La Chronique Agora

Quand les valeurs refuges chutent, que reste-t-il ?

▪ Les marchés vont-ils continuer de mettre la pression sur les gouvernements allemand et surtout français ? Nous avions déjà indiqué vendredi qu’il y avait une campagne de déstabilisation parfaitement orchestrée de notre système bancaire à coup de rumeurs et d’articles de presse tendancieux. Ou bien les marchés vont-ils considérer qu’insister plus lourdement pourrait rendre certaines prophéties auto-réalisatrices, au risque de rendre la situation incontrôlable ?

Beaucoup d’opérateurs ont maintenant bien compris que la sphère économique est sur le point de basculer dans un scénario très noir. De leur côté, les pays occidentaux ne sont pour l’instant confrontés qu’à des perspectives médiocres de croissance.

Les discours rigoristes concernant la réduction à marche forcée des déficits en Zone euro laissent craindre que la stagnation actuelle se transforme rapidement en récession, puis en dépression dès 2012/2013.Georges Soros, pour sa part, parie ouvertement sur un double-creux aux Etats-Unis, mais également en Europe pour 2012.

C’est le scénario que redoutent Washington et la Fed. C’est aussi celui qui inquiète la Chine et la plupart des pays exportateurs de matières premières de l’hémisphère sud comme le Brésil (São Paulo avait plongé de 5% jeudi), le Chili, l’Australie ou encore l’Afrique du Sud.

▪ La séance de vendredi restera caractérisée par une très forte volatilité des valeurs financières (surtout à la Bourse de Paris). Il faut également compter avec une vague de liquidation prenant l’allure d’un mini-krach dans le secteur des métaux précieux mais aussi industriels.

La bulle résultant de la mise en oeuvre du QE2 à l’automne 2010 a peut-être commencé à éclater mercredi. Les investisseurs semblent avoir compris ce jour-là que la Fed ne comptait pas mettre en oeuvre de QE3 en complément d’un twist de maturité obligataire qui aura peu d’impact sur l’économie réelle.

La chute des métaux précieux (placement refuge par excellence) peut d’ailleurs sembler paradoxale puisque la nervosité des investisseurs est à son comble. Le VIX s’envole en effet au-delà des 40 à Wall Street et les taux longs s’effondrent vers 1,7% sur le T-Bond à 10 ans.

Pourtant, l’once d’or a dévissé de 5,6% vendredi : elle a perdu 100 $ à 1 640 $. Cela apparaît presque anodin à côté du plongeon historique de 18% de l’argent-métal ; il est passé en quelques heures de 36,6 $ à 30,1 $. Le contrat Silver a décroché de 15%, son plus gros repli depuis le début de sa cotation il y a 30 ans.

De lourds dégagements ont également affecté le platine, le palladium et le cuivre, avec des écarts allant de 5 à 6% en moyenne.

Un sell-off [NDLR : baisse d’une valeur accompagnée d’une hausse des volumes] aussi  massif (sans équivalent au cours de l’automne 2008) ne peut avoir été causé par le seul retournement des anticipations sur le cycle économique. Cela fait deux mois que le double-creux est sur toutes les lèvres. L’une des hypothèses les plus plausibles, c’est que certains opérateurs s’emploient à se refaire des liquidités.

Ils le font soit parce que la chute de 6% de Wall Street et de 7% des places européenne et asiatique la semaine passée les contraints à colmater les brèches ; soit parce que nombre de cours de Bourse sont maintenant tombés si bas qu’il y a mieux à faire que de thésauriser un stock d’or et d’argent qui ne rapporte rien — tandis que les appels de marge ne cessent d’augmenter depuis trois mois.

▪ Même si les planchers de la mi-août ont été préservés jeudi et vendredi, les indices américains subissent collectivement leur plus lourde correction depuis octobre 2008. Le Nasdaq enregistre une chute de 5,5% (malgré un rebond de +1,15% vendredi) tandis que le Dow Jones et le S&P plongent de 6,5%.

Il y a beaucoup plus spectaculaire : le Dow Transportation dévisse de 9,8% et le Russel 2000 de 9,2%. De tels scores n’avaient plus été observés depuis l’immédiat après-Lehman. Il n’en faut pas plus pour que des analystes jugent une telle sanction disproportionnée, sauf bien sûr si les pires scénarios se concrétisent en Europe.

Le week-end ne débouche (une fois encore) sur aucune avancée spectaculaire. Mais Tim Geithner a changé de ton samedi en faisant état de son admiration pour les « immenses efforts » consentis par les Européens pour se sortir d’une « situation très difficile » ; cependant il a ajouté que la sortie de crise continue d’apparaître beaucoup trop lente aux yeux des marchés.

▪ Pour tenter de se rassurer, les opérateurs européens retiendront que la chancelière allemande Angela Merkel s’est déclarée confiante ce dimanche concernant le feu vert du Bundestag sur l’élargissement à 211 milliards d’euros du FESF.

Deux des trois partis d’opposition ont promis de soutenir ce projet, mais ce n’est pas encore gagné. En effet, si Angela Merkel bénéficie d’une majorité confortable sur le papier, le danger d’un rejet provient de l’intérieur même de propre son parti conservateur (CDU/CSU) ainsi que de voix discordantes qui se font entendre parmi ses partenaires libéraux du FDP.

Cela représente entre 30 et 40 députés susceptibles de faire faux bond (sur les 340 que compte la coalition au pouvoir), de telle sorte que la chancelière pourrait en théorie être mise en minorité au Bundestag… Mais il faudrait que les représentants des partis d’opposition manquent à leur promesse.

Pour faire rechuter les Bourses de Francfort et Paris, il suffirait de faire courir le bruit que face au risque de brouillage de leur image politique en vue des prochaines élections, certains députés songent à réévaluer l’opportunité de leur soutien au FESF.

Le prétexte serait tout trouvé : en dépit de tous ses efforts et d’un déferlement de promesses impossibles à tenir, la Grèce fera défaut. Chaque euro supplémentaire mobilisé par le FESF sera un euro perdu pour le contribuable allemand (le genre de discours qui rencontre un certain succès de ce côté-ci du Rhin parmi les partisans d’une déconstruction de l’Europe et d’un retour au franc).

Même les officiels chinois mettent en garde les pays européens contre le danger du repli identitaire et des tentations protectionnistes. Un avertissement qui n’est pas dénué d’arrière- pensées car Pékin a les poches suffisamment profondes pour épauler efficacement la BCE en matière de rachat de dettes souveraines.

Mais c’est afin d’obtenir en retour la reconnaissance que la Chine est une véritable « économie de marché », alors que sa monnaie demeure inconvertible et maintenue à un niveau artificiellement bas…

… Si bas qu’il s’agit d’une des principales causes de la désindustrialisation, du chômage de masse et par conséquent du surendettement chronique des ménages dans les pays anglo-saxons… D’où les bulles de dettes qui, après avoir contaminé le secteur bancaire à l’échelle mondiale, asphyxient désormais les Etats. Des Etats occidentaux qui, pour reprendre une formule célèbre, ont vendu à la Chine la corde pour se faire pendre !

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