bondi de 13,5%, Société Générale de 12,8% et Dexia de 10,5%… tandis qu’AXA s’intercale avec un gain de 12,4%. Les parapétrolières ont également bénéficié de rachats à bon compte avec CGG Veritas (+13,1%) et Technip (+12,5%)… et ce ne sont pas non plus des valeurs de tout repos.

** Même si les places européennes n’ont pas clôturé au zénith, les scores hebdomadaires donnent carrément le tournis avec +7,9% pour Paris, qui clôture très exactement au niveau du 31/12/2008. L’EuroStoxx 50 en est à +8,5%… et on enregistre un score historique de +9% à Francfort — alors que l’actualité financière et économique concernant l’Allemagne manquait singulièrement de relief.

Les commentateurs n’en finissent pas de s’extasier sur une vélocité haussière d’une intensité jamais observée — sauf en novembre dernier en pleine débâcle boursière, suite à des niveaux de survente historiques… mais c’est loin d’être le cas en cette mi-juillet !

Le CAC 40 a repris 250 points sans qu’aucune correction intermédiaire — même symbolique — ne se dessine dans le tracé de la courbe ascendante.

Il s’agit d’un phénomène de plus en plus fréquent baptisé "tendance en ligne". Il permet de mesurer la puissance et l’emprise considérables de programmes de trading automatisés, qui gomment toutes les aspérités naturelles d’un marché normalement influencé par la psychologie humaine.

En Europe comme aux Etats-Unis, le total des gains hebdomadaires surpasse tout ce qui n’a jamais été observé dans un marché qui ne se relève pas d’un krach de -25% en quelques semaines ou en quelques mois.

A Francfort, par exemple, l’effacement des pertes des cinq semaines précédentes en seulement cinq séances est un évènement tout simplement jamais observé au cours des 20 dernières années. Le DAX 30 a bondi de 10%, de 4 540 points lundi à 5 010 points vendredi midi.

Cela tient presque du prodige compte tenu des éléments d’actualité particulièrement contradictoires des dernières séances : profits prodigieux de Goldman Sachs ou de JP Morgan sur les activités de marché mais plongeon des vente de Sony Ericsson… chute de 73% des bénéfices de Nokia… chute de 50% des profits de General Electric… dégradation du marché du crédit immobilier ou du crédit à la consommation pour les banques de réseau américaines.

Par ailleurs, les trimestriels de Bank of America ne sont pas très rassurants. La baisse du bénéfice atteint en effet 25% au deuxième trimestre, en raison d’une forte progression des créances douteuses adossées aussi bien aux crédits immobiliers qu’aux crédits à la consommation.

** Sur le front des statistiques américaines, les mises en chantier ont légèrement progressé de 3,6% ; les permis de construire ont rebondi de 8,7%… mais tout cela ne provoque guère de réactions.

Le Nasdaq et le S&P ont terminé stables, le Dow Jones a grappillé 0,35% malgré la chute de% de General Electric et de 2,15% de Bank of America. Toutes ces baisses seraient compensées par les +4% — en solo — d’IBM et les +2,1% de JP Morgan, alors que 17 titres sur 30 ont clôturé dans le rouge.

General Electric, souvent considéré comme un baromètre de la croissance économique américaine et même mondiale, vient de faire état d’un bénéfice par action de 26 cents. Ce chiffre est légèrement supérieur aux attentes mais en recul de 47% par rapport au premier trimestre, soit -52% par titre.

Le produit net des activités "crédit" est en chute libre de 80% ; cependant, le PDG, Jeffrey Immelt, s’est surtout réjoui du fait que le groupe a pris de l’avance dans son projet de restructuration des activités financières.

** Si l’on examine dans le détail la plupart des trimestriels "supérieurs aux estimations", il apparaît clairement que les gains excédentaires proviennent des réductions de coûts et non d’une embellie dans les bénéfices générés par l’activité de base.

Et les "économies" en question, ce sont d’abord des réductions d’effectifs. Même Goldman Sachs, malgré ses profits mirobolants sur les marchés des matières premières et des actions, a procédé à une cure d’amaigrissement de 400 salariés.

Cela donne à réfléchir !

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile