Quand faudra-t-il racheter des actions du secteur financier ou bancaire ? Les grandes banques d’investissements supplient la Fed de baisser les taux. Goldman Sachs a chuté de 27% par rapport à son sommet de 233 $ en juin dernier. Macquarie Bank, en comparaison, a baissé de 28% par rapport à ses plus hauts. Encore quelques jours comme ça, et on peut aisément imaginer les insultes qu’Henry Paulson jettera à la face de Ben Bernanke.
Que pensez-vous de cette idée : il sera à nouveau temps d’acheter des valeurs financières lorsque les mots subprime et private equity auront disparu des journaux. Lorsque les gens seront fatigués, exaspérés et dégoûtés d’entendre parler du secteur financier… lorsqu’il sera méprisé, haï et ignoré en société… c’est alors qu’il faudra se positionner. Nous n’y sommes pas encore.
"A part quelques interruptions dans les années 1900", écrit Henry Kaufman, "le feu est bel et bien au vert pour la disponibilité du crédit". Kaufman, apprenons-nous dans le dernier Gloom, Boom & Doom Report de Marc Faber, a identifié trois changements structurels dans la finance moderne. Ces changements — nous les appellerons les trois "Ations" — nous ont menés au bord d’une contraction mondiale du crédit, et peut-être d’une récession.
La première de ces "Ations", c’est la titrisation. Il s’agit de la formule magique qui permet de transformer du passif (un prêt hypothécaire) en actif (une obligation adossée à une créance hypothécaire). Selon Kaufman, un raz-de-marée de titrisation a balayé les marchés. "La conversion à grande échelle d’actifs non-commercialisables a modifié la nature même des actifs financiers, ainsi que les caractéristiques du comportement financier… La nette augmentation des actifs cotés a influencé la culture des marchés financiers de manière importante — en stimulant l’appétit pour le risque, mais également en érodant les concepts traditionnels de liquidité, et en nourrissant l’attitude selon laquelle le crédit est généralement disponible à des prix raisonnables".
Kaufman souligne ensuite un problème essentiel concernant cette première "Ation" : moins un actif titrisé est échangé, plus son cours est difficile à évaluer. Un nouveau marché est créé, générant des liquidités là où il n’en existait pas auparavant. Mais si vous ne pouvez pas le vendre, que vaut-il réellement ? La valeur, comme l’a montré l’économiste français Bastiat, ne se réalise que lors d’un échange entre deux parties.
La seconde "Ation", c’est la numérisation des échanges financiers. Selon Henry Kaufman, les technologies de l’information "ont soutenu les perspectives de crédit faciles désormais si répandues parmi les investisseurs. Les marchés étant reliés au niveau mondial par les réseaux électroniques, l’information financière circule quasi-instantanément ; les échanges informatisés et les transactions sont exécutés sans délai".
Ou, pour utiliser un terme plus simple, on peut comparer cela aux "frites sans fin" servies dans les restaurants Red Robin, aux Etats-Unis. Red Robin vend des hamburgers — qui n’ont rien de spécial. Mais les "frites sans fin", par contre, sont bien spécifiques ; elles signifient exactement ce que leur nom indique : l’offre de frites ne s’épuise jamais. Tant que vous continuez à manger, ils continuent à vous en servir.
L’équivalent économique des frites sans fin, c’est la loi de Say, qui affirmait — pour simplifier — que l’offre crée sa propre demande. La prolifération des actifs titrisés a créé une demande pour ces mêmes actifs. Les fonds de pensions, pleins aux as, les fonds d’investissement — sans parler des hedge funds — tous cherchent des actifs à acheter. Le boom du trading numérique, les flux d’information en continu et la titrisation ont créé un boom au sein de la base mondiale d’actifs échangeables (ou au moins "achetables").
Mais la troisième "Ation" est celle qui cause le plus de difficultés. La quantification. Il y a une tendance — particulièrement vigoureuse aux Etats-Unis, un pays qui aime les statistiques — à penser que les marchés financiers peuvent être transformés en tableaux tout propres, avec des signaux d’achat et de vente bien nets, tenant pleinement compte de toutes les relations entre les marchés grâce à des douzaines de variables. Bien entendu, il est fou de penser qu’un modèle mathématique puisse prédire avec précision le comportement d’un système organique complexe. Mais parfois, cela semble fonctionner.
Les modèles quantitatifs sur lesquels sont basées les stratégies de certains hedge funds et une bonne partie du program trading de Wall Street semblent fonctionner lorsque la volatilité boursière est basse. C’est-à-dire qu’en l’absence de comportements irrationnels, lorsque la relation entre les classes d’actifs et d’autres variables reste constante, certains modèles marchent. Ils cessent de fonctionner lorsque le monde commence à changer. Et au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, le changement est bien plus constant que la stabilité.
Kaufman en conclut que la combinaison de ces trois "Ations" a mené à une perte de discipline sur les marchés. On trouve des prêteurs qui ne sont pas des banques — et qui prêtent de l’argent sans être pleinement conscient des risques de défaut de paiement. Le risque lui-même est perdu dans la bataille, du moins pendant un temps.
Mais le capitalisme ne peut pas fonctionner sans risque réel. Le risque contraint à la discipline non pas parce qu’il récompense l’effort et l’esprit d’initiative, mais parce qu’il punit impitoyablement l’échec. Si les marchés de capitaux ne condamnent pas le manque de discernement en permettant à une entreprise de faire faillite, les capitaux eux-mêmes sont gâchés, immobilisés dans de opérations qui ne produisent rien de valeur — ni pour la banque, ni pour l’entreprise, les actionnaires, la population ou le gouvernement (sous forme de recettes fiscales).
Ce qu’il nous faudrait, en ce moment, c’est un peu plus de faillites spectaculaires. Nous finirons par y arriver, bien entendu. Mais si la Fed ou d’autres banques centrales continuent de secourir les marchés, le jour du jugement sera un peu retardé. Cela nous donne plus de temps pour acheter de l’or.