La Chronique Agora

Quand la monnaie entre dans la modernité (3/3)

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Depuis les années 1970, la monnaie a évolué : elle promet beaucoup, mais ne donne que peu… à part de l’inflation, sur laquelle tout le système finit par reposer.

Nixon a installé la monnaie, le dollar, dans le temps de la modernité, c’est-à-dire, le temps de l’abstraction et de la promesse, puisqu’il n’y a pas de répondant ou de garant actuel à la monnaie.

En même temps et cela n’est pas assez perçu, cette monnaie libérée s’inscrit dans un nouveau rapport au temps. C’est central.

Comme les monnaies sont dettes, des « claims » sur le futur et non pas gagées par le présent existant, elles constituent une anticipation sur la croissance, et intrinsèquement un pari sur le temps qui court.

Et ce temps qui court, pour maintenir la confiance, doit – comme la bicyclette pour tenir son équilibre – rouler. Je vous suggère d’ailleurs de prendre le terme « rouler » avec son double sens. C’est-à-dire rouler les gens, les tromper. Le temps qui court, pour maintenir la confiance, ne peut être qu’un temps de « progrès » continu. Un temps parfait. Maîtrisé. Un temps divin.

Une promesse insoutenable

La monnaie de Nixon est une promesse implicite mais obligatoire, qui promet la réalisation de sa valeur dans le futur. L’argent de Nixon nous a donné la possibilité d’un endettement indéfiniment croissant, mais en contrepartie, il exige une croissance obligatoire et un développement insoutenable en termes réels. Bien entendu, vous comprenez qu’il va se fracasser sur la transition écologique de la rareté idéologisée.

Si le développement est insoutenable en termes réels, vous l’avez compris, il ne peut être soutenable que dans l’imaginaire, dans le fictif, c’est à dire dans la tromperie que constitue la monnaie fondante dans le système que j’ai toujours désigné comme le système de l’inflationnisme.

L’inflation est le moyen, quasi incontournable, d’avancer tout en effaçant ses traces. L’inflation dans son essence efface la mémoire. Dans le bilan, le passif est la mémoire de ce que l’on doit, et bien grâce à l’inflation cette mémoire s’efface progressivement.

Nos systèmes adorent tous les processus qui permettent d’effacer les mémoires, puisqu’ils sont fondés sur le mensonge et la destruction du passé. La mémoire est la statue du Commandeur, du menteur. Elle le rappelle à l’ordre du vrai.

L’inflation empêche l’accumulation des passifs/promesses ; elle les déprécie en continu, et à ce titre, elle est un mode de régulation de long terme.

En incidente, il y a une dimension qui est insuffisamment soulignée dans la monnaie post-Nixon, c’est son immatérialité.

N’étant plus matérielle, la monnaie est libérée de la finitude, à laquelle tout ce qui est naturel renvoie. Mais il y a plus, car, dans son immatérialité, la monnaie moderne ne renvoie plus qu’à une chose en définitive : la société !

Elle devient une entité purement sociale, et je ne crains pas de dire que c’est par ce bais, par cette béance d’une monnaie purement sociale, que s’introduit – on, le voit maintenant – la tendance de plus en plus fascinante de nos sociétés. Par les exigences de la monnaie et du pognon, par ses exigences sociales, de proche en proche, la société doit plier aux maîtres qui ont le pouvoir, puisqu’ils sont maîtres de la monnaie et qu’ils veulent le rester.

Le contrôle par les taux

Pour que ce moyen de régulation de long terme fonctionne, il ne faut surtout pas que les taux d’intérêt montent. La hausse des taux viendrait s’opposer à la régulation permise par la hausse des prix ! Pour que le système fonctionne et continue, il faut qu’il n’y ait plus jamais de pénalité infligée au futur. Il faut des taux bas, toujours plus bas. Des taux d’intérêt nuls… ou, mieux, négatifs, car si les taux n’étaient pas négatifs, alors il n’y aurait pas dévalorisation des promesses ; elles se capitaliseraient par intérêt composé.

La baisse continue des taux depuis le nouveau système est incontournable, organique, et elle n’est pas produite par le rythme ralenti de la croissance, mais par le besoin du système monétaire de tenir, de ne pas s’écrouler sous le poids de son vice endogène.

Et, si on est à la borne du zéro nominal, alors il faut que les taux baissent en réel, c’est-à-dire déflatés de la dérive des prix des biens, des services, et des déflateurs de GDP.

La hausse des taux, c’est l’impasse, l’ennemi du système qui a été mis en place. C’est son point faible, son talon d’Achille.

Heureusement, le public est stupide. Il accepte que les taux, au lieu de monter, au contraire baissent ! Qu’ils s’enfoncent dans le rouge, ce qui rééquilibre le système. Les taux d’intérêt, les vrais, ceux qui comptent, sont à 2,7%, alors que l’inflation dépasse les 7 ou 8% minimum.

Pour garder la monnaie, on vous donne 2,7%, mais, dans le même temps, on l’ampute de 7% !

Ah les braves gens !

Le mouvement haussier des taux sur les marchés devrait les porter à 7% minimum, et ceci ferait chuter tout le système. Ils sont à 2,7% !

Le système, contrairement aux cris d’orfraie, ne se déséquilibre pas ; il se rééquilibre grâce à la stupidité des citoyens.

On peut toujours compter, non sur le consommateur, comme le disent les Américains, mais sur la connerie.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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